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sémantiques et référentielles

II. 1.1.3 – Levée des équivoques

Une fois observé que LEQUEL recrutait son antécédent soit selon sa saillance* locale,

soit selon sa saillance syntaxique, quelle place reste-t-il à la levée des équivoques, pourtant considérée par les grammairiens comme le rôle principal du pronom- déterminant en discours ? Pour saisir les implications d’un rôle désambiguïsant de LE- QUEL, nous reprendrons les analyses de Pierre Le Goffic sur l’ambiguïté. Selon lui,

l’ambiguïté se définit comme « un énoncé (une phrase) [...] [qui] possède une descrip- tion (représentation) à un niveau donné, et deux ou plusieurs descriptions (représenta- tions) à un autre niveau. » (Le Goffic, 1981:182). Pour illustrer cette définition, nous reprenons l’exemple (25a), commenté par Vaugelas dans ses Remarques (Vaugelas, [1647] 1934:116) et que nous avions présenté dans notre introduction.

(25a) C’est un effet de la divine Providence, qui est con- forme à ce qui nous a été prédit.

L’ambiguïté que Vaugelas décèle dans cette phrase tient à l’identité du GN antécé- dent. Effectivement, qui pourrait se rapporter autant à un effet [de la divine Provi-

dence] (25b) qu’à la divine Providence (25c) ; il n’y a de plus aucun indice, syntaxique

(25b) C’est un effet de la divine Providence, qui [= un effet

de la divine Providence] est conforme à ce qui nous a été pré-

dit.

(25c) C’est un effet de la divine Providence, qui [= la divine

Providence] est conforme à ce qui nous a été prédit.

Partant, dans l’impossibilité de recruter de façon certaine un candidat antécédent plutôt qu’un autre, LEQUEL ajoute vis-à-vis de qui, de que, de dont, de où et de quoi un

indice décisif, celui de sa morphologie en reprenant le genre et le nombre du bon anté- cédent. C’est cette propriété qui permet(trait) au pronom-déterminant de lever les am- biguïtés et de clarifier un tel énoncé (25d et 25e).

(25d) C’est un effet de la divine Providence, lequel est con- forme à ce qui nous a été prédit.

(25e) C’est un effet de la divine Providence, laquelle est conforme à ce qui nous a été prédit.

Dans les faits cependant, il est rare, pour ne pas dire impossible, qu’il y ait un pro- blème d’interprétation quant au recrutement de l’antécédent d’un pronom relatif simple. Considérons pour cela l’exemple (26), issu du Page disgracié :

(26) [...] [il] me conviait à manger ma part de la chair de son ennemi, qui [a] se trouverait accompagné le lendemain de quatre perdrix chez une menuisière du bourg, qui [b] était de

ses bonnes amies et qui [c] nourrissait chez elle une nièce qui

n’était pas trop désagréable. (L’Hermite, 1643, p. 240)

Dans ce court extrait, trois qui (que nous avons nommés qui [a], qui [b] et qui [c]) se succèdent et renvoient respectivement aux antécédents son ennemi (qui [a]) et une

menuisière du bourg (qui [b], qui [c]). Ces pronoms relatifs peuvent théoriquement

créer des problèmes d’interprétation : leurs antécédents respectifs font partie de GN construits avec des compléments du nom ou ne sont pas directement contigus à leurs pronoms relatifs. Il est donc possible à la lecture d’hésiter quant au recrutement du bon candidat antécédent, hésitation qui aurait dû conduire à l’emploi, respectivement, de

lequel et de laquelle si l’auteur avait suivi les recommandations des remarqueurs.

Cependant, une analyse plus attentive du cotexte permet au lecteur de lever ces am- biguïtés : pour qui [a], le participe passé accompagné, au masculin singulier, permet

de recruter l’antécédent son ennemi et non pas la chair [de son ennemi] ou ma part [de

la chair de son ennemi]. Pour qui [b], le sens de la subordonnée permet de comprendre

qu’il faut considérer une menuisière du bourg comme antécédent, car il semble exclu qu’une ville puisse être considérée comme une « amie ». Enfin, pour qui [c], l’accord et le sens du verbe nourrissait permettent d’éliminer l’antécédent pluriel bonnes amies, et la conjonction de coordination invite le lecteur, en sus de ce dernier indice, à se ra- battre sur le même antécédent que qui [b].

