• Aucun résultat trouvé

sémantiques et référentielles

II. 1.1.1 – Par saillance locale

Un antécédent recruté selon un principe de saillance* locale est le plus proche de son expression anaphorique* dans la linéarité de l’énoncé. Le raisonnement s’effectue en termes de constituants et non pas en termes de fonction. Comme nous l’avons vu en introduction, Vaugelas, puis les grammairiens ultérieurs, érigeront ce mode de recru- tement comme une règle d’or (Fournier, 2002:178) : elle est souvent appelée la « règle

de proximité » et a eu des conséquences sur l’écriture des énoncés, comme le note Gilles Siouffi.

[Les grammairiens du temps formulent] une règle tacite qui commence à gouver- ner l’écriture du français depuis la fin du XVIe siècle, et qu’on pourrait appeler « règle de proximité ». Alors que le modèle d’écriture périodique régnant au

XVIe siècle autorisait d’éloigner des constituants ayant entre eux une relation grammaticale [...], il semble en effet que le français préclassique tende à privilé- gier des façons d’écrire exhibant cette relation grammaticale par le biais d’un rap- prochement de ces constituants. (Siouffi, 2003:31-32)

Nous retrouvons cette « règle de proximité » dans notre corpus : l’antécédent est non seulement le constituant le plus proche de LEQUEL relatif, mais il est aussi le plus

souvent directement contigu à ce dernier comme le montrent nos relevés (Tableau 12).

Fonction du pronom- déterminant

Position de l’antécédent vis-à-vis de LEQUEL

Éléments contigus Éléments Non contigus

Fonctions directes

(629 occ.) 461 (73,3%) 168 (26,7%)

Fonctions prépositionnelles

(297 occ.) 253 (85,2%) 44 (14,8%)

Total (926 occ.) 714 (77,9%) 212 (22,1%)

Tableau 1 – Position de l’antécédent vis-à-vis de LEQUEL (toutes fonctions, période classique)

La majorité des occurrences du corpus présente une contiguïté parfaite entre LEQUEL

et son antécédent (714 occurrences sur 926, 77,9%). Cette contiguïté s’observe pour toutes les fonctions occupées par le pronom-déterminant : sujet (1), objet direct (2), indirect (3) ou encore complément circonstanciel, par exemple de type intraprédicatif, non dépendant de la valence du verbe de la subordonnée relative (4).

(1)[227] Voilà de quelle sorte elle évite tous les vices qui se peuvent rencontrer dans le premier point, lequel consiste à dé- finir les seules choses qui en ont besoin. (Pascal, 1657)

(2) [317] [...] Pythagoras, estant en compagnie de jeunes hommes, lesquels il sentit complotter, eschauffez de la feste,

2

Dans les tableaux, les cases colorées en jaune mettent en lumière les paramètres totalisant plus de 40% des occurrences du corpus.

d’aller violer une maison pudique, commanda à la menestriere de changer de ton [...] (Montaigne, 1588)

(3) [681] Mais je n'y suis pas par ma volonté ; on m'y mène. Il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c'est une mortifi- cation que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main. Peut-être pouvait-on bien me l'épargner, après les services que j'ai rendus et les charges que j'ai eu l'honneur d'exercer. (Sévi- gné, 1675)

(4) [821] […] mais souffrez que je déteste l'infâme mollesse des habitants de votre île et l'impudence brutale avec laquelle ils célèbrent vos fêtes. Ensuite il s'entretenoit avec Mentor de cette première puissance qui a formé le ciel et la terre ; de cette lumière simple, infinie et immuable, qui se donne à tous sans se partager ; de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le soleil éclaire tous les corps. (Féne- lon, 1699)

Nous avons vérifié si cette contiguïté entre les éléments était présente dans le cor- pus étendu PRESTO sur la période 1580 – 1720. Nous ne pouvons chercher dans ce corpus que la catégorie grammaticale ou la position relative des mots les uns par rap- port aux autres, et non leur fonction syntaxique : nous avons donc dû élaborer une stra- tégie, et à partir d’une formule nous permettant de relever les occurrences de LEQUEL

pronom relatif3, nous avons analysé les cent premières occurrences relevées. Cela nous

permet d’extrapoler quelque peu les résultats, nonobstant le bruit et les (éventuelles) erreurs d’étiquetage du corpus PRESTO, et de les confronter à nos propres données. Après recherche, nous avons obtenu ces résultats (Tableau 2) :

Position de l’antécédent vis-à-vis de LEQUEL (toutes fonctions, 100 occ.)

