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sémantiques et référentielles

II. 2.1.1 – Antécédents renvoyant à l’humain

Nous avons vu que le recrutement de l’antécédent de LEQUEL s’effectue traditionnel-

lement par saillance* locale ou, en cas de non-contiguïté entre les éléments, par sail- lance syntaxique (cf. § II.1.1). Nous avons cependant observé dans notre corpus des occurrences qui court-circuitent ce dernier mode de recrutement, LEQUEL reprenant le

référent le plus proche de lui dans la linéarité de l’énoncé et ce bien que les candidats potentiels soient de genre et de nombre identiques (100 et 101).

(100) [608] [...] Et de là à gauche vismes l’Eglise & Monas- tere dediee en l’honneur de Dieu & de saincte Anne, laquelle Eglise est à présent mosquee, & n’est permis d’y entrer : au lieu d’icelle estoit jadis la maison de sainct Joachim & de saincte Anne, laquelle y conceut la Vierge Marie, & delà le gardien ou santon nous permit de descendre dans un lieu fort obscur qui est la chambre où la sacree Vierge Marie nasquit. (Bénard, 1621)

(101) [432] A peine avait le beau Apollon étendu sur la face de l’ample et spacieuse terre les tresses dorées de ses beaux cheveux, et à grand’peine les petits et diaprés oisillons avec leurs langues mélodieuses avaient salué d’une douce et melli- flue harmonie la venue de la rosine Aurore, laquelle abandon- nant la délicate couche de son jaloux mari, se montrait aux mortels par les portes et balcons du manchègue horizon [...] (Oudin, 1614)

Dans ces exemples, laquelle recrute les compléments du nom [de] saincte Anne et [de] la rosine Aurore et non pas l’ensemble des GN la maison de sainct Joachim & de

saincte Anne et la venue de la rosine Aurore, le sens des propositions subordonnées

introduites confirmant l’analyse. Nous avons trouvé cela dans 21 occurrences de la forme [N1 de N2] parmi les fonctions directes24 (21 sur 629, 3,3%). Dans ces occur-

rences, il ne s’agit pas cependant d’un recrutement par saillance locale, mais davantage par saillance sémantique : le référent renvoyant à l’humain attire les rattachements référentiels et prend le pas sur l’analyse syntaxique de l’énoncé. Pour preuve de ce que nous avançons, nous avons observé que lorsque les deux candidats antécédents sont des animés humains, le pronom-déterminant fonctionne par saillance syntaxique, en recrutant le substantif hiérarchiquement dominant (102) :

(102) [290] […] non plus que le masson de Herodote, le-

quel, ayant loyallement conservé durant sa vie le secret des

thresors du Roy d'Egypte son maistre, mourant les descouvrit à ses enfans. (Montaigne, 1580)

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Ce sont les occurrences [16], [26], [93], [149], [151], [173], [286], [295], [296], [432], [436], [481], [482], [492], [495], [502], [511], [535], [597], [602] et [608].

Ce recrutement par saillance sémantique témoigne de l’importance de la représenta- tion cognitive de l’antécédent de LEQUEL dans l’esprit des locuteurs. Nous ferons tout

d’abord quelques remarques générales sur ces antécédents renvoyant à l’animé hu- main, avant de distinguer dans notre étude les référents noms propres et les référents noms communs.

Voici les résultats obtenus concernant le trait [± humain] des antécédents de notre corpus :

Fonction du pronom- déterminant

Trait sémantique de l’antécédent

Non humain Humain

Fonctions directes

(629 occ.) 346 (55%) 283 (45%)

Fonctions prépositionnelles

(297 occ.) 247 (83,2%) 50 (16,8%)

Total (926 occ.) 593 (64%) 333 (36%)

Tableau 8 – Trait [± humain] des antécédents de LEQUEL

(toutes fonctions, période classique)

Si globalement les antécédents non-humains sont les plus nombreux, une analyse de détail nous permet d’observer une spécialisation des fonctions prépositionnelles : celles-ci recrutent majoritairement des antécédents non-humains, animaux (103) ou inanimés (104).

(103) [739] Cette entrée fut fort belle à voir : car le roy de Castille envoyoit cent des plus beaux chevaux du monde au souverain pontife, et le propre cheval du roy de Maroc, et mesme celuy sur lequel le roy de Castille avoit gagné la ba- taille. (Scudéry, 1667)

(104) [807] Un jour que le primtemps rioit entre les fleurs Acante qui n'a rien que des soucis dans l'ame,

Pour fleschir ses destins, faisoit parler ses pleurs Humides tesmoins de sa flame ;

Et se representant les rigueurs de sa dame, Sembloit un morceau du rocher

Sur lequel ses pensers le venoient d'atacher.

