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sémantiques et référentielles

II. 2.2.5 – Allongeails des Essais

Nous terminons cette analyse de nos configurations atypiques par une étude des Es-

sais de Montaigne qui, compte tenu de leur histoire éditoriale, nous permettent

d’observer l’emploi du pronom-déterminant au regard des différents allongeails du texte. Nous avons repéré que LEQUEL était introducteur d’un des allongeails (153), rôle

qu’il partage avec la conjonction de coordination et (154) et les expressions démons- tratives (155). Cela appuie nos analyses précédentes : en tant que forme de rappel, sa

valeur anaphorique* l’emportant sur sa fonction relative, le pronom-déterminant est apte à ouvrir de nouveaux mouvements du texte, notamment après une ponctuation forte. Dans ces occurrences, son rôle est quasiment identique à celui d’une expression référentielle ou d’un GN.

(153) [328] Et cet’autre licence Grecque est justement ab- horrée par nos meurs.Laquelle pourtant, pour avoir, selon leur usage, une si necessaire disparité d’aages et difference d’offices entre les amants, ne respondoit non plus assez à la parfaicte union et convenance qu’icy nous demandons [...] (Montaigne, 1580/1588)

(154) [327] Et puis on ne leur sçauroit conceder des passe- temps plus reglez que ceux qui se font en presence d’un chacun et à la veue mesme du magistrat. Et trouverois raisonnable que le magistrat, et le prince, à ses despens, en gratifiast quelque- fois la commune, d’une affection et bonté comme paternelle ;

et qu’aux villes populeuses il y eust des lieux destinez et dispo- sez pour ces spectacles : quelque divertissement de pires ac- tions et occultes. [...] On leur donne à coups de fouet en garde leur pochette pleine de science, laquelle, pour bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soy, il la faut espouser. (Mon- taigne, 1580 – 1588)

(155) [317] [...] et qu’en consideration de ce miracle il fut basti, en la place où estoit la maison de ce jeune homme, une chapelle au nom de nostre Dame, et, depuis, l’Eglise que nous y voyons. Cette correction voyelle et auriculaire, devotieuse,

tira droit à l’ame ; cette autre, de mesme genre, s’insinua par les sens corporels : Pythagoras, estant en compagnie de jeunes hommes, lesquels il sentit complotter, eschauffez de la feste, d’aller violer une maison pudique, commanda à la menestriere de changer de ton, et, par une musique poisante, severe et spondaïque, enchanta tout doucement leur ardeur, et l’endormit. (Montaigne, 1580/1588. Cf. ex. 2, p. 100 – 101)

Le rôle d’anaphore qualitative* du pronom-déterminant permet à Montaigne d’introduire de nouvelles séquences textuelles : LEQUEL pointe un antécédent précis du

continuum textuel et sélectionne ses propriétés pertinentes pour en faire le support d’une nouvelle prédication. Cela lui permet, dans le cadre du texte d’idées, d’articuler les différents moments de sa réflexion. Ce qui nous semble intéressant de noter ici, c’est que ce faisant, le rôle du pronom-déterminant transcende les structures phras-

tiques que nous avons étudiées jusqu’à présent et organise le continuum textuel sur un niveau d’analyse plus vaste, qu’il nous faut étudier.

II.3 – LEQUEL, pronom relatif marqué

Pour résumer les éléments apportés par cette première étape d’analyse de notre cor- pus, nous pouvons dire que le pronom-déterminant LEQUEL apparaît comme un pronom

relatif marqué au regard des formes simples.

Du point de vue syntaxique, l’emploi du pronom-déterminant ne dépend pas du re- crutement de l’antécédent de la subordonnée dans la mesure où ce dernier est recruté selon les mêmes modalités que les autres relais anaphoriques*, par proximité ou par saillance* syntaxique. La morphologie du pronom-déterminant est toujours surnumé- raire au regard de ce recrutement et elle ne fonde pas, à ce que nous avons observé, sa spécificité au regard des pronoms relatifs simples. Elle ne permet pas non plus de ré- soudre le conflit entre principe de proximité et principe de saillance du référent dans le cadre de la subordination relative et les locuteurs n’ont pas, semble-t-il, réparti les rôles dévolus à chaque famille de pronoms dans cette problématique. On ne saurait dès lors se rabattre sur une « règle de proximité » et sur le besoin de désambiguïser un énoncé équivoque pour expliquer le fonctionnement syntaxique de LEQUEL. En re-

vanche, un marquage syntaxique s’opère :

‒ Concernant la relation entre les propositions, et la position de clausule que la subordonnée occupe (quasi) exclusivement. Ainsi située en périphérie de proposi- tion matrice, le pronom-déterminant représente un potentiel de prolongement in- constestable de l’énoncé, ce qui invite à l’interpréter comme une nouvelle expres- sion référentielle et non comme un pronom relatif.

