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sémantiques et référentielles

II. 2.1.2 – Antécédents non-humains définis

Aux côtés des référents renvoyant à l’humain, les expressions référentielles définies jouissent également, sur une échelle communicationnelle de « familiarité » pour re- prendre les analyses de Georges Kleiber (1994:116), d’une haute saillance*. Nous avons observé dès lors quel était le mode de référence des antécédents le plus souvent rencontré dans notre corpus, et voici les résultats que nous avons obtenus (Tableau 10a) :

Fonction du pronom- déterminant

Mode de référence de l’antécédent Déterminant

Défini

Déterminant Indéfini

Déterminant

zéro Nom propre

Fonctions directes

(629 occ.) 366 (58,2%) 167 (26,6%) 9 (1,4%) 87 (13,8%)

Fonctions prépositionnelles

(297 occ.) 174 (58,6%) 109 (36,7%) 7 (2,4%) 7 (2,4%)

Total (926 occ.) 540 (58,3%) 276 (29,8%) 16 (1,7%) 94 (10,2%)

Tableau 10a – Mode de référence des antécédents de LEQUEL (toutes fonctions, période classique)

Nous voyons qu’une majorité d’antécédents sont construits à l’aide de déterminants définis (540 occurrences sur 926, 58,3%). Nous retrouvons cette tendance lorsque nous ôtons de ces résultats les antécédents animés humains, puisque nous les avons étudiés précédemment (Tableau 10b).

Fonction du pronom- déterminant

Mode de référence de l’antécédent [- humain] Déterminant

Défini

Déterminant Indéfini

Déterminant

zéro Nom propre

Fonctions directes (346 occ.) 220 (63,6%) 115 (33,2%) 8 (2,3%) 3 (0,9%) Fonctions préposition- nelles (245 occ.) 153 (62,4%) 91 (37,1%) 0 (0%) 1 (0,4%) Total (591 occ.) 373 (63,1%) 206 (34,9%) 8 (1,4%) 4 (0,7%)

Tableau 10b – Mode de référence des antécédents [- humain] de LEQUEL

(toutes fonctions, période classique)

Partant, ce sont les antécédents définis qui sont les plus représentés dans notre cor- pus (123 et 124).

(123) [123] C'est la naissance d'vn Dieu-homme, et d'vn homme-Dieu. C'est la naissance de l'ordre et de l'estat de l'vnion hypostatique, lequel porte hors de Dieu la saincteté la plus haute et la plus eminente qui soit possible, et la plus proche de la saincteté superessentielle de Dieu mesme, que cét ordre et estat supréme enclost et comprend en soy-mesme, comme sa forme et son principe. (Bérulle, 1623)

(124) [410] Bref, les hommes les plus raisonnables, ce sont ceux qui vivent selon les loix de la nature, laquelle nous doit tousjours incliner à la vertu de sçavoir supporter les infirmités de nos amis, mesmes de ceux lesquels nous devons suivre ; c'est pourquoy Messieurs, nous vous prions, monsieur le Capi- taine et moy, de quitter ces riotes et picoteries, qui sont plus propres à des jeunes femmes qu'à des hommes de vostre aage. (Gougenot, 1633. Cf. ex. 36, p. 121)

Comme nous l’avons montré lors de notre première partie, les GN définis jouissent dans l’énoncé d’une haute identifiabilité* et d’un haut potentiel de reprise anapho- rique* (cf. § I.2.2) : nous pouvons dire qu’ils sont, du point de vue référentiel, des can- didats attendus pour le processus de relativation*. Nous en revenons à notre probléma- tique fondamentale, similaire à celle que nous posions dans notre parcours syntaxique : pourquoi les locuteurs emploient-ils le pronom-déterminant LEQUEL pour introduire des

subordonnées relatives plutôt qu’un pronom relatif simple, s’il ne s’agit pas de ré- soudre un problème d’accessibilité* ou de saillance des référents antécédents ?