(L’Hermite, 1633)

C’est ce paramètre qui préside à l’emploi de LEQUEL prépositionnel, les grammaires

d’usage enregistrant une tendance observable en discours. Nous reviendrons cependant plus loin sur les antécédents renvoyant à l’humain qu’ils recrutent, ceux-ci possédant des propriétés remarquables. En revanche, nous observons que les fonctions directes ne semblent pas spécialisées quant au trait sémantique de l’antécédent : les taux que nous avons obtenus sont proches de l’équilibre.

Nous avons vérifié si nous obtenions des résultats similaires dans le corpus PRES- TO : mais de la même façon que pour le paramètre de la contiguïté (Tableau 2), nous avons dû adopter une stratégie pour travailler avec des paramètres catégoriels et posi- tionnels. Nous avons pour ce faire utilisé une formule25 dans le logiciel TXM qui nous

permettait de vérifier si le substantif contigu à LEQUEL sujetétait bien son antécédent,

et la catégorie de ce dernier (nom commun ou nom propre) au regard de qui sujet. En revanche, nous n’avons pas pu inclure le trait sémantique de l’antécédent dans notre recherche du fait de l’étiquetage du corpus. En tenant compte du bruit et en ne compa- rant que les occurrences de structures similaires, nous avons obtenu les résultats sui- vants :

25 « [pos=“Nc|Np”][]{1,2}[lemma=“LEQUEL” & pos=“Pr”][pos=“Vuc|Vvc”] ». La formule demande

de trouver une séquence composée d’un substantif (nom commun ou nom propre), suivi d’une dis- tance d’un ou deux items (mot ou ponctuation) du pronom relatif LEQUEL, suivi immédiatement d’un

verbe conjugué à un mode personnel. Pour comparer ces résultats avec qui, nous avons remplacé la valeur « lemma… » par « word=“qui” ».

Catégorie de l’antécédent contigu

Pronom relatif sujet

LEQUEL (2 092 occ.) Qui (29 356 occ.)

Nom commun 1821 (87%) 26 783 (91,2%)

Nom propre 271 (13%) 2573 (8,8%)

Tableau 9 – Catégorie (nom commun/nom propre) des antécédents de LEQUEL et de qui dans le corpus PRESTO (fonction sujet, période classique)

S’il était attendu de trouver davantage de noms communs que de noms propres an- técédents, ces derniers étant généralement plus rares dans les textes, nous voyons sur- tout que les antécédents du pronom-déterminant sont, plus régulièrement que pour les formes simples, des noms propres ; de plus, et à ce que nous pouvons extrapoler à par- tir des cent premières occurrences relevées, ces antécédents noms propres sont surtout des animés humains26. Il y aurait donc une relation entre le trait sémantique [+ humain]

de l’antécédent et LEQUEL, relation que nous avons interrogée en fonction de la catégo-

rie grammaticale de l’antécédent. Pour explorer cette hypothèse, nous nous sommes arrêté sur deux catégories de substantifs renvoyant à des animés humains : d’une part les noms propres, d’autre part des noms communs particuliers, renvoyant à des titres hiérarchiques ou à des statuts sociaux divers. Nous aborderons ces deux catégories l’une après l’autre, en étudiant tout d’abord les fonctions directes de LEQUEL.

– Un nom propre désigne « des personnes, des objets, des lieux, etc. » (Riegel

et al., 2014:335). Contrairement à un nom commun, il ne varie pas en nombre et il

n’est généralement pas précédé d’un déterminant27

; il peut néanmoins être com- plété par un titre hiérarchique ou un statut social (Monsieur X, la Marquise de Y, le

Général Z...). Si l’on ignore encore si le nom propre à un sens à proprement parler

et, le cas échéant, la nature de celui-ci28, on considère en revanche que son inter-

26 Sur les 100 premières occurrences d’antécédent de type « nom propre », 91 d’entre elles renvoyaient

à l’humain.

27 Certains noms propres sont cependant lexicalisés avec un article défini, et forment avec lui un en-

semble conceptuel soudé (Les Pyrénées, Le Corbusier, etc.). En outre, certains emplois discursifs permettent d’employer un déterminant devant nom propre pour créer divers effets sémantiques (ca- ractérisation typique, métonymie, relation affective…). Nous excluons de ce chapitre ces cas particu- liers d’antonomase, pour n’étudier que les noms propres prototypiques.

