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1.2.2 – Comparaison des tiroirs verbaux des propositions

sémantiques et référentielles

II. 1.2.2 – Comparaison des tiroirs verbaux des propositions

La comparaison des tiroirs verbaux entre les propositions subordonnées et matrices ne semblent pas donner de prime abord de tendance particulière : comme le montrent nos relevés (Tableau 4), quelle que soit la fonction de LEQUEL, les temps employés

dans les propositions sont autant identiques que distincts, sans qu’un modèle spéci- fique n’émerge quant à ce seul paramètre.

Fonction du pronom- déterminant

Les tiroirs verbaux sont-ils identiques entre les propositions ?

Oui Non Fonctions directes (629 occ.) 270 (42,9%) 359 (57,1%) Fonctions prépositionnelles (297 occ.) 140 (47,1%) 157 (52,9%) Total (916 occ.) 410 (44,8%) 506 (55,2%)

Tableau 4 – Comparaison des tiroirs verbaux entre propositions matrice et subordonnée (toutes fonctions, période classique)

Si nous étudions les choses plus précisément, nous pouvons dégager trois cas proto- typiques dans notre corpus, cas que nous pouvons associer à une certaine interprétation sémantique de la subordonnée relative. Nous les présenterons par ordre de fré- quence dans notre corpus :

– Lorsque les tiroirs verbaux sont identiques entre les propositions, le présent de l’indicatif domine nos relevés (238 occurrences sur 410, 58%). Cela est lié à la forte fréquence du pronom-déterminant dans les textes d’idées, généralement écrits au présent (44 et 45). Comme nos occurrences sont notamment issues de ces textes, cela explique la grande représentation de cette configuration.

(44) [141] Car bien que je n’ayme pas la gloire par excés ; ou mesme, si je l’ose dire, que je la haïsse, en tant que je la

juge contraire au repos, lequel j’estime sur toutes choses [...]

(Descartes, 1637)

(45) [731] L'intrépidité est une force extraordinaire de l'âme

par laquelle elle empêche les troubles, les désordres et les

émotions que la vue des grands périls a accoutumé d'élever en elle ; par cette force les héros se maintiennent en un état pai- sible, et conservent l'usage libre de toutes leurs fonctions dans les accidents les plus terribles et les plus surprenants. (La Ro- chefoucauld, 1665)

Le présent est ici surtout employé dans une valeur omnitemporelle et décrit des vérités jugées valables à toutes les époques : ce peut être un énoncé engageant di- rectement la réflexion d’un auteur et marquée par l’emploi de la première per- sonne du singulier (44), ou une formulation plus générale sur le monde et son fonctionnement mettant à profit des substantifs à interprétation générique comme

l’intrépidité (45). L’emploi du présent dans ces relatives semble prolonger la ré-

flexion initiée par la proposition matrice sans la subordonner à celle-ci : les pro- positions sont sur le même plan d’interprétation et la relative participe pleinement à la réflexion se construisant.

– Le passé simple est également souvent employé concomitamment dans les subordonnées et les propositions matrices (80 occurrences sur 410, 19,5%). La subordonnée introduit dans ces configurations une nouvelle action accomplie par l’antécédent de LEQUEL sujet (46), ou par le référent agissant de la subordonnée

dans le cas des fonctions objet et prépositionnelles (47).

(46) [273] Ils périrent dans le cinquième et dans le sixième siècle et en mourant ils laissèrent quelque germe de gens les-

quels conservèrent quelques-uns de leurs dogmes, comme

l'abstinence de certaines viandes et le mépris des sacremens de l'Eglise. (Bossuet, 1689)

(47) [690] Mais comme ils se virent investis, & que de jour en jour la ncessité les pressoit, ils demanderent soixante jours de trève, au bout desquels ils promirent de se rendre s'ils nes- toient secourus ; de sorte que le secours ne venant point, ils se rendirent au jour assigné. (Vaugelas, 1709)

Le passé simple ayant notamment pour rôle de donner une vision globale du procès décrit, aux bornes initiales et finales clairement établies (Riegel et al., 2014:536-538), les subordonnées introduites sont interprétées ici comme des nar- ratives. Elles permettent de poursuivre le fil narratif principal de l’énoncé et le pronom relatif s’interprète comme un jalon, un marqueur faisant rebondir le pro- pos initié par la matrice. Dans ces occurrences encore une fois, la subordonnée n’est pas accessoire à la compréhension et se situe sur le même plan d’interprétation que la proposition matrice.

