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Rejet du jeu psychologique, de la justesse de ton et recherche de démonstration

Chapitre 4 – Les apports de la biomécanique à l’expression vocale dans le slam de poésie

4.1 Théâtralisation de la parole amenée par la biomécanique

4.1.3 Rejet du jeu psychologique, de la justesse de ton et recherche de démonstration

Nous pouvons convenir, à ce stade, que la partition vocale de la création rejette massivement toute interprétation psychologisante des figures en scène, ainsi que toute forme de «justesse» de ton dans le sens purement réaliste et naturaliste du terme; de plus, se contenter d’expliquer en quoi la parole du performeur, au même titre que son expression gestuelle, visait à montrer les intentions des figures théâtrales interprétées plutôt qu’à s’y identifier, constituerait non seulement une redondance, mais une énumération d’évidences. Il est néanmoins pertinent de comprendre les motivations qui m’ont poussé à traiter ainsi l’expression vocale.

Contrairement à ce que l’aspect esthétique de la création laisse à penser, cette inclination pour l’aspect formel de l’expression vocale du performeur tient moins de l’influence de la biomécanique que de celle du slam. En effet, comme nous l’avons expliqué précédemment, étant donné le contexte de compétition dans lequel ont lieu les performances slam, les textes poétiques écrits en vue de celles-ci, comme Panpan!, portent souvent en eux cette tendance exhibitionniste, cette facette spectaculaire cherchant à «épater la galerie». Généralement, cette influence se retrace à travers le

208 Béatrice Picon-Vallin, «La musique dans le jeu de l’acteur meyerholdien», dans Le jeu de l’acteur chez Meyerhold et Vakhtangov, Rennes, Université de Haute Bretagne, 1981, p. 48.

processus créateur du poète tant dans l’attitude qu’adopte celui-ci face à sa création, que dans la création elle-même. Si certains préfèrent les figures de style se dissimulant à l’intérieur du propos du texte poétique209, d’autres admettent qu’il est au contraire

intéressant que:

… les figures attirent l’attention du récepteur sur elles-mêmes par «cette force, cette grâce qui les distinguent». Quand il y a figure, le langage cesse d’être envisagé comme simple instrument d’information. [...] En reprenant les analyses de Roman Jakobson, on peut dire que dans le discours figuré, c’est moins à l’information apportée – fonction référentielle du langage – que le récepteur s’intéresse qu’à la forme et au fonctionnement du langage devenu opaque – fonction poétique210.

Cela explique le caractère foncièrement spectaculaire de la poésie slamée. Dans le cas de Panpan!, même si le propos du texte et les questions qu’il soulève demeurent authentiques, c’est l’aspect ludique de la parole qui vient alimenter le «cabotinage» de l’interprétation et qui lui confère, selon moi, une part importante de sa beauté esthétique. Par conséquent, en employant les aptitudes et principes développés par l’entraînement biomécanique en vue de bonifier l’expression vocale dans le slam de poésie et afin de rester fidèle à cette pratique unique de l’oralité, j’ai travaillé à exacerber le caractère plastique de la parole poétique et, ainsi, à en faire ressortir l’aspect montré et spectaculaire, malgré que certaines séquences vocales, plus «théâtrales», aient vu leur aspect formel et sonore diminué afin de, justement, faire ressortir les tensions dramatiques qu’elles sous-tendaient.

Également, le fait que le texte slam constitue en soi une sorte de «monologue musical» initialement adressé directement aux spectateurs, les intentions théâtrales attribuées aux répliques des performeurs de la création expérimentale nourrissent parfois les rapports entre les figures interprétées sur scène (ex.: le rapport de domination et de soumission entre le Macho et la Femme-objet), mais, souvent, ces intentions s’adressent directement au spectateur, conférant à ce dernier le rôle de partenaire de jeu du performeur, ce qui ne trahit nullement les principes du slam, pour lequel «le personnage

209 Catherine Fromilhague, Les figures de style, Paris, Éditions Nathan, 1995, p. 17. 210 Ibid.

principal est l’audience. Les antagonistes sont les poètes. Le slam est un chaos organisé.211»

Dans la Strophe 1, lorsque le performeur assume la figure prédatrice du Tueur médiatisé afin de traquer les membres du public à des fins soit sexuelles, perverses ou meurtrières212, ce dernier confère au spectateur le rôle de co-acteur du spectacle (ce

dernier joue ici la proie, la victime). Cela correspond au quatrième créateur meyerholdien, lequel complète avec son imagination les allusions que lui présente la scène théâtrale, dans cette idée d’un théâtre de la «convention consciente»213. Par conséquent, afin de

construire le spectacle en collaboration avec le spectateur, il fallait entrer en communication directe avec lui, tout comme le slameur construit sa performance en s’adressant au spectateur, en demeurant à l’écoute de chacune de ses réactions, tels deux acteurs construisant leur jeu sur les bases d’une écoute mutuelle solide. C’est en partie pour cela que les intentions des performeurs de Panpan! s’orientaient principalement vers le spectateur.

L’aspect de démonstration, pour sa part, provenait en partie de cette tendance didactique fréquente et propre au slam à expliquer, à démontrer son point de vue au spectateur. En effet, en utilisant les principes et les aptitudes développés par la biomécanique afin d’enrichir tant la gestualité de l’interprète que son expression vocale, cette volonté de démonstration déjà présente au sein de l’expression du slameur s’en retrouvait décuplée en instaurant, du même coup, une certaine distance entre la fiction montrée sur scène (entre les «figures» dramatiques) et l’adresse de la parole (au spectateur). En ce sens, l’approche du théâtre conventionnel de Meyerhold et celle du théâtre épique de Bertolt Brecht se rapprochent214, compte tenu du fait qu’elles visent

toutes deux, à travers l’accusation des conventions théâtrales, l’objectivation de la

211 Ma traduction: «The main character is the audience. The antagonists are the poets. The slam is organised chaos», dans Mark Smith, «About slam poetry», dans Mark Eleveld et Marc Smith, The spoken word revolution (slam, hip hop & the poetry of a new generation, Naperville, Illinois, Sourcebooks

mediaFusion, 2003, p. 119.

212 Consulter «Panpan! Spectacle expérimental de slam-théâtre» (Archivage vidéo), en annexe, de 00:07:20

à 00:08:08.

213 Vsevolod Meyerhold, Le Théâtre Théâtral, Mayenne, Gallimard, 1963, p. 42.

représentation, dans laquelle le spectateur ne perd jamais de vue qu’il est au théâtre215.

Néanmoins, contrairement au théâtre épique, la dramaturgie meyerholdienne «est fondée d’abord sur le jeu et non sur le récit, sur la succession d’"émotions actives216" et fortes,

d’associations à produire et non sur l’argumentation didactique.217»