Cet exemple montre que le lecteur fait appel à tout un faisceau d’indices autant en amont qu’en aval du pronom relatif pour recruter le bon candidat antécédent. En réali- té, si l’exemple de Vaugelas (25a) fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il est isolé de tout contexte. Nous citons encore une fois Pierre Le Goffic :

En pratique, quand on parle de l’ambiguïté d’un énoncé, il faut donc se résigner à admettre qu’on parle de l’ambiguïté d’un énoncé-type, càd. de l’ambiguïté d’une entité sujette à caution, sorte d’énoncé-token dépouillé de ses conditions de pro- duction et de tout ce qui fait son caractère nécessairement unique. [...] [Les pro- blèmes d’interprétation de l’énoncé] sont résolus par le recours au contexte, et seule diffère la « quantité » de contexte nécessaire : il y a solution immédiate ou non selon les cas. (Le Goffic, 1981:193-194)

Un énoncé est donc toujours désambiguïsable grâce au co(n)texte, et tout dépend de l’accessibilité de la solution, c’est-à-dire de l’accès à la bonne interprétation de l’énoncé. Dans le cadre de la subordination relative, cette ambiguïté se réduit à la posi- tion du pronom relatif introducteur vis-à-vis de son antécédent.

– S’il y a contiguïté entre les éléments, c’est-à-dire si le pronom relatif recrute son antécédent par proximité comme dans la majorité des occurrences de notre corpus, il n’y a aucune ambiguïté. Ces exemples posent alors la question du choix par les locuteurs du pronom-déterminant au regard des pronoms relatifs simples.

– S’il n’y a pas contiguïté et s’il y a au moins un autre GN entre l’antécédent et le pronom relatif, ou si le GN antécédent est construit avec ou est inclus dans un complément du nom, il y a alors ambiguïté lors de l’emploi du pronom relatif in- troducteur de la subordonnée.

Ce deuxième cas de figure, à son tour, aboutit à trois autres situations :

– Il existe dans le co(n)texte du pronom relatif un ou plusieurs indices, syn- taxiques ou sémantiques, qui permettent de recruter le bon candidat antécédent.

Ce recrutement s’effectue souvent par saillance syntaxique comme nous l’avons montré, mais des indices divers permettent de confirmer ou d’orienter l’analyse le cas échéant : c’est le cas de l’exemple (9) donné plus haut, avec l’accord de mani-

festé qui permet d’éliminer le candidat féminin piété, ou avec l’exemple (27), où

l’ambiguïté est levée par la compatibilité du sens avec le prédicat de la relative. Comme le signale Pierre Le Goffic, « il n’y a pas d’ambiguïté qui ne puisse être levée par un contexte adéquat, et l’idée d’une ambiguïté insoluble n’est qu’une chimère. » (Le Goffic, 1981:197)11.

(9) [109]Grand sans contreditestle mystere de pieté,lequel

estmanifestéen chair, iustifié en esprit, veu des anges, presché aux gentils, creu au monde, et enleué en gloire. (Bérulle, 1623)

(27) [625] [...] & avec la lumiere nous vismes cette grotte ou chappelle voûtee qui est toute blanche, & la pierre qui fermoit le monument laquelle sert d’Autel pour y celebrer la saincte Messe [...] (Bénard, 1621)

– L’ambiguïté n’entraîne aucune difficulté de lecture, tous les candidats poten- tiels construisant la même interprétation de l’énoncé. Nous rencontrons cela avec des substantifs entretenant entre eux un rapport métonymique, tels les exemples (14) et (15) que nous avons commentés plus haut, ou encore l’exemple (28). Quand bien même le recrutement de l’antécédent ne se ferait pas par saillance syntaxique, autant le substantif tête que le complément du nom permettent de sai- sir le sens global de l’énoncé. Comme le précise Pierre Le Goffic : « Un énoncé peut parfaitement être déclaré ambigu sans avoir provoqué d’équivoque » (op.cit., p. 189).