Éléments Contigus Éléments Non contigus

86 (86%) 14 (14%)

Tableau 2 – Position de l’antécédent vis-à-vis de LEQUEL dans le corpus PRESTO

(toutes fonctions, période classique)

3 Nous avons utilisé cette formule de recherche : « [lemma=“LEQUEL” & pos=“Pr”] ». Elle permet

de rechercher dans le corpus tous les mots correspondant au lemme LEQUEL et ayant la catégorie « pronom relatif ». Nous avons ensuite classé les occurrences selon la date du texte où elle était is- sue, et vérifié manuellement les cent premières d’entre elles.

Nous avons donc des résultats similaires entre notre corpus et le corpus PRESTO : la contiguïté entre LEQUEL et son antécédent est la norme dans les textes. Cette conti-

guïté est la trace d’un fonctionnement par saillance locale : le pronom-déterminant relatif recrutera comme antécédent le GN le plus proche de lui dans l’enchaînement linéaire de l’énoncé. Ce faisant, ce recrutement parvient à compenser un déficit de sail- lance sur d’autres échelles : LEQUEL relativise par exemple des fonctions secondaires

comme des compléments du nom, qui jouissent d’une saillance syntaxique moindre que les substantifs têtes des GN qu’ils construisent. C’est le cas de l’exemple suivant (5), où le complément du nom l’esprit est recruté par sa saillance locale alors qu’il était moins saillant syntaxiquement que l’attribut la grandeur [de l’esprit].

(5) [237] Si on l'examine bien, on trouvera que toutes ces qualités ne sont autre chose que la grandeur de l'esprit, lequel, voyant tout, rencontre dans la plénitude de ses lumières tous les avantages dont nous venons de parler. (La Rochefoucauld, 1665)

Le recrutement par proximité a deux conséquences immédiates :

– Tout d’abord, sur l’interprétation de la morphologie de LEQUEL. Celle-ci n’est

pas le critère qui permet d’identifier à coup sûr son antécédent, mais un indice ve- nant s’ajouter au recrutement par saillance locale. La morphologie confirme après coup le choix du bon antécédent mais n’est pas un outil de désambiguïsation : il s’agit d’une morphologie d’accord, traduisant la relation syntaxique et sémantique que LEQUEL entretient avec son antécédent. Nous pouvons avoir un indice de cette

relation par l’intermédiaire de l’exemple suivant (6) : LEQUEL prend ici les traits

de genre et de nombre du substantif le plus proche de lui alors qu’il aurait pu s’accorder au pluriel, puisque l’antécédent la profonde vénération est coordonné à un autre GN auquel il est coréférentiel*. Il s’agit là d’un exemple d’accord de proximité souvent rencontré, par exemple avec les adjectifs épithètes, au long du siècle (Fournier, 2002:48).

(6) [749] Je n'espère pas être assez heureux pour me distin- guer par le mérite de mes ouvrages, mais je sais bien que je me signalerai au moins par le zèle et la profonde vénération avec

laquelle je suis, Sire, De Votre Majesté, Le très-humble, très-

obéissant et très-difèle serviteur et sujet, RACINE (Racine, 1666)

– Sur l’ordre des constituants de la proposition matrice. Le recrutement par proximité amène parfois à modifier l’agencement des constituants de la proposi- tion matrice et à s’écarter de l’ordre SVO, le plus fréquemment rencontré depuis le moyen français4. Notamment, lorsque l’antécédent du pronom-déterminant est

sujet de la proposition matrice (107 occurrences), les auteurs postposent le sujet au verbe dans près de la moitié des occurrences relevées (49 occurrences sur 107, 45,8%) : le pronom-déterminant et son antécédent se trouvent alors contigus (7).

(7) [182] Il [Alexandre] vint de là en une Province où com- mandoit l’illustre Satrape Cohortanes, lequel se soûmit à l’obeïssance du Roi, qui lui rendit ses Etats, & ne lui demanda autre chose, sinon que de trois fils qu’il avoit, il lui en donnât deux pour l’accompagner à la guerre. (Vaugelas, 1709)

Nous notons que divers paramètres, indépendamment de l’emploi de LEQUEL, peu-

vent expliquer cette postposition du sujet : présence d’un constituant locatif en pre- mière position de la proposition matrice5 (8), tour exclamatif ou emphatique (9) ou

pour d’autres raisons encore : l’exemple (10) illustre un cas fréquent de postposition du sujet dans une relative en que. Comme le notait Catherine Fuchs : « les cas de postpo- sition du sujet [dans les relatives] sont d’autant plus nombreux que le lien syntaxique entre l’antécédent et le prédicat de la relative est fort » (Fuchs, 1997:142), ce qui se rencontre notamment dans les relatives à que objet initial6.

