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Le concept genre dans le discours politique français

4 Le genre en France, discours sociaux et politiques

4.2 Le concept genre dans le discours politique français

Sur le même document de la CNCDH, on trouve une note de bas de page qui parait aussi éclairante que le texte lui-même :

« Pour comprendre ce choix, il faut resituer le vote de la loi dans son

contexte. La loi sur le harcèlement sexuel visait à combler le vide juridique laissé par la décision du Conseil constitutionnel d’invalider la loi existante sur le harcèlement sexuel. Introduire la notion d’identité de genre à ce moment-là aurait pu susciter des débats propres à retarder et peut-être à mettre en péril le vote de la loi. Des députés de l’opposition s’étaient en effet prononcés contre l’introduction par amendement de la notion d’identité de genre, assimilant cette notion à la théorie du genre qu’ils dénoncent comme un révisionnisme anthropologique. » (ibid.)

conduit à renoncer à sa mobilisation dans le cadre d'une loi tierce. La résistance au « genre », qu'il faut placer entre guillemets tant les acceptions du terme sont variées (voir infra), prend un tournant politique lorsque des élu·e·s en font une caractéristique de l'engagement politique. Au-delà d'un classique clivage droite-gauche à la française, il partage au sein même des principaux partis et rend difficile toute position ouvertement favorable.

Dans le sillage des oppositions au Mariage pour Tou·te·s durant l'année 2012-2013 qui a fortement participé à placer le genre comme un enjeu social (voir infra), la confusion entretenue par ses contradicteur·e·s sur la portée du terme déconstruit l'impact politique de genre : dans la sphère politique, il n'est plus entendu comme révélateur de rapports de force, mais présenté comme un destructeur de l'identité sexuée et sexuelle. Le genre effacerait les distinctions "hommes"-"femmes" pensées comme fondamentales pour l'ordre social83. Le trouble n'est plus entendu comme une ouverture à de nouvelles

possibilités, mais comme l'effacement du naturel et, sous-jacent, l'appel à une

androgynie monstrueuse. La sphère politique française ne peut « faire du genre » sous peine d'être taxée de manipulation, de créer l'anormalité particulièrement chez les enfants, devenus sujets de tous les débats depuis l'introduction d'une révision genrée des manuels scolaires en 2011 (voir chapitre 2) et les questions relatives à la parentalité pour tou·te·s.

Les réactions face à la nomination de la nouvelle ministre de l’Éducation en septembre 2014 Vallaud-Belkacem en disent long. En marge d'attaques racistes et sexistes, la nomination de celle qui a participé à mettre en place l'outil de promotion de l'égalité

ABCD de l’égalité avant d'y renoncer en faveur d'un plan d'action/formation, est vécue

comme une provocation par les opposant·e·s à la « théorie du genre »84

. Alors qu'elle ne

83 Il faut signaler que le Premier Ministre ayant institué en 1999 le Pacs, Lionel Jospin, s'est positionné contre le mariage homosexuel en invoquant la structuration naturelle fondamentalement binaire de la société : « Ce que je pense c'est que l'idée fondamentale doit rester, pour le mariage, pour les couples

et pour la vie en général, que l'humanité est structurée entre hommes et femmes. » Propos tenus le

9/11/12 au Grand Journal (émission de la chaine Canal+), rapportés par Clavel Geoffroy, 2012,

Mariage gay : Virginie Despentes éreinte Lionel Jospin sur "Têtu", Huffington Post, [en ligne]

<http://www.huffingtonpost.fr/2012/11/12/mariage-gay-virginie-despentes-ereinte-lionel-jospin-tetu_n_2117465.html❢ ⑩❤❹⑦⑥ ✈ ♣ s❼ r ♣❹ ❦❤ ❹❣❤ ❺ ❥❦ ❤ ❥❤ ❧♠ ♥

84 Le Monde, 2014,Najat Vallaud-Belkacem, bouc émissaire des "anti-genre", Le Monde, [en ligne] <http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/08/27/najat-vallaud-belkacem-bouc-emissaire-des-anti-genre_4477659_823448.html❢ ⑩❹❽④⑥ ❾ q❹ ❦ ❤✐❣ ❦❹❥❤ ❦ ❥❤✐ ♠♣ q♦④❿ ④ ⑦✇➀⑤ ⑥ ❸r➁⑥ ❸✉⑩❹014, Najat

Vallaud-Belkacem à l’Éducation : à peine nommée, déjà raillée par La Manif pour tous, [en ligne]

<http://www.lamanifpourtous.fr/fr/toute-la-presse/1383-najat-vallaud-belkacem-a-l-education-a-peine-nommee-deja-raillee-par-la-manif-pour-tous❢❣❦ ❹ ❥❤❦ ❥❤ ✐ ♠♥

s'est pas prononcée explicitement pour ou contre le genre, ils·elles lui reprochent son engagement initial auprès des structures L.G.B.T. et la soupçonnent de vouloir faire du « gender-lobbying » (voir infra). C'est en effet le climat dans lequel évolue le genre dans la politique française : à l'instar de Vallaud-Bleckacem, les élu·e·s sont sommé·e·s d'éclaircir leur position, en faveur ou contre le « genre » qui a perdu sa dimension critique et scientifique en devenant un outil de dénonciation politique. Et de fait, aucune personnalité des principaux partis politiques ne s'est positionnée clairement en sa faveur.

Émerge ce paradoxe : les actions menées en faveur de la lutte contre les stéréotypes de sexe, qui pourraient se prévaloir du genre dans une optique critique articulée et efficiente, doivent s'en passer. Lorsqu'en 2013 deux députées, Sommaruga et Pompili, défendent à la suite l'une de l'autre un amendement faisant la promotion de l'égalité de genre, mettant en avant la construction de catégories soumises aux stéréotypes, le terme « genre » en rend l'acceptation impossible : un sénateur (Legendre) reformulera en « égalité pour les femmes et les hommes », tandis qu'on demande à la seconde élue de retirer son amendement à la deuxième lecture. Pompili relie directement ce refus catégorique à un effet que provoque le genre85

: « Dans les discussions, la droite disait

aussi vouloir lutter contre les stéréotypes sexistes. Mais c’est le mot "genre" qui ne passait pas. J’ai même failli modifier mon amendement pour parler de "sexe" plutôt que de "genre". »

En France, les hautes instances nationales sont pour l'instant loin d'intégrer le terme à leur discours. Parce que, dans le discours médiatico-politique, il ne sert plus qu'à effrayer et plus rarement rallier un public qui n'a pas connaissance de son rôle complexe en tant qu'outil méthodologique et producteur de connaissances nouvelles, il ne possède plus la crédibilité que lui avaient insufflée les organismes internationaux. Si des politiques françaises en matière d'égalité genrée (sexuée ?) et de combat contre les discriminations continuent à être portées, la mention « genre » se fait timide voire inexistante. Cela alors qu'elle apparait dans les documents officiels de la coopération internationale en matière d'égalité "hommes"-"femmes" : il existe par exemple une

85 Pour une lecture de la séance en question, et des tergiversations autour du mot « genre », voir : Assