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sémantiques et référentielles

II. 1.3.1 – Concurrence effective

Comme dit à l’instant, nous considérons qu’il y a concurrence effective entre les différences familles de pronoms relatifs lorsqu’elles entretiennent une relation anapho- rique* avec le même GN antécédent. Nous répartirons nos commentaires entre fonc- tions directes et prépositionnelles du pronom-déterminant, les phénomènes observables étant distincts les uns des autres.

Dans un premier temps, nous avons relevé 80 occurrences (sur 629, 12,7%) de con- currence effective entre LEQUEL sujet et objet direct et qui/que, et nous avons observé

la façon dont ces pronoms relatifs se succédaient dans l’énoncé. Voici les résultats ob- tenus :

Concurrence effective pronom relatif simple / LEQUEL

(80 occ.)

Ordre du type [GN] QUILEQUEL Ordre du type [GN] LEQUELQUI

73 (91,3%) 7 (8,7%)

Tableau 6 – Enchaînement de subordonnées recrutant un même antécédent (fonctions directes, période classique)

– La subordonnée introduite par un pronom relatif simple peut être située après celle introduite par le pronom-déterminant (79). Comme l’indiquent les relevés, c’est le cas le plus rencontré dans notre corpus (73 occurrences sur 81, 91,3%).

(79) [132] Et s’il faut ioindre à ces anciens autheurs, les plus recents de ce siecle, ie produiray ce caualier chrestien, qui

a voulu ioindre sa plume à son espée, et les consacrer tous deux au temple de Dieu, se rendant theologien et caualier tout en- semble : lequel en son elegante paraphrase, approuuée de plu- sieurs docteurs, et qui est en la main de tous, traduisant ce ver- set ; vota mea domino reddam, etc.. dit, ainsi satisferay-je aux voeux ausquels ie suis obligé de promesse, premierement au baptesme, apres en la reception des autres sacrements, etc... (Bérulle, 1623)

La position de la subordonnée en LEQUEL après celle introduite par un pronom rela-

tif simple s’explique en prenant en compte les observations que nous avons faites pré- cédemment : d’une part, le pronom-déterminant fonctionnant par saillance* syn- taxique, il permet au locuteur de retrouver aisément l’antécédent. Ce dernier est le même que celui du pronom relatif simple, qui fonctionne ici davantage selon un prin- cipe de proximité et guide ce faisant l’analyse syntaxique de l’énoncé. D’autre part, les subordonnées en LEQUEL ont un fort potentiel de prolongement et tendent à remplir un

rôle de clausule, ce qui les amène à être après les autres rappels anaphoriques de l’antécédent dont font partie les pronoms relatifs simples. Enfin, la morphologie de

LEQUEL permet d’apporter un indice supplémentaire en cas d’ambiguïté et de confir-

mer, plutôt que de provoquer, le recrutement du bon candidat antécédent.

Ceci étant dit, parmi ces 73 occurrences, le pronom-déterminant est coordonné à un pronom relatif simple dans 10 d’entre elles18. La chose interroge, dans la mesure où le

fonctionnement linguistique du pronom-déterminant permet de se passer de la conjonc- tion pour guider l’interprétation, que ce soit par son fonctionnement par saillance ou par sa morphologie : un pronom relatif simple, complété par la conjonction, aurait tout autant permis d’éviter une difficulté d’analyse comme nous le voyons en (80).

(80) [124] Et comme de l'amour du pere et du fils procede cette personne d'amour, apres laquelle il n'y a point de personne ny de procession en la trinité : aussi de l'amour du mesme pere enuoyant, et du mesme fils se donnant au monde, procede ce mystere d'amour, qui ne peut estre suiuy d'aucun oeuure ou mystere qui le surpasse dans l'estat des oeuures de la diuinité :

et lequel (et qui) est si haut, si grand et si diuin, qu'il n'y a

point d'oeuure qui l'égale, il n'y en peut auoir qui l'excede, et il n'y en aura jamais qui l'approche que de distance vrayement in- finie. (Bérulle, 1623)

Nous n’avons pas pu trouver de paramètres syntaxiques justifiant cette coordina- tion, ce qui nous laisse croire qu’il faut l’analyser selon d’autres critères : notamment, nous retrouvons ce type d’occurrence avec des subordonnées qui semblent détermina- tives ou qui participent pleinement à la détermination référentielle de leurs antécédents (81). Or, LEQUEL n’étant jamais déterminatif, il y a une tension avec l’interprétation

habituelle de la coordination qui créé des structures coplanaires : nous soulevions pré- cédemment l’étrangeté de ce type de construction (cf. § I.1.1.6).

