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Chapitre 4 – Les apports de la biomécanique à l’expression vocale dans le slam de poésie

4.2 Création d’une partition vocale

4.2.2 Influence de la biomécanique sur la rythmique musicale de la parole

Évidemment, le métissage esthétique entre biomécanique et slam de poésie impliquait quelques compromis qui, à défaut de faire l’unanimité au niveau de la réception des spectateurs, ont soulevé des questions fort intéressantes et pertinentes dans le contexte expérimental de la création. Comme je l’ai abordé précédemment dans la section portant

230 Je pense à certaines chaînes radio-poubelle de Québec, comme Radio X, par exemple.

231 Néanmoins, étant donné la pertinence de cette séquence dans la recherche-création, un extrait de celle-ci

demeure cependant accessible dans «Panpan! Spectacle expérimental de slam-théâtre» (Archivage vidéo), en annexe, de 01:18:26 à 01:18:48.

232 Comme je l’expliquerai dans le «Chapitre 5 – La mécanique dramaturgique», la voie du «cabotinage»

sur le développement des rimes gestuelles, le rythme du mouvement (ici, le mouvement biomécanique ou, plutôt, d’esthétique biomécanique) n’est pas du tout le même que celui de la parole très musicalisée associée au texte Panpan!. Cette dernière a été écrite afin d’être prononcée sur un rythme plutôt effréné en raison, notamment, des compositions sonores qu’elle contient, lesquelles, pour être à la fois audibles et faire valoir leur virtuosité, nécessitent un débit de prononciation relativement rapide.

Outre les segments de la création qui s’intéressaient spécifiquement aux contrepoints rythmiques entre les expressions gestuelles et vocales des performeurs en scène233, il fallait chercher une correspondance entre les rythmes de celles-ci. Ainsi,

malgré que le corps se soit vu par moments contraint d’adapter son rythme à celui de la voix, c’est-à-dire de l’accélérer un peu en recherchant davantage une rythmique musicale que dramatique, c’est surtout la partition vocale qui a subi la plus grande adaptation rythmique de la création. En effet, le débit de celle-ci s’est vu grandement ralenti en raison, d’une part, du type de spectateur visé, lequel n’était plus un spectateur de slam, mais bien de théâtre. Par conséquent, ce dernier ne saurait être conquis uniquement par la prouesse esthétique et virtuose des jeux sonores habituellement enchaînés à la manière d’un véritable solo rock lors des compétitions de slam. C’est particulièrement le cas, notamment, de la séquence de la Strophe 3, juste après que le Fils ait tenté d’assassiner sa Mère, lorsqu’il entame une tirade du texte, habituellement débité lors du contexte slam de manière fulgurante et pratiquement incompréhensible pour les spectateurs, uniquement musicale et spectaculaire234. D’autre part, le métissage entre le slam et la biomécanique

nécessitait un ralentissement du rythme de profération du texte afin de mettre en valeur, à certains moments de la création, le propos gestuel des performeurs, ce propos devant enrichir le sens de la proposition et renforcer celle-ci. Il fallait proposer une alternance entre geste et parole, de sorte que l’un serve à éclairer la compréhension de l’autre. C’est le cas, entre autres, de la séquence «slam-théâtre», montrant la reprise mélodramatique et très stéréotypée de Roméo et Juliette. Cette séquence qui, dans le texte initialement performé en contexte slam, se résumait à une suite de vers débités de manière rapide se

233 À ce sujet, retourner à la section du mémoire intitulée «3.3.1. Travail du contrepoint entre l’expression

vocale et gestuelle».

234 Consulter «Panpan! Spectacle expérimental de slam-théâtre» (Archivage vidéo), en annexe, de 00:22:01

voit, dans sa transposition à la scène théâtrale, segmentée et ralentie afin d’en laisser voir le potentiel théâtral (et caricatural) dans son entièreté:

La Femme-objet pose sa main sur la joue du Macho, lequel tourne aussitôt son regard vers elle.

FEMME-OBJET (sur un ton empreint de désir) Borgnes?

Le Macho ramène son regard face au public, comme submergé de désir. À nouveau, il se tourne vers la Femme-objet.

MACHO (sur un ton empreint de désir) L’Occident et l’Orient sont deux amants…

Elle le gifle; alors qu’il effectue une pirouette sur lui-même et se retrouve dos à elle et de profil au public, l’air de se masser la joue, tandis qu’elle se retourne face au public.

FEMME-OBJET (avec mépris) Enlisés dans l’isolement!

MACHO (sur un ton geignard)

Séparés par un océan, ensemencés dans nos ciments…

La Femme-objet revient vers lui, en effectuant un petit pas inspiré du ballet, et lui tend la main et le bras droits dans un geste mélodramatique.