‒ Concernant les phénomènes de coocurrences, où nous avons observé que le pronom-déterminant, au contraire des pronoms relatifs simples, introduisait sur- tout de nouvelles prédications. Seules les fonctions prépositionnelles de LEQUEL

peuvent définir référentiellement son antécédent, les fonctions directes ne s’articulant qu’autour de référents déjà constitués.

Ces éléments syntaxiques ne sont cependant pas la finalité de l’emploi du pronom- déterminant dans les textes : ils vont certes dans le sens d’un meilleur repérage et d’une meilleure prise en compte de l’antécédent dans le continuum textuel, comme un projecteur qui l’éclairerait particulièrement, mais ce sont ensuite les propriétés séman-

tico-référentielles de LEQUEL qui fondent réellement son intérêt et son rôle au regard

des pronoms relatifs simples.

Le processus engagé par le pronom-déterminant est celui d’une anaphore qualita- tive*, qui prend en compte les propriétés sémantiques et référentielles de son antécé- dent. Cette anaphore qualitative est particulièrement lisible dans le cadre des référents animés humains : elle sélectionne ce faisant leurs traits notionnels pertinents à ce mo- ment-là de l’énoncé pour faciliter sa compréhension. Dans le cadre des relatives expli- catives, il s’agit de mettre en avant ces propriétés pertinentes pour justifier un élément du cotexte antérieur ; dans le cadre des relatives narratives, cette anaphore qualitative centre ces propriétés dans la mémoire du locuteur pour faciliter la compréhension du texte. Généralement, et quelle que soit la catégorie ontologique de l’antécédent, le pro- nom-déterminant vient réactiver une information connue mais non saillante dans l’esprit du locuteur, ce qui amplifie la cohérence textuelle* de l’énoncé.

Ce rôle anaphorique est directement lié à la nature du pronom-déterminant, tant et si bien qu’elle influence en retour son fonctionnement syntaxique : il recrutera un anté- cédent animé humain en priorité, et ce y compris dans les cas où un antécédent plus saillant syntaxiquement conviendrait à sa morphologie. Il y a donc bien une régulation de conflit d’accessibilité* des référents, mais elle ne renvoie pas à une opposition entre saillance syntaxique et saillance locale, mais opère plutôt selon une logique séman- tique ou communicationnelle. Le pronom-déterminant recrute ainsi le référent jouis- sant de la meilleure représentation ou de la meilleure identifiabilité* dans l’esprit des locuteurs, par excellence un animé humain plutôt qu’un inanimé ou un animé non- humain. C’est ici que nous pouvons parler du pronom-déterminant comme d’un ins- trument de levée des équivoques, si ce n’est que son fonctionnement dépasse une pro- blèmatique morphosyntaxique pour s’orienter vers des questions de sens et de cons- truction référentielle.

Ce rôle qualitatif s’oppose au rôle des pronoms relatifs simples qui, n’étant pas réfé- rentiels, ne sont que des instruments de continuité qui n’exigent aucun calcul spéci- fique dirigé vers l’antécédent. Au contraire, le pronom-déterminant indique toujours qu’il faut considérer l’antécédent sous un certain aspect pour construire le sens : il prend en compte de façon directe le signifié de l’antécédent, ses propriétés et qualités, et les réactive pour faciliter la compréhension de l’énoncé et articuler au mieux la pro- gression informationnelle de celui-ci.

Pour résumer, l’entité référentielle construite par LEQUEL en discours est une inter-

prétation du substantif antécédent : c’est le seul et unique N qui possède ces qualités

pertinentes de N, sélectionnées par le contexte. Il s’agit d’un pronom relatif marqué, au

rôle distinct des pronoms relatifs simples. Le pronom-déterminant est en réalité plus proche d’une autre expression référentielle que d’un pronom de reprise, davantage une forme de rappel qu’une forme liée : son emploi fait intervenir une représentation du sens construit par l’énoncé, et la proposition qu’il introduit gagne à être analysée comme une proposition autonome, à l’instar de ce qu’observait Claude Buridant en ancien français (2000:189). Conséquemment, c’est davantage vers une analyse globale de l’organisation du continuum textuel, plutôt que vers une analyse discrète et syn- taxique de celui-ci, que nous orienterons nos prochains commentaires.

III – Organisation du