(14) [119] […] et le gemissement encore que nous appre- nons de ce texte formel de l’apostre, lequel dit que toute crea- ture gemit apres l’entiere et parfaitte execution de la deliurance deuë aux éleus et enfans de Dieu […] (Bérulle, 1623)

11 Nous pouvons aussi citer Catherine Fuchs (2009:13-14) : « En définitive, ce que d’aucuns appellent

des “ambiguïtés virtuelles” ne sont que des points d’embarras transitoires, dont le récepteur triomphe au cours du processus interprétatif. En sorte qu’il y a beaucoup moins d’ambiguïtés effectives dans la communication qu’il n’y a de points d’embarras possibles pour l’humain (et, a fortiori, pour la machine). »

(15) [147] […] Mais principalement aussy pour la conserva- tion de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cete vie […] (Descartes, 1637)

(28) [675] Ce grand jardin, qui en fait la scène, est composé de trois rangs de cyprès, à côté desquels on voit alternative- ment en chaque châssis des statues de marbre blanc à l’antique [...] (Corneille, 1661)

– Il n’existe aucun indice contextuel patent qui permette de lever l’ambiguïté. Il s’agit des occurrences similaires à l’exemple commenté par Vaugelas (25a). Ce cas exemplaire est cependant le plus rarement rencontré, car il demande la con- jonction d’un grand nombre de paramètres. L’exemple suivant (29) est ainsi l’un des seuls dans lesquels nous pouvons prêter à LEQUEL un rôle désambiguïsant.

(29) [649] – j’advoue, ayant consideré ce que vous dites, respondit la nymphe, qu’il est vray, et qu’en presence il sur- vient plusieurs occasions qui ruinent l’amour, desquelles l’absence est exempte. Mais si ne sçauriez-vous me persuader qu’en voyant ce que l’on ayme, l’on n’augmente d’affection beaucoup plus qu’en ne le voyant pas, [...] (Urfé, 1610)

Dans cette occurrence, desquelles permet de recruter l’antécédent plusieurs occa-

sions qui ruinent l’amour, et non pas seulement le GN le plus proche, l’amour. Un

pronom relatif simple comme dont aurait pu créer une éventuelle ambiguïté entre les deux candidats : il aurait été effectivement possible de comprendre, avec dont, que « l’absence est exempte d’amour ». Comme le sens global de l’énoncé ne permet pas d’invalider définitivement cette hypothèse, le choix de desquelles au profit de dont pouvait effectivement s’imposer pour clarifier l’énoncé.

Néanmoins, deux arguments en particulier nous empêchent de considérer, à l’instar de Vaugelas ou des grammairiens qui l’ont suivi, que ce rôle désambiguïsant est ex- ploité par les locuteurs :

̶ D’une part, le recrutement de l’antécédent se fait généralement par proximité, ou, s’il est plusieurs candidats antécédents correspondants à la morphologie du pronom-déterminant, par saillance syntaxique et non par les indices de genre et de nombre de l’antécédent. Dans ces conditions, la morphologie de LEQUEL vient

confirmer le recrutement de l’antécédent, mais le locuteur n’exploite générale- ment pas ces indices pour orienter son interprétation initiale.

̶ D’autre part et surtout, le cotexte permet quasiment toujours de lever les am- biguïtés. Sa prise en compte est parfois nécessaire, comme nous l’avons vu avec les relatifs simples de l’exemple (26) ou dans les exemples (30) et (31) qui exi- gent, quoi qu’il advienne, de prendre en compte la suite du texte et le prédicat de la subordonnée pour construire l’interprétation. Il y a comme une mise en suspens de celle-ci au moment de l’emploi du pronom-déterminant, plusieurs choix étant possibles, avant que la suite du texte ne vienne lever toute difficulté de lecture.

(30) [196] [...] Ce vaste continent de l’Amérique est une moitié de la terre, laquelle, en dépit de nos prédécesseurs qui avoient mille fois cinglé l’océan, n’avoit point encore esté des-

couverte : aussy n’y estoit-elle pas encore, non plus que beau-

coup d’isles, de péninsules et de montagnes qui se sont sousle- vées sur nostre globe, [...] (Bergerac, 1655)

(31) [274] Ce cardinal ajoute, poursuit-il, que si l’on excepte les matières qui regardent la foi et les mœurs les commenta- teurs ont toute liberté d’exercer leurs talens dans leurs explica- tions ce qui se prouve par l’exemple de tous les commentateurs catholiques, qui ont publié leurs commentaires, depuis le con- cile de Trente, lesquels se sont rendus illustres tant par leurs nouvelles interprétations que par leur érudition. (Bossuet, 1702)

En (30), les deux substantifs composant le GN une moitié de la terre sont féminins et singuliers : aucun indice morphologique n’est donc susceptible de nous aiguiller quant au recrutement du bon candidat antécédent. Il faut attendre le prédicat de la su- bordonnée n’avoit point encore esté descouverte pour comprendre l’énoncé, et ce grâce à son sens global. L’exemple (31) est du même ressort, dans la mesure où l’on pourrait croire que l’antécédent de lesquels est le dernier GN masculin pluriel à sa gauche, c’est-à-dire leurs commentaires ; mais la confrontation de cette hypothèse avec le sens de la subordonnée introduite permet d’éliminer cette solution, et de comprendre que le bon antécédent est bien le GN syntaxiquement saillant tous les commentateurs catho-

liques.

