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Ségrégation genrée : l'éducation et le travail

2 Apports du féminisme

2.1 Ségrégation genrée : l'éducation et le travail

La première partie regroupe deux thèmes fondamentaux du féminisme, qui sont en lien avec l'ensemble de la recherche. Une première partie abordera le travail, à la fois lieu de discrimination et d'émancipation. La seconde partie portera sur l'éducation comme levier vers une société moins sexiste.

2.1.1 Le travail, lieu de revendication

Parce que l'emploi est à la fois un facteur de considération sociale et qu'il donne accès à l'indépendance individuelle, il est un moyen et un objectif des luttes féministes. La division première de l'activité professionnelle comme masculine et féminine fait écho à ce que doivent être les préoccupations premières des "hommes" et des "femmes" dans une perspective essentialiste : l'une gère l'activité interne du foyer en s'attachant aux tâches domestiques, l'autre en assure la survie à travers son labeur. Détacher la "femme"

du foyer est envisagé comme un enjeu politique qui lui permettra d'accéder à la sphère professionnelle.

L'industrialisation du XIXe

siècle, en récupérant la reproduction de biens autrefois fournis par les individu·e·s eux·elles-mêmes (savons, vêtements, etc.), a donné lieu à une « division idéalisée du travail » dans laquelle celui des "hommes" s'effectue en dehors du foyer, alors que le labeur des "femmes" s'y enchaine (Nakano Glenn, 2009 : 21-25, pour le paragraphe). De plus, l'évolution du marché capitaliste, en isolant les individus du groupe social, prend en charge en retour les besoin matériels et émotionnels de celui-ci, du soin aux enfants aux loisirs. Les services alors extraits du foyer, qui deviennent institutionnalisés ou payants, et ne soulagent pas les "femmes" de leur travail invisible, car le besoin de main d’œuvre ainsi créé est rempli par les "femmes" elles-mêmes, allant dans le sens de la construction d'un travail

essentiellement féminin (voir les emplois du care, infra) et la surenchère du travail

reproductif. Au XXe siècle, l'accès au travail se généralise et est légalement reconnu en 1965 avec le droit pour les "femmes" d'occuper un emploi de leur choix, sans accord préalable de leur époux. Aujourd'hui, la diversification se fait dans tous les domaines, et remet en cause l'hégémonie masculine notamment à travers le vocabulaire : il y a un besoin urgent de légiférer sur la féminisation des noms de métiers.

La distribution genrée reste pourtant ancrée. En France persistent des phénomènes forts de disparité de genre dans l'accès aux formations, à l'évolution dans les carrières : la « ségrégation verticale », ou le choix des carrières : la « ségrégation horizontale » (Tahon, 2004 : 51). Bien que la parité dans les domaines professionnels fasse en France l'objet d'une législation explicite depuis trente ans (loi « Roudy » n° 83-635 du 13 juillet 1983), les groupes masculins et féminins les investissent de manière différenciée (Kergoat, 2005 : 94). Les compétences sont naturalisées (Tahon, 2014 : 55-57), ce qui aboutit à une invisibilité des aptitudes personnelles dans le domaine professionnel. Gauvin (1995 : 563-566) fait remarquer que l'occupation massive des emplois du tertiaire par les "femmes" correspond à des catégories d'emplois dits féminins : aides-soignantes, assistantes maternelles, etc., qui concernent l'aide à la personne, et non-qualifiées (agentes de service). D'une manière générale, l'occupation prioritairement féminine des métiers du care répondrait à des prédispositions de genre, en posant une continuité entre travail domestique familial, prédisposition pour celui-ci, et emploi. En

2010, 90% des salarié·e·s du service à la personne en France sont des "femmes"62

.

La représentation sociale même du travail féminin comporte une discrimination. Alors qu'en 2013 les postes à temps partiel sont considérés comme des sous-emplois, ils sont occupés à 30,6% par des "femmes", contre 7,2% par des "hommes"63

. Le salaire féminin répond également à des prescriptions liées aux rôles traditionnels : il continue à être un salaire d'appoint, en marge du salaire masculin (Silvera, 1995 : 547).

Le facteur professionnel reste au centre des luttes féministes, car comme le rappelle Pfefferkorn (2007), il est à la fois un moyen d'oppression et d'émancipation :

« (…) si la division sexuelle du travail est le médiateur des rapports de

domination des hommes sur les femmes, c'est aussi en agissant au niveau même de la matérialité du travail que les femmes peuvent se réapproprier ce qui leur est confisqué, aussi bien dans le cadre de l'activité professionnelle que dans la sphère domestique. » (Pfefferkorn, 2007 : 311)

C'est par un double aspect que l'accès à l'emploi constitue pour les mouvements féministes un axe central de revendication. Le travail représente un point important dans les rapports sociaux de sexe et l'accès des "femmes" à un statut social supérieur. La question de la relation au travail sera également un thème exploité lors de l'analyse des manuels et des personnages mis en scène. Par ailleurs, ce n'est plus seulement l'accès des "femmes" à l'emploi, mais la nature même de celui-ci, sa distribution inégale par rôle genré des compétences qui forment le sujet des attentes féministes. Il en va de même pour la question de l'éducation, développée ci-après.

