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Chapitre 4 – Les apports de la biomécanique à l’expression vocale dans le slam de poésie

4.2 Création d’une partition vocale

4.2.1 Organisation de séquences verbales précises

4.2.1.3 Séquence verbale «slam-théâtre»

De manière générale, lors de ces séquences, la parole de l’interprète se module de sorte à osciller entre l’interprétation théâtrale et l’interprétation développée en contexte slam, de manière à conserver les attributs de chacun, qu’il s’agisse des intentions dramatiques

commenting-on-his-character carried out in the most obvious fashion», dans James M. Symons, Meyerhold’s Theater of the Grotesque, États-Unis, University of Miami Press, 1971, p. 92.

226 Lors de la danse/parade très sexuelle au début de la Strophe 2, juste après s’être adressé à la Femme-

objet en ces termes: «On est une meute de party animals qui s’trémoussent le string lousse pis s’touchent sur du Miley Cyrus pis du Justin Bieber», il se retourne vers le public et commente l’action par un «merde!» de consternation.

227 Afin de bien différentier chacune de figures typées et de mettre en relation celles-ci avec celle du

impliquées dans un jeu plus théâtral et des artifices sonores contenus dans la performance originale du texte poétique. De ce type d’interprétation découle un écart plutôt intéressant, quoique particulièrement flou, entre les interprétations gestuelles et vocales des figures typées. En effet, tandis que l’interprétation gestuelle de ces figures s’avère de nature principalement théâtrale, l’interprétation vocale, même s’il arrive qu’elle corresponde dramatiquement parlant à l’action montrée, décolle souvent de celle-ci, recherchant simultanément l’expression de l’intention théâtrale et l’effet de l’artifice sonore du slam. De cette direction plutôt contradictoire de la parole découle très certainement un effet d’étrangeté plutôt intéressant du point de vue de la recherche-création, l’expression vocale de l’acteur étant motivée par des intentions théâtrales précises, mais traduites en fonction des moyens d’expression sonores et plastiques dont dispose le slam (ex.: exagération et amplification des jeux de sonorités et de l’articulation du texte, ruptures de rythmes, contrôle du débit, recherche de musicalité dans le ton, etc.) et non en fonction des moyens expressifs plus traditionnels de la parole théâtrale réaliste (ex.: expression des sentiments et des intentions à travers le ton employé). Afin d’illustrer cet emploi particulier de la parole, je m’attarderai sur l’exemple de la première partie du texte de la Strophe 1:

Légende:caractère souligné: amplification de la sonorité CABOTIN

J’pense qu’on est restés Marqués de Sade Sur Youtube et Myspace, not’ dos arqué On s’adonne à not’ masturbation... PAN! PAN! PAN! PAN!

Le sadisme est la seule bande-son

Qui plafonne dans nos stations radios! Ixs...

Not’ frustration s’transforme... en source de sustentions!228

L’évolution du rapport entre les intentions théâtrales de la partition vocale et leur expression par les artifices sonores du slam peut être tracée à travers ces quatre premiers vers prononcés par le performeur. Dans le premier vers, «J’pense qu’on est restés Marqués de Sade», l’intention de l’interprète est principalement de jouer avec le spectateur, à la manière d’un prédateur plutôt sadique qui «joue» à traquer sa proie. Ici,

228 Consulter «Panpan! Spectacle expérimental de slam-théâtre» (Archivage vidéo), en annexe, de 00:06:25

l’accentuation et le prolongement des sons en «s» viennent marquer cette intention, témoignant de la perversité de la figure stéréotypée à interpréter (celle du Tueur médiatisé) par le sifflement de ses mots qui rappelle, entre autres, celui du serpent. Par opposition au mouvement de contraction buccale et de fermeture des lèvres qui mènent à l’expression stylisée de cette simple consonne, une emphase est ensuite immédiatement placée sur les sons des voyelles en «a», de sorte à faire ouvrir subitement et grossièrement la bouche du performeur et rappelant, indirectement, le mouvement d’attaque du prédateur en question (ici, identifié à Sade). Par la suite, pour le vers «Sur Youtube et Myspace, not’ dos arqué on s’adonne à not’ masturbation», la gestuelle montre l’image d’un homme se masturbant devant son ordinateur, ses genoux fléchis et sa main droite mimant la manipulation d’une souris d’ordinateur; cette fois, le même jeu d’opposition entre les voyelles «s» et «a» se poursuit et s’accélère, les sons en «s» s’étirant au maximum et s’associant aux mouvements lents du bras droit tenant la souris imaginaire et les sons en «a» faisant l’effet d’un claquement sec et rapide, s’associant plutôt aux moments où l’index clique sur la souris imaginaire.

Combinée au mouvement, l’expression générale de l’intention théâtrale simple (jouer avec la proie, i.e. le spectateur) de l’archétype du prédateur (lequel deviendrait ensuite le stéréotype du Tueur médiatisé) se voit illustrée à travers ce jeu bizarre et antiréaliste, truffé d’artifices sonores et gestuels explicitant les oppositions sonores des consonnes et des voyelles prononcées, de même que leurs répercussions corporelles au niveau de la mimique et du faciès (grimaces en ouverture et fermeture, en fonction des sons à produire). Évidemment, l’orgasme est ici symbolisé et illustré par les «PAN! PAN! PAN! PAN!», prononcés en fixant un spectateur choisi parmi l’assistance229.

Le quatrième vers reprend ensuite le même principe, arrêtant cette fois de faire résonner les «s» après l’expression «bande-son» et se concentrant plutôt sur l’accélération de la parole et des gestes, pour se solder ensuite en un «X» corporel (bras et jambes mobilisés pour cette position) et le son «iks» à peine murmuré, expiré par le performeur en référence tant au sifflement du serpent, ainsi qu’à la lettre «X» elle-même

229 Ici, la scène donnait l’impression que la recherche et le choix de l’image pornographique effectuée par la

figure en scène s’effectuaient à travers les spectateurs, ceux-ci constituant son éventail de «choix pornographiques».

associée dans l’interprétation par la pornographie (XXX) et, dans le texte, à la radio- poubelle du même nom de Québec230. Ce symbole représente également l’idée du refus,

exprimé plus clairement au vers suivant, alors que le performeur, comme en prise à une soudaine constatation et à un dégoût face à ses propres actes, confie, sur un ton beaucoup plus naturel et alarmé cette fois, qu’en tant que citoyens nord-américains, «not’ frustration s’transforme en source de sustention». Toutefois, en raison de choix esthétiques et artistiques en lien avec la fluidité rythmique dans la partition globale de l’interprète, la séquence dont il est ici question («Iks») avec le mouvement qui lui est associé n’ont pas été conservés dans le cadre de la présentation publique231. Ici, les

artifices sonores du slam sont réduits au maximum, afin de montrer le décalage entre le jeu excessivement grotesque et anecdotique précédant cette «réplique» et la nature beaucoup plus lucide de celle-ci.

C’est de cette manière, donc, que le métissage entre les intentions théâtrales traditionnelles et les artifices sonores du slam m’ont permis de développer une expression qui, malgré qu’elle soit étrange et plutôt cabotine232, avait le mérite de chercher à

concilier tant l’intention essentielle et chère à l’expression théâtrale et le ludisme sans bornes de la parole slam, dans une expression scénique hybride qui, dans le contexte de recherche-création et d’expérimentation théâtrale, ne s’est permise aucun compromis à ce niveau.