En réalité, nous n’avons pas trouvé dans notre corpus d’occurrences mettant uni- quement en jeu la morphologie de LEQUEL dans le recrutement de l’antécédent. Celle-ci

apparaît superfétatoire, quelle que soit la configuration de l’énoncé : antécédent long et complexe (32), construit avec une expansion nominale (33) ou contigu au pronom- déterminant (34).

(32) [55] Qvelqves peuples signalez dans l’antiquité pro- fane, celebrez dans les lettres sacrées, et honorez de la garde et tutelle du peuple de Dieu, et du fils vnique de Dieu mesme, en l’estat de sa minorité et de sa saincte enfance, lesquels en leurs actions et documents estoient pleins de figures enigmatiques et hieroglyphiques ; auoient accoustumé de representer la religion par vn certain animal [...] (Bérulle, 1623)

(33) [519] [...] ils déjeunèrent, dinèrent, goutèrent et soupè- rent tout ensemble, contentant leur estomac avec bonne quanti- té des viandes froides que messieurs les prêtres qui accompa- gnaient le défunt (lesquels rarement se laissent souffrir) por- taient sur un mulet de bagage. (Oudin, 1614)

(34) [233] [...] on se fait en même temps une conscience fondée sur l’honnêteté des sentiments qu’on y voit, qui éteint la crainte des âmes pures lesquelles s’imaginent que ce n’est pas blesser la pureté, d’aimer d’un amour qui leur semble si sage. (Pascal, 1669)

En (32), quand bien même l’antécédent du pronom serait particulièrement long et complexe, le GV estoient pleins exige de reprendre un GN masculin pluriel, et seul

Quelques peuples… répond à cette condition. En (33), le GV se laissent souffrir permet

de comprendre, même sans l’indice apporté par lesquels, que l’antécédent est bien

messieurs les prêtres… et non le défunt. Enfin, en (34), le GV s’imaginent permet de

comprendre que l’antécédent est bien le complément du nom [l]es âmes pures et non

la crainte. Le sens global des énoncés s’ajoute aux indices syntaxiques : on compren-

drait mal qu’un défunt « se laisse souffrir » à moins par l’intermédiaire d’un jeu de mot morbide (33) ou que la crainte « s’imagine » quelque chose (34). Les locuteurs exploi- tent donc tout un réseau d’indices pour lever les éventuels problèmes interprétatifs, et la solution est choisie lorsque la majorité des éléments coïncide vers une et une seule interprétation comme l’observait Pierre Le Goffic (1981:196-200).

Un argument peut nous être ici opposé : il est possible d’arguer que les occurrences mettant en jeu le contexte au sein de la désambiguïsation de l’énoncé nécessitent de revenir sur un point précis du continuum textuel pour actualiser son interprétation. Non

seulement cela peut être perçu comme coûteux pour les locuteurs, mais la tendance linguistique du XVIIe siècle, après l’exubérance du moyen français, a été d’éviter autant que faire se pouvait ces difficultés d’interprétation comme le rappelle Gilles Siouffi.

Alors que le modèle d’écriture périodique régnant au XVIe siècle autorisait une construction des constituants ayant entre eux des relations distantes, passant par- fois par l’ellipse ou l’anaphore, il semble qu’un mouvement se soit dessiné, au début du XVIIe siècle, tendant à privilégier des façons d’écrire exhibant un rappro- chement de ces constituants. (Siouffi, 2010:126)

Selon cette conception de l’énoncé, qui renvoie notamment à la « netteté de stile » que défendait Vaugelas ([1647] 1934:414 sq.), les auteurs doivent veiller à la compré- hension de l’énoncé mot à mot et éviter toute difficulté d’interprétation même si, comme nous l’avons vu, il est rare qu’un pronom relatif simple provoque une telle am- biguïté. En ce sens, nous pourrions considérer que dès l’instant où il pourrait exister, dans une lecture linéaire de l’énoncé, une hésitation quant au recrutement de l’antécédent, LEQUEL devrait être employé et ce bien que ces problèmes

d’interprétation aient surtout été repérés par les doctes : « il y a ici une artificialité de lecture, à rechercher cette ambiguïté, en s’aidant précisément des seules ressources de la grammaire » (Siouffi, 2010:77).