2.1.2 L'éducation, enjeu social

L'accession légale des "femmes" à des postes politiques élevés est conditionnée par l'admission préalable à un enseignement de qualité. Si depuis 1836, les communes de plus de 500 habitant·e·s ont l'obligation de mettre en place un enseignement primaire pour les "garçons" et pour les "filles", il faudra attendre 1881 en France pour que l'enseignement destiné aux uns et aux autres soit commun.

62 INSEE, 2010, Les services à la personne, [en ligne] <http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp? ref_id=ip1461#inter3❢ ❣❤ ✐ ❥❦ ❤ ❥❤ ❧♠ ♥ ♦♣ q♣ rs♣ t ♣ ✉♣ r✈✇① ♣ ③④ ⑤ ♣ r ✉⑥⑦⑦ ♣ r ♣ ①ouvre notamment pour l'INSEE : le soin aux malades, aux enfants, aux personnes âgées ou en situation de handicap, l'aide aux tâches domestiques. Voir :

INSEE, 2011, Activités relevant des services à la personne, [en ligne] <http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?

reg_id=12&ref_id=17529&page=decimal/dec2011312/dec2011312_p9.htm❢❣ ❤✐❥❦ ❤ ❥❤❧ ♠ ♥

63 INSEE, 2013, Durée du travail hebdomadaire et temps partiel dans l'Union européenne en 2013, [en ligne] <http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=98&ref_id=CMPTEF03204❢❣⑧ ❦ ❥❦ ⑨ ❥❤ ✐♠ ♥

Cependant des différences persistent dans plusieurs matières : les langues anciennes ne sont ainsi pas au programme pour les "filles". Pour Mayeur (1981), l'évolution de l'éducation ne peut dépasser celle des mœurs, elle est limitée par l'opinion générale que la République veut rassurer à travers un enseignement différencié qui continue à marquer les différences de genre. La proximité des républicains et des membres du clergé jusque-là en charge de l'éducation des "jeunes filles" est un autre facteur qui fondent un enseignement féminin :

« Ainsi peut s'expliquer la permanence des idées en vigueur durant tout le

XIXe

siècle sur la différence qui doit exister dans l'éducation des deux sexes. Pour l'avenir des filles, une double image demeure : elles seront épouses et mères, relatives à l'homme d'aujourd'hui et à l'homme de demain. »

(Mayeur, 1981 : 52).

La mixité scolaire, qui rassemble l'ensemble des élèves indifféremment de leur identité de genre, attendra en France 1975, où elle est imposée par voie légale (loi Haby). Elle est cependant toujours questionnée, et pas uniquement par des opposant·e·s à une éducation moderne. Comme le rapporte Chaponnière (2011 : 13-14), l'égalité en nombre des écolier·e·s n'est pas la garante d'une éducation réellement non-sexiste. Apparaissent dans les mouvements féministes des dissensions autour de points considérés comme établis : la mixité n'est plus uniquement vue comme un pas salutaire en direction de l'égalité, mais comme un facteur de renforcement de l'absorption de stéréotypes, et en marge a la capacité de minorer les résultats scolaires féminins. Par ailleurs, ces divisions révèlent moins les fractures que les variations autour du féminisme, et se révèlent positives pour Chaponnière (2011 : 14).

Le port du voile islamique à l'école est un autre symbole de segmentation dans des mouvements qui ont pourtant tous pour objectif l'émancipation féminine. Le traitement réservé aux "filles" qui arborent de manière ostensible un objet considéré comme religieux, depuis les premiers cas médiatisés en 1989 jusqu'à la circulaire de 200464

, est un facteur d'égalité pour les un·e·s, d’inégalité pour les autres, le tout enchâssé dans une mutuelle accusation de racisme (Chaponnière, ibid.). Accusée d'un côté de stigmatiser les "filles" racisées musulmanes et de les exclure de la voie éducative autant que du débat public, la réglementation française assure de l'autre imposer le respect de la personne et des "femmes" (Rigoni, 2010 : 102-103).

64 Port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et

Alors que l'illusion d'un féminisme unique explose65

, les moyens d'accéder à l'égalité dans l'éducation montrent leur diversification. Il ne s'agit plus en effet de mettre tous les enfants à l'école, "filles" et "garçons", mais de se préoccuper des inégalités internes à l'enseignement même : outils, orientations, attentes des enseignant·e·s, etc. L'histoire du féminisme scolaire incarne les évolutions et les ramifications d'un mouvement représenté socialement comme unitaire. Il se construit en parallèle des évolutions sociales, faisant écho aux transformations de mœurs quant à la place des "femmes" et la prise en compte de la discrimination de genre. Comme on le verra, l'éducation a constitué un facteur majeur dans la visibilisation des études de genre, et concentre aujourd'hui une grande partie des débats.

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