(81) [280] Quelle force, quelle énergie, quelle secrète vertu sent en elle-même cette âme, pour se corriger, pour se démentir elle-même et rejeter tout ce qu'elle pense ! Qui ne voit qu'il y a en elle un ressort caché qui n'agit pas encore de toute sa force,

et lequel, quoiqu'il soit contraint, quoiqu'il n'ait pas son mou-

vement libre, fait bien voir par une certaine vigueur qu'il ne tient pas tout entier à la matière et qu'il est comme attaché par sa pointe à quelque principe plus haut ? (Bossuet, 1662)

Il nous semble que dans ce type d’occurrence, la conjonction de coordination a en plus de son rôle syntaxique un rôle argumentatif que l’on pourait gloser par et

d’ailleurs, et de plus. Ces exemples sont proches de ce que Nathalie Fournier appelle

la « coordination différée » (2002:95), si ce n’est que ce n’est pas le prédicat de la pro- position matrice qui serait saturé, mais la construction référentielle de l’antécédent. Les deux rôles de la conjonction ne sont pas nécessairement en contradiction, à l’instar de l’exemple (80) où ils semblent se cumuler. Il reste cependant que le choix de LEQUEL et

non d’un relatif simple semble mettre l’accent sur son rôle référentiel plus que sur son rôle subordonnant : nous reviendrons ainsi sur ces occurrences lors de nos études de la dynamique informationnelle* des énoncés.

– La subordonnée introduite par le pronom-déterminant à une fonction directe est, dans les 7 occurrences restantes, avant celle introduite par le pronom relatif simple (7 occurrences sur 80, 8,7%).

(82) [165] Quelques uns proposoient aussi de rétablir un sa- crifice discontinué depuis plusieurs siecles, lequel à mon avis ne sçauroit être agreable aux Dieux, qui étoit d'immoler un en- fant de condition libre, à Saturne. (Vaugelas, 1709)

Parmi ces sept occurrences, 5 d’entre elles coordonnent le pronom relatif simple au pronom déterminant (83).

(83) [441] Le tavernier, lequel comme il est dit, était un peu matois, et qui avait déjà quelque atteinte du défaut de jugement de son hôte, acheva de le croire tout à fait quand il eut achevé d'ouïr de si belles raisons, et, pour avoir de quoi rire cette nuit- là, il se résolut de seconder son humeur […] (Oudin, 1614.

Cf. ex. 74, p. 137)

Cette fois-ci, nous pensons que la coordination facilite l’interprétation de la seconde subordonnée : puisque le pronom relatif simple ne varie pas en genre et en nombre, la conjonction permet au locuteur de retrouver aisément l’antécédent puisqu’il s’agit né- cessairement de celui du pronom-déterminant. Nous nous demandons cependant à pré- sent ce qui justifie l’emploi de LEQUEL, qui se trouve être contigu à son antécédent.

Nous n’avons pas trouvé de contraintes syntaxiques justifiant cette alternance entre les deux familles de pronoms relatifs : encore une fois, ce phénomène nous semble davan- tage lié à la dynamique informationnelle de l’énoncé.

Nous avons effectué le même relevé pour les fonctions prépositionnelles (Ta- bleau 7).

Concurrence effective pronom relatif simple / LEQUEL prépositionnels

(19 occ.) Ordre du type [GN] (prép.) QUI

prép. LEQUEL

Ordre du type [GN] prép. LEQUEL(prép.) QUI

15 (78,9%) 4 (21,1%)

Tableau 7 – Enchaînement de subordonnées recrutant un même antécédent (fonctions prépositionnelles, période classique)

Le faible nombre d’occurrences relevées19 quant à cette problématique nous em-

pêche de faire un commentaire quantitatif, mais nous avons pu relever quelques phé- nomènes intéressants. Tout d’abord, seules deux occurrences ([672] et [698]) présen- tent une concurrence directe entre deux fonctions prépositionnelles renvoyant au même antécédent : dans celles-ci, la subordonnée en LEQUEL est après celle introduite par le

19

Ce sont les occurrences [649], [654], [664], [672], [686], [689], [691], [698], [736], [740], [798], [820], [827], [843], [854], [863], [865], [873] et [874].

pronom relatif simple (84). Nous verrons ci-après qu’il est des contraintes syntaxiques pesant sur l’emploi du pronom-déterminant dans ces deux occurrences.