– Lorsque les tiroirs verbaux diffèrent, nous retrouvons régulièrement une al- ternance entre le passé simple (dans la matrice) et l’imparfait (dans la subordon- née). C’est la configuration la plus rencontrée dans notre corpus en cas de diffé- rence dans les tiroirs verbaux employés (180 occurrences sur 506, 35,6%) : la su- bordonnée apporte un arrière-plan descriptif tandis que la matrice prend en charge l’action du premier plan (48 et 49).

(48) [573] Le mercredi matin seiziesme de Decembre, que la mer s'esmeut derechef, les vagues remplirent si soudainement la barque, laquelle dès le retour des isles Fortunees, estoit

amaree à nostre naviere, que non seulement elle fut submergee

& perdue, mais aussi deux matelotz qui estoyent dedans pour la garder furent en si grãd danger qu'à peine, en leur jettant hasti- vement des cordages, les peusmes nous sauver & tirer dans le vaisseau. (Léry, 1611)

(49) [790] Certes, c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder ju- gement constant et uniforme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins contre laquelle il estoit fort ani- mé, en consideration de la vertu et magnanimité du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la faute publique, et ne reque- roit autre grace que d'en porter seul la peine. Et l'hoste de Sylla ayant usé en la ville de Peruse de semblable vertu, n'y gaigna rien, ny pour soy ny pour les autres. (Montaigne, 1580)

Dans ce type d’occurrence, la subordonnée joue sur une interprétation aspec- tuelle contrastive avec la matrice : celle-ci, au passé simple, décrit un événement d’aspect global, enfermé dans des limites, tandis que la proposition subordonnée à l’imparfait, qu’il s’agisse d’un verbe d’action (48) ou d’état (49), décrit un évé- nement sécant, sans borne finale clairement établie, un « déjà-là » qui fait office de décor à l’action principale. Ce fonctionnement n’est pas spécifique aux rela- tives en LEQUEL mais commun à toutes les subordonnées, comme l’explique Ber-

nard Combettes dans son étude sur les constructions détachées :

[O]n constate que la subordination permet de marquer, dans de nombreux cas, le second plan, alors que la proposition principale, enchâssante, est plutôt réservée à la traduction du premier plan. Ceci s’explique assez facilement : la subordonnée est apte, au niveau temporel, à signaler une simultanéité ou une antériorité qui correspond à un retour en arrière, ce qui situe les relations chronologiques dans un autre cadre que le premier plan principal. (Combettes, 1998:70)

La subordonnée relative est dans ces occurrences d’interprétation explicative : son rôle est d’apporter une précision sur la situation où se déroule l’action princi- pale, rôle qu’elle partage avec les propositions introduites par les pronoms relatifs simples (50).

(50) L'ambassadeur s'étendit fort au long sur les justifica- tions qui étaient dans la lettre, et que messieurs les états

s'étaient examinés scrupuleusement, pour voir ce qu'ils auraient pu faire qui déplût à sa majesté, qu'ils n'avaient jamais manqué de respect […] (Sévigné, 1675, p. 409. Cote Frantext : R223)

Aux côtés de ces différentes configurations, nous rappelons également l’existence de propositions participiales introduites par LEQUEL, propositions que nous avions pré-

sentées précédemment (cf. § I.2.1). Ces cas sont rares dans notre corpus (21 occur- rences sur 916, 2,3%). Nous avons trouvé là des participes présents (51) et des parti- cipes passés (52 et 53), ces derniers étant les plus représentés13.