En admettant que les auteurs suivent cette règle de clarté absolue, il leur faudrait employer le pronom-déterminant dès l’instant où le pronom relatif introducteur de la subordonnée n’est pas directement contigu à son antécédent. La morphologie de LE- QUEL, bien qu’inutile au regard des différents indices fournis par le contexte élargi,

oriente immédiatement l’interprétation et évite d’avoir à l’actualiser ultérieurement. Dans cette conception du texte, ce dernier est perçu comme une continuité linéaire, les locuteurs « assimil[ant] syntaxe du français et question d’ordre des mots » (Siouffi,

op.cit., p. 126) et plus que la saillance syntaxique des différents constituants, c’est leur

organisation spatiale qui guiderait l’analyse du continuum textuel.

Néanmoins, même si nous ne considérons que les « seules ressources de la gram- maire » et si nous nous fondons uniquement sur le paramètre de la contiguïté entre

LEQUEL et son antécédent, nous observons que les auteurs, autant à la fin du XVIe qu’au

début du XVIIIe siècle, emploient le pronom-déterminant sans qu’une équivoque, réelle comme artificielle, ne soit à lever parmi les 629 occurrences de fonctions directes que nous avons étudiées, ce qui témoigne d’un usage distinct des recommandations et ob-

servations des grammairiens (Figure 6). Nous n’avons pas opéré ce décompte pour les

LEQUEL prépositionnels puisque leur emploi est également tributaire du trait

[± humain] de l’antécédent et non pas uniquement de critères relevant de la notion d’ambiguïté (cf. § I.1.1.1), ce qui aurait biaisé nos résultats.

Figure 6 – Proportion de LEQUEL désambiguïsants (bleu) (fonctions directes, période classique)

Partant, que l’on considère le continuum textuel uniquement selon sa linéarité ou, au contraire, que l’on prenne en compte le contexte élargi et ses différents indices, l’emploi du pronom-déterminant témoigne davantage d’un libre choix des locuteurs que d’une contrainte liée à la désambiguïsation de l’énoncé. Seuls certains auteurs, tels Boileau, Corneille ou Saint-Évremond, ne l’emploient que pour faciliter l’interprétation du continuum textuel et, comme nous pouvions le prévoir, ils ne l’emploient alors que peu.

Décrire LEQUEL uniquement comme un instrument de levée des équivoques n’est

donc pas satisfaisant du point de vue linguistique. Si sa morphologie permet effective- ment, dans de rares énoncés, de faciliter l’interprétation, les locuteurs ne font le plus souvent nullement appel à celle-ci et emploient le pronom-déterminant comme un équivalent fonctionnel des pronoms relatifs simples. Paradoxalement, cela est cohérent avec cette linéarité du continuum textuel et avec la règle de proximité qu’édictent les différents grammairiens du Grand Siècle : puisqu’il convient de rapprocher dans l’énoncé les constituants en directe relation grammaticale, il est attendu de trouver con- tigus LEQUEL et son antécédent. Sa permanence le long du XVIIe siècle dans ces emplois indiquerait que son rôle ne peut se réduire à celui des pronoms relatifs simples qui sont, depuis le moyen français, bien plus employés que le pronom-déterminant12.

Nous pouvons considérer que contrairement à ce qu’affirment les discours métalin- guistiques, le pronom-déterminant n’a pas en discours de rôle désambiguïsant. S’il peut éventuellement faciliter le recrutement du bon candidat antécédent en reprenant ses indices de genre et de nombre, c’est toujours en sus d’autres principes de recrute- ment, par saillance locale ou par saillance syntaxique. Ce n’est donc pas ici que s’établit syntaxiquement la distinction avec les pronoms relatifs simples : l’emploi du pronom-déterminant témoigne d’un marquage linguistique qui n’engage ni le recrute- ment de l’antécédent, ni la notion d’ambiguïté.

II.1.2 – Propriétés de la subordonnée

Puisque le pronom-déterminant n’est pas un outil désambiguïsant, son emploi doit