FEMME-OBJET (sur un ton faux, mélodramatique) Mais Roméo!

Le Macho se retourne, remarque la main tendue vers lui, se retourne vers le public et exprime sa joie d’un petit «PAN!» rappelant la respiration du Poisson rouge, puis tente d’embrasser la main de la Femme-objet. Cette dernière la retire à la dernière minute et le visage du Macho s’écrase dans sa propre main.

MACHO (sur un ton faux, mélodramatique) Est sédentaire!

Tous deux se retournent, dégainent un couteau imaginaire, s’avancent l’un vers l’autre et prennent leur élan pour se poignarder (étude biomécanique du Coup de poignard).

FEMME-OBJET (sur un ton menaçant) En son attente, Juliette prend son magnum et…

Au dernier moment, elle se fait harakiri.

MACHO (surpris) Oh!

La Femme-objet s’écroule à ses pieds, tandis que lui se fige dans une expression de terreur (Le Cri du Munch).

FEMME-OBJET (sur un ton faux, mélodramatique) ‘A s’tire dans’ tête…

Elle constate que le Macho, reprenant la position du Soldat et adoptant une attitude complètement apathique, ne s’intéresse déjà plus à son suicide simulé.

FEMME-OBJET (sur un ton exaspéré, afin d’attirer son attention) … À s’tire dans tête!235

235 Consulter «Panpan! Spectacle expérimental de slam-théâtre» (Archivage vidéo), en annexe, de 00:16:19

Ainsi, lors de telles séquences, le rythme de la parole a dû être grandement ralenti afin de mettre en valeur l’expressivité de la ligne gestuelle, ce qui a instauré, à certains moments de la création, une sorte de décalage rythmique entre les partitions vocales et gestuelles des performeurs. Ce décalage s’est vu d’autant plus décuplé par l’amplification consciente du décalage théâtral habituellement nécessaire entre le geste et la parole, c’est- à-dire que, afin de bonifier son expression, le performeur effectuait généralement son geste avant la parole, la deuxième venant marquer le premier, le compléter236. Dans la

création expérimentale, cette technique de jeu s’est toutefois vue amplifiée au point d’instaurer constamment ce décalage dans chacune des actions posées par les interprètes, excepté lors de certains segments précis de la création. Par conséquent, le temps de réponse entre l’action physique et l’action verbale complétant celle-ci était allongé, de sorte à rendre perceptible, à montrer ce décalage dans le jeu des performeurs et, par le fait même, à souligner la dualité du poème gestuel et du poème vocal, afin que le spectateur créateur puisse être en mesure de dissocier les deux tout en tissant des liens de complémentarité entre chacun. Dans le cadre de la création expérimentale, le problème soulevé par certains commentaires suite aux représentations était qu’à plusieurs moments de celles-ci, la discordance rythmique entre les partitions vocales et gestuelles des performeurs se faisait trop ressentir, ce qui complexifiait la réception générale de l’œuvre et «enfermait» le rythme de la parole dans celui du geste «biomécanique».

En prenant compte des commentaires émis sur les présentations devant public et dans l’optique d’une poursuite de la création expérimentale, deux options intéressantes seraient à considérer afin de résoudre les questionnements soulevés quant aux décalages rythmiques entre les partitions gestuelles et vocales des interprètes. Dans une première exploration, il faudrait tenter de réduire l’écart entre les deux partitions en jeu et s’assurer que les rythmes de celles-ci correspondent le mieux possible en utilisant le rythme de la parole afin de moduler celui du corps. Ensuite, dans une seconde exploration, il s’agirait à l’inverse d’amplifier au maximum les discordances rythmiques entre geste et parole en élaborant les rythmes respectifs de chacune des partitions, de sorte à mettre en valeur les différences de celles-ci et de nettoyer toute ambiguïté quant à leur concordance ou leur

236 Le contraire pouvait également être possible, l’idée étant surtout d’éviter que geste et parole se

non-concordance. Il serait alors possible de les montrer comme deux poèmes de prime abord complètement différents, tout en conservant la possibilité de tisser des liens par associations entre eux. Enfin, une troisième exploration servirait à élaborer davantage l’alternance (déjà ébauchée dans les dernières expérimentations de Panpan!) entre les concordances et les discordances rythmiques des partitions vocales et gestuelles, en choisissant cette fois soigneusement les séquences qui mettent en valeur l’une ou l’autre. Cette dernière étape aurait comme objectif de développer un rythme nouveau et propre à la création, fondé sur les ruptures entre concordances et discordances rythmiques, plutôt que s’appuyant majoritairement sur les ruptures de rythmes entre le geste et la parole, comme c’est le cas jusqu’ici.