(51) [33] […] et c'est où se termine la communication de Dieu en soy-mesme, et hors de soy-mesme ; en soy-mesme, au sainct esprit ; hors de soy-mesme, en l'esprit sainct et sanctifié par la grace : laquelle ayant ainsi hautement et diuinement sa source primitiue en la communication du pere au fils, et du pere et du fils au sainct esprit ; il nous est facile de croire et d'entendre que comme en ce premier mystere de la trinité, se- lon nostre supposition precedente, il y a vnité et fecondité tout ensemble […] (Bérulle, 1623)

(52) [386] [...] Basile, en rompant la promesse qu’il m’avoit faite de ne prendre Geneviefve, s’adressa de plain saut à elle, et moy à sa cousine, pour dancer un branle. Lequel estant fini, chascun se mist à deviser avecques celle qu’il menoit. (Tur- nèbe, 1584. Cf. ex. 57, p. 56)

(53) [343] [...] C’est, à mon avis, sur ce fondement qu’il faut opiner, lequel supposé, je ne balance point à croire que nous ne sommes pas obligés à tenir l’accommodement [...] (Retz, 1679.

Cf. ex. 58, p. 56 – 57)

Comme nous le soulignions lors de leur présentation, ces occurrences constituent un argument supplémentaire pour analyser le pronom-déterminant comme une expression référentielle en tant que telle. Nous rappelons aussi que bien qu’il soit possible de trouver des occurrences similaires mettant en jeu des pronoms relatifs simples, ces derniers ne sont pas coréférentiels* à un GN antécédent spécifique : ils reprennent dans ces cas de figure un contenu propositionnel plus vaste (54).

13 Nous avons relevé 6 participes présents ([33], [102], [134], [406], [575] et [914]) et 15 participes

passés ([154], [168], [195], [247], [250], [263], [291], [301], [302], [313], [343], [386], [392], [439] et [626]).

(54) Ces paroles toucherent de sorte au coeur de Silvandre, cognoissant combien il avoit peu gaigné sur sa volonté, que ne pouvant cacher le desplaisir qu'il en ressentoit, son visage par un changement de couleur le descouvrit. De quoy Astrée s'ap-

percevant : vous est-il, luy dit-elle, survenu quelque defaillance

de cœur ? (Urfé, 1610, p. 90. Cote Frantext : Q883)

Pour les occurrences mettant en jeu le pronom-déterminant (50 – 53), nous n’avons pas trouvé de contraintes particulières concernant le tiroir verbal des propositions ma- trices : ce peut être un futur (51) ou un présent (53) par exemple, et la subordonnée peut intervenir dans une narration alternant imparfait et passé simple comme nous l’avons vu précédemment (55).

(55) [168] On lui lançoit force traits de loin, qu'il rejettoit contre les Ennemis, jusqu'à ce qu'il eût l'estomach percé d'un javelot, lequel ayant arraché, comme il n'en pouvoit plus, il

s'appuya sur son bouclier, puis tomba mort sur les armes.

(Vaugelas, 1709)

Les interprétations de ces subordonnées diffèrent selon le participe employé : le par- ticipe présent indique une action inaccomplie et concomittante à l’action de la matrice (51), tandis que le participe passé crée un arrière-plan et décrit un événement accompli et antérieur à celui de la matrice (52, 53 et 55). Nous notons que dans ce dernier cas, la forme composée du type [auxiliaire au participe présent + participe passé] est la mieux représentée (11 de nos 15 occurrences). Cela permet d’inscrire la subordonnée dans la continuité des configurations mettant en jeu le participe présent, comme nous le verrons ci-après.

Pour résumer cette section, nous dirons que les subordonnées en LEQUEL se spéciali-

sent dans deux types de configuration concernant leurs tiroirs verbaux, en comparaison des propositions matrices : (i) en cas de tiroirs verbaux distincts, la subordonnée traduit un arrière-plan descriptif ou explicatif, à l’instar de ce que l’on observe avec les subor- données en général, (ii) en cas de tiroirs verbaux identiques, la subordonnée prolonge l’action de la matrice et ajoute une information de grande importance à la compréhen- sion de l’énoncé. Nous pouvons notamment relier ces dernières occurrences à la posi- tion de clausule qu’occupe la subordonnée, ces deux paramètres participant au prolon- gement qu’elle peut produire dans l’énoncé. Quant aux occurrences de propositions participiales, leur interprétation diffère selon le participe : le participe présent tend à

prolonger l’action de la proposition matrice, tandis que le participe passé crée un ar- rière-plan explicatif.