28

Nous renvoyons à Kleiber (1981:295-418) et à Riegel et al. (2014:335) pour une analyse de cette question.

prétation et ses implications varient selon qui l’écrit et qui le prononce. Bien que le nom propre soit en lui-même un désignateur direct et rigide comme le rappelle Kerstin Jonasson :

Désignateur direct, parce qu’il renvoie au particulier directement, sans l’intermédiaire d’un sens lexical codifié, désignateur rigide, parce qu’il désigne le même particulier dans tous les « mondes possibles » (Jonasson, 1994:65)

il possède également, selon des théories récentes, un sens secondaire, ou oblique,

souvent chargé d’affectivité et véhiculé d’une autre manière que le sens lexical, par une combinaison de sens, par l’étymologie du Npr., par la connaissance des interlocuteurs du référent du Npr., ou par autre chose encore. (Jonasson, 1994:122)

Ces deux dimensions du nom propre sont à mettre en relation avec le rôle anapho- rique* de LEQUEL, au regard des pronoms relatifs simples. Comme ces derniers sont,

pour reprendre les analyses de Michel Charolles que nous avions présentées précé- demment (cf. § I.2.1), des relais mémoriels qui « se contente[nt] de maintenir [leur] antécédent dans la mémoire des auditeurs/lecteurs » (Charolles, 2007:194-195), ils n’engagent pas directement une analyse de ces référents. Le pronom-déterminant va en revanche proposer quant à lui une sélection des propriétés pertinentes associées à l’antécédent pour articuler les effets de sens de l’énoncé, notamment en demandant de prendre en compte le « déclencheur d’antécédent » dont nous parlions précédemment.

Ce mécanisme de reprise s’effectue en deux temps, et est lié aux instructions sé- mantico-référentielles des deux éléments composant LE-QUEL. Nous avons dit plus haut

qu’il nous fallait analyser LEQUEL comme LEQUEL (N), soit comme un GN dans lequel

le N-tête ne serait pas réalisé : par conséquent, l’article défini effectue tout d’abord une antonomase, c’est-à-dire qu’il « opère une scission ou une division de l'individu por- teur du nom propre, en sélectionnant une de ses facettes ou une phase de son exis- tence » (Riegel et al., 2014:339). Par la suite, le marqueur qualitatif QUEL invite à pro-

duire un balayage des propriétés de l’antécédent, avant de fixer celles qui seront perti- nentes pour l’interprétation de l’anaphore. Kerstin Jonasson (1994:79-85) illustre cela en considérant une structure attributive comme (105a), et observe que la transforma- tion (105b), portant sur la qualité de roi de Charles Quint (soit son sens oblique), est parfaitement acceptable syntaxiquement alors que (105c), portant sur son identité (dé- signation directe et rigide), ne l’est pas.

(105a) Charles Quint est le Roi.

(105b) Quel est le Roi ?

(105c) *Quel est Charles Quint ?

L’association du déterminant défini et du marqueur qualifitatif invite les locuteurs à ne pas faire de LEQUEL un simple relais mémoriel, mais un instrument participant à la

compréhension de l’énoncé. L’emploi de LEQUEL permet de pointer un antécédent par-

ticulier et de lui associer ses propriétés pour déclencher l’interprétation de l’expression anaphorique composant le pronom-déterminant. En ce sens, le rôle de LEQUEL relatif

s’approche de LEQUEL interrogatif : une question posée par son intermédiaire (105d),

au regard de qui par exemple (105e), invite à sélectionner la réponse dans un domaine explicite ou implicite, mais dans tous les cas suffisamment pertinent pour permettre de répondre à la question posée. Une réponse nominale du type « Charles Quint » sera peu acceptable, tandis qu’elle sera davantage attendue pour une question en qui qui demande d’identifier précisément « le Roi », indépendamment d’un domaine de sélec- tion et de ses propriétés, fussent-elles ou non pertinentes au regard de la situation d’énonciation.

(105d) Lequel est le Roi ? (Le plus grand, le plus vieux, ce- lui de droite/de gauche ; ?Charles Quint)

(105e) Qui est le Roi ? (Charles Quint ; ?Le plus grand, ?le plus vieux…)

Cette identification et cette sélection de ces qualités ou de ces propriétés pertinentes associées au déclencheur d’antécédent peuvent se fonder sur les connaissances parta- gées entre l’auteur et son lecteur, comme en (106).