Nous faisons l’hypothèse que l’emploi du pronom-déterminant, même lorsque son antécédent n’est pas un animé humain, opère le même type d’anaphore qualitative*. Il s’agit encore une fois pour les locuteurs d’indiquer que l’antécédent doit être pris selon ses propriétés ou selon ses traits notionnels, en s’appuyant sur une conception du monde partagée par les locuteurs (ou en présageant qu’elle est bel et bien partagée), et sur un déclencheur d’antécédent. Si nous reprenons nos deux exemples précédents, l’exemple (123) s’appuie sur une connaissance théologique, et l’idée que le locuteur sait d’ores et déjà ce qu’est l’union hypostatique ; en (124), que la nature aide effecti- vement les êtres humains à être raisonnables. LEQUEL ensuite, soit dans une optique de

narration, soit dans une optique de description, explicite ces propriétés spécifiques des antécédents pour construire le sens. Il réactive une connaissance intuitivement connue du lecteur ou considère qu’il la connaît effectivement, par exemple pour mieux rem- porter son adhésion. Considérons l’exemple suivant pour illustrer cette idée (125) :

(125) [362] Leur reconnoissance fut égale à leur discrétion. Celle que je leur avois témoignée de leur honnêteté les toucha tellement, qu'ils pleuroient tous quand je les quittai pour pren- dre terre à Piombin. C'est où je termine le troisième volume et la seconde partie de mon histoire, parce que ce fut proprement le lieu où je recouvrai ma liberté, laquelle, jusque-là, avoit été traversée par beaucoup d'aventures. Je vais travailler au reste

du compte que je vous dois de ma vie, et qui en contiendra la troisième et dernière partie. (Retz, 1679)

Cet extrait est issu de la fin du troisième tome des Mémoires du Cardinal de Retz, consacré à son implication dans la Fronde et à ses manigances auprès des Grands de la Cour du Roi. Ces intrigues politiques terminées, il se retire à Piombin, en Italie, pour y recouvrer [s]a liberté. Le lecteur qui a cependant suivi les Mémoires sait qu’il ne faut pas prendre ce terme dans un sens premier, mais plutôt dans le sens d’une liberté intel- lectuelle. Le pronom-déterminant permet alors d’attirer l’attention sur un terme parti- culier et d’en provoquer une interprétation, d’en réactiver un sens spécifique : sans cela, le lecteur aurait pu effectivement se demander quelle liberté le Cardinal évoquait, alors qu’il n’avait jamais été question, stricto sensu, d’emprisonnement. Si le contenu de la subordonnée vient par la suite lever toute mauvaise interprétation, le pronom- déterminant a permis de ralentir quelque peu la lecture pour provoquer cette analyse sémantique qualitative et mieux articuler les différentes informations du texte. Nous y reviendrons davantage lors de notre partie suivante.

Si cette opération qualitative est assez marquée dans le cadre des fonctions directes du pronom-déterminant, nous ne la retrouvons pas toujours en revanche pour les fonc- tions prépositionnelles : elles peuvent en effet participer à la détermination de leur an- técédent plutôt que de s’appuyer sur celle-ci pour construire le sens de l’énoncé (126). Nous l’avions observé précédemment (cf. § I.1.3) : autant les fonctions directes établis- sent une coréférentialité* parfaite avec leur antécédent, autant les fonctions préposi- tionnelles se moulent davantage dans le paradigme des pronoms relatifs simples et n’exigent pas nécessairement cette coréférentialité.

(126) [821] Il fut touché de mon horreur pour le vice et dit ces paroles : « ô Vénus, je reconnois votre puissance et celle de votre fils ; j'ai brûlé de l'encens sur vos autels ; mais souffrez que je déteste l'infâme mollesse des habitants de votre île et l'impudence brutale avec laquelle ils célèbrent vos fêtes ». En- suite il s'entretenoit avec Mentor de cette première puissance qui a formé le ciel et la terre ; de cette lumière simple, infinie et immuable, qui se donne à tous sans se partager ; de cette vérité souveraine et universelle qui éclaire tous les esprits, comme le soleil éclaire tous les corps. (Fénelon, 1699. Cf. ex. 4, p. 101 et ex. 40, p. 123)