(84) [698] On estoit déjà parvenu jusqu'à ceux qui avoient fuï les premiers, où l'on prit quantité de femmes, dont la plû- part traînoient leurs petits enfans par la main, parmi lesquelles estoient trois jeunes Princesses fille d'Ochius qui avoit regné avant Darius, déchuës depuis quelque tems de la gloire de leur Père, mais accablées par la pesanteur de ce dernier coup. (Vau- gelas, 1709. Cf. ex. 71, p. 136)

Dans les 17 autres occurrences relevées, LEQUEL prépositionnel recrute un antécé-

dent déjà repris, ou qui sera repris, par un pronom relatif simple sujet ou objet. Ce der- nier participe (85) ou non (86) à la détermination référentielle de son antécédent.

(85) [874] Je ne vous presche point, mais ce devôt hermite

Qui au milieu des flots sur une roche habite, Par lequel fut Sobrin et Olivier guary,

Fut d'advis que Roger de ma soeur fust mary […] (Garnier, 1585)

(86) [740] Non non, interrompit Petrarque, il ne faut pas luy demander cela, cét evenement est trop proche ; n'avez-vous pas pris garde qu'il y a des maisons d'où l'on ne voit pas les vil- lages, qui sont scituez au pied des montagnes, sur lesquelles elles sont bâties, et qui cependant découvrent vne fort grande étenduë de pays. (Scudéry, 1667)

De la même façon que pour les fonctions directes, les subordonnées en LEQUEL ont

tendance à être après celles introduites par les pronoms relatifs simples et ce sans doute pour les mêmes raisons : LEQUEL recrute son antécédent par saillance syntaxique, la

subordonnée introduite a un grand potentiel de prolongement textuel et la morphologie permet de confirmer le recrutement du bon candidat. Quant aux occurrences où la su- bordonnée en LEQUEL précède celle en qui ou en que, ce sont des contraintes portant

sur la catégorie notionnelle de l’antécédent qui semblent motiver l’emploi du pronom- déterminant : nous les aborderons lors de nos analyses sémantiques et référentielles.

En revanche, nous avons relevé quelque chose d’intéressant au regard des phéno- mènes de coordination. Autant toutes les occurrences de et (ou mais) LEQUEL sujet ou

parmi les 15 occurrences de et [prép. + LEQUEL]20, 11 seulement coordonnent le pro-

nom-déterminant à un pronom relatif simple (87), ce qui n’est pas le cas des 4 restantes (88)21.

(87) [689] […] ils entendaient dire que tout ce grand arme- ment n'était fait que pour fondre sur eux, qu'ils étaient prêts de satisfaire sa majesté dans tout ce qu'il lui plairait d'ordonner, et qu'ils le suppliaient de se souvenir des bontés que les rois ses prédécesseurs avaient eues pour eux et auxquelles ils devaient toute leur grandeur. (Sévigné, 1675)

(88) [637] Ainsi l'ordre et l'vnion hypostatique est establie au monde. Dieu en la creation fit l'ordre de la nature, et au mesme temps il establit l'ordre de la grace en la terre, et celuy de la gloire au ciel : trois ordres differents et admirables, et

dans lesquels il a voulu donner part à l'homme. (Bérulle, 1623)

L’exemple (88) ne peut s’expliquer du point de vue syntaxique, à moins de considé- rer que la conjonction coordonne la subordonnée relative aux adjectifs differents et

admirables, ce qui irait à l’encontre de la lecture du texte. Autant, il est vrai, les fonc-

tions prépositionnelles du pronom-déterminant peuvent restreindre l’extension* de leur antécédent (cf. § I.1.2 & I.1.3) comme nous le voyons en (87), autant dans l’exemple (88), le pronom-déterminant recrute un antécédent référentiellement constitué. Partant, la conjonction de coordination ne doit pas s’analyser ici du point de vue syntaxique, mais plutôt comme un joncteur annonçant un nouvel acte d’énonciation, un ajout ar- gumentatif plus fort que le contenu antérieur à l’instar de ce que nous avions observé précédemment dans l’exemple (81). Ces occurrences nous invitent à ne pas interpréter ces subordonnées sur le même plan organisationnel que les pronoms relatifs simples : leur rôle dépasse des problématiques syntaxiques pour s’orienter vers des questions d’organisation textuelle.