(106) [417] Je luy ay allegué l'antiquité de Romule, lequel institua les jeux de courses qui se faisoient à cheval, appellez Circenses, où l'on commençoit à representer en partie ce que nous pratiquons aujourd'huy, et que les peuples celebroient sur les Theatres l'honneur qu'ils portoient à leurs Dieux, par une resjouissance publique qui se faisoit par tout et mesme aux champs. (Gougenot, 1633)

Dans cet exemple, le pronom-déterminant s’articule autour du nom propre Romule : en tant que personnage historique et fondateur de la cité de Rome, il est le garant des

réjouissances publiques, ce qui explique qu’il soit à l’origine des courses de chevaux que décrit l’auteur ; il faut donc avoir une certaine connaissance mythologique pour saisir le rôle de LEQUEL dans cet extrait. Ce déclencheur d’antécédent peut également

s’opèrer contextuellement, comme dans les exemples (107) et (108).

(107) [208] Quand ils furent assez proche, quatre des plus robustes, après avoir trempé leurs mains dans un bénistier que tenoit tout exprès le serviteur du presbytère, me prirent au co- let. J’estois à peine arresté que je vis paroistre Messire Jean,

lequel tira desvotement son estole dont il me garota, et en suite

une cohuë de femmes et d’enfans qui, malgré toute ma résis- tance, me cousirent dans une grande nape ; au reste, j’en fus si bien entortillé, qu’on ne me voyoit que la teste. (Bergerac, 1655)

(108) [374] Mon Dieu, que ma mere est abusée ! Celuy qui parla à moy n’estoit autre que le Seigneur Basile, lequel s’estoit vestu des accoutremens d’Eustache, qui ne s’est jamais aperceu de l’affection mutuelle que Basile me porte. (Turnèbe, 1584)

Dans l’exemple (107), le personnage de Messire Jean a déjà été introduit par l’auteur dans l’univers du roman et un portrait en a été fait. Le lecteur connaît sa per- sonnalité et sa psychologie, son apparence, les détails de sa tenue vestimentaire et ainsi de suite. En employant lequel lors du retour de ce personnage dans l’histoire, l’auteur exploite le fonctionnement anaphorique du pronom-déterminant pour signaler au locu- teur qu’il faut prendre en compte les propriétés du nom propre, à la fois son sens direct et rigide et son sens oblique, pour construire le sens de l’énoncé. Le pronom- déterminant n’assure pas seulement une continuité référentielle qu’aurait pu prendre en charge qui : il articule une certaine facette du personnage, ici qu’il possède une estole, avec la suite de l’énoncé. Le pronom-déterminant attire l’attention sur un moment clé de l’énoncé et son emploi participe à la cohérence* de cette séquence narrative : l’auteur réactive par là un détail connu, mais enfoui dans la mémoire à long-terme du lecteur. Nous faisons la même analyse de l’exemple (108), où lequel opère une ana- phore qualitative* de son antécédent : il met en avant le déguisement du Seigneur Ba- sile, plutôt que ses autres propriétés, et rappelle en cela un événement antérieur de la pièce d’Odet de Turnèbe Les Contens.

Dans ces différents exemples, LEQUEL opère une sélection des propriétés pertinentes

de l’antécédent à partir d’une reprise globale, non spécifiée, de celles-ci. Cela explique dès lors qu’il recrute notamment des référents renvoyant à l’humain : ceux-ci possè- dent une complexité sémantique et référentielle que le pronom-déterminant peut articu- ler avec le reste de l’énoncé. Il annonce que le contenu sémantique de la proposition subordonnée est déjà connu de son lecteur ou, du moins, que l’auteur présage qu’il le connaît, et réactive une information qui n’est pas centrée dans l’esprit du locuteur. Cette anaphore qualitative permet ensuite à l’auteur d’introduire une subordonnée ex- plicative ou narrative, mais elle ne peut participer en aucune façon à la détermination référentielle de l’antécédent : LEQUEL (N) équivaudrait sémantiquement à la périphrase

le seul et unique N qui est quel, c’est-à-dire qui possède ces qualités pertinentes de N sélectionnées par le cotexte. Cela lui permet enfin d’avoir un rôle similaire au relatif de

liaison*, comme nous le remarquions précédemment (cf. § I.2.3).

Notamment, ce fonctionnement qualitatif se rencontre dans les discours juridiques, y compris parodiques à l’instar de l’exemple (109). Dans cet exemple, lequel a moins pour rôle d’identifier le personnage de Hiérome que de le qualifier en tant que prévenu au sein d’un procès-verbal : c’est le seul et unique Hiérome qui a pour qualité d’être

l’auteur d’une action répréhensible.