(8) [154] A 1’examen de ce que l’observateur appelle con- duite, succède celui de la versification, laquelle ayant été re-

prise sans grand fondement en beaucoup de lieux, et passée pour bonne en beaucoup d’autres où il y avoit grand sujet de la condamner, [...] (Académie française, 1637)

(9) [109]Grand sans contreditestle mystere de pieté,lequel

est manifesté en chair, iustifié en esprit, veu des anges, presché aux gentils, creu au monde, et enleué en gloire. (Bérulle, 1623)

4 Nous renvoyons à Combettes (1999:241) et surtout à Prévost (2001:236-241) sur cette question. 5

« […] l’inversion apparaît fréquemment dans une phrase introduite par un syntagme locatif […] ou temporel […]. » (Lahousse, 2011:63). Nous renvoyons aussi Le Bidois (1952:158).

6 Nous pouvons aussi considérer dans cet exemple que la succession du son /k/(que, quelques uns) a

été perçue comme inélégante, ce qui aurait alors favorisé la postposition du sujet mais également le choix de lesquels au profit de que :il fallait peut-être éviter ce que Vaugelas appelle la « cacopho- nie », comme pour l'expression que quoy que (Vaugelas, [1647] 1934:91).

(10) [58] [...] mais le lecteur me le pardonnera s’il luy plaist, veu que la necessité m’y contrainct, pour obuier par maniere de precaution aux difficultezqueformentquelques-vns,lesquelsie prierois volontiers ou de garder le silence par modestie, [...] (Bérulle, 1623)

Hors ces différents cas de postposition, la contiguïté entre l’antécédent et LEQUEL

amène la proposition subordonnée relative à s’insérer entre le sujet et le prédicat de la proposition matrice (11 ̶ 13), ce qui retarde sa complétion (40 occurrences sur 107, 37,4%).

(11) [213] [...] aussi le souverain-pontife, lequel connoist leur origine, ne défend pas d’en manger en caresme. C’est ce que vous appelez des maquereuses. (Bergerac, 1655)

(12) [408] [...] Car le bien attendu lequel n’arrive point,

Laisse en l’ame un regret qui sans cesse la poingt.

Ceux qui de cette Lotte avidement se paissent Sur un bord estranger, à regret la delaissent [...] (Montchrestien, 1604)

(13) [720] Mais il se cache ordinairement et se découvre ra- rement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. (Pascal, 1636)

La disjonction du sujet nominal et du verbe est assez fréquente « dans des phrases caractéristiques de la prose du premier quart du [XVIIe siècle] qui s’allégeront par la suite sans être pour autant abandonnées » (Fournier, 2002:38). Comme les exemples précédents le montrent, nous trouvons encore cette disjonction tout au long du siècle avec les relatives en LEQUEL7.

7 Comme le remarque Nathalie Fournier, cette disjonction peut perturber l’interprétation de l’énoncé :

à ce moment-là, « [l’éloignement du sujet de son verbe] peut être compensé par la reprise du sujet en prolepse par un pronom anaphorique dans une construction détachée » (Fournier, 2002:38). Si nous reviendrons sur ce phénomène ultérieurement, puisque nous avons observé des reprises en prolepse de LEQUEL sujet dans la relative, nous n’avons pas trouvé de rappel du sujet de la proposition ma- trice. L’exemple suivant s’approcherait de ce cas de figure, mais il s’agit d’une entrée d’une liste : Jean de Léry fait l’inventaire des espèces animales qu’il a rencontrées lors de sa traversée de l’océan Atlantique.

Nous notons que dans les exemples précédents, LEQUEL pourrait commuter avec un

pronom relatif simple sans mettre en péril l’interprétation de l’énoncé. Cela appuie l’hypothèse d’un recrutement de l’antécédent par saillance locale, l’ordre linéaire de l’énoncé épousant l’analyse des relations syntaxiques. Ce recrutement par proximité est à mettre en relation avec les évolutions qu’a connues la langue française au cours du Grand Siècle et l’élaboration de la « règle de proximité », comme l’indiquait Gilles Siouffi (2003:31-32). Les locuteurs eurent en effet tendance après l’exubérance du moyen français à rapprocher dans l’énoncé les constituants en directe relation gramma- ticale, comme peuvent l’être un antécédent de son pronom relatif : il est dès lors atten- du de trouver le pronom-déterminant dans le voisinage cotextuel immédiat de son an- técédent.