(109) [238] Un soufflet ! Écrivons.

Lequel Hiérome, après plusieurs rébellions,

Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue,

Et fait tomber, d’un coup, mon chapeau dans la boue.

(Racine, 1668)

Associer dès lors, comme le font les grammaires (cf. Introduction), LEQUEL au dis-

cours juridique sous l’angle exclusif de la désambiguïsation des énoncés n’est pas sa- tisfaisant ; du moins, il faut associer à cette clarté morphosyntaxique une clar- té sémantico-référentielle qui articule les différents effets de sens de l’énoncé.

– Ces analyses concernant les antécédents noms propres peuvent être menées pour les noms communs renvoyant à des animés humains par l’intermédiaire de leur statut social. Dans cette problématique, le critère de la détermination de l’antécédent ne semble pas pertinent : sur les 189 antécédents relevant de cette ca- tégorie, 109 d’entre eux sont définis, ce qui représente un peu plus de la moitié des occurrences (57,7%). Tout dépend s’il s’agit de la première mention du réfé-

rent antécédent dans l’énoncé (110) ou non (111). Notons que dans ce premier cas de figure, nous sommes dans le cas d’un des énoncés prototypiques donnés par Vaugelas quant à l’emploi de LEQUEL comme introducteur d’une « narration con-

sidérable »29.

(110) [371] Sa femme, une fille, deux servantes, un servi- teur, lequel s'en retourna en son pais apres la mort de son maistre. (Amboise, 1584)

(111) [207] [...] on n’y parloit plus de moy que comme d’un nouvel Agrippa ; et nous sceûmes qu’on y avoit mesme infor- mé contre moy à la poursuite du curé, lequel avoit esté précep- teur de ses enfans. Nous en eûmes advis par plusieurs per- sonnes qui estoient dans les intérêts de Colignac et du mar- quis ; et bien que l'humeur grossière de tout un païs nous fut un sujet d'étonnement et de risée, je ne laissay pas de m'en effrayer en secret, lors que je considérois de plus près les suites fâ- cheuses que pourroit avoir cette erreur (Bergerac, 1655)

Nous analysons ces expressions de la même façon que les noms propres dans la me- sure où elles renvoient non pas à une simple fonction hiérarchique (le président de la

république est le représentant de l’état français) mais à une entité fixe et reconnais-

sable, substituable par le nom propre correspondant auquel il est coréférentiel* (le Pré-

sident de la République [= François Hollande] s’est rendu au Mali en 201330). L

E- QUEL permet une fois encore d’opérer une anaphore qualitative et de mettre en avant,

au titre d’une connaissance partagée du monde entre l’auteur et le lecteur, une proprié- té particulière de ce dernier, sélectionnée pour sa pertinence à cet instant du texte. Res- pectivement dans les exemples (110) et (111), il s’agit du devenir d’un des serviteurs dont parle le personnage d’Augustin, et du rôle de précepteur du curé des Estats et

empires du Soleil. La sélection de ces propriétés pertinentes, effectuée à partir d’une

reprise non-spécifiée de celles-ci, facilite la compréhension du propos subséquent en mettant en avant une information dont l’absence aurait pu ralentir ou compliquer l’interprétation.

29 « Il y avait à Rome un grand Capitaine, lequel par le commandement du Senat, &c. » (Vaugelas,

[1647] 1934:116).

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Nous renvoyons à Jonasson (1994:21) pour une discussion sur la catégorie « élargie » des noms propres.

Si les mécanismes que nous avons décrits se rencontrent surtout aux fonctions di- rectes, il nous faut les préciser concernant les fonctions prépositionnelles. En accord avec nos résultats (Tableau 8), nous rappelons que la majorité des occurrences relevées de LEQUEL prépositionnel (246 occurrences sur 297, 82,8%) reprend des antécédents

inanimés, ou animés non-humains (112 – 114). Contrairement aux fonctions directes, les fonctions prépositionnelles se sont donc spécialisées dans le cadre de la subordina- tion relative vis-à-vis des traits sémantiques de l’antécédent.

(112) [866] Autrement un chascun eust peu cognoistre faci- lement aux changemens de ma face l’alteration en laquelle j’estois. (Turnèbe, 1584)

(113) [911] C'est une belle isle habitee aussi à present des Espagnols, en laquelle il croist force Cannes de sucres & de bons vins : & au reste est si haute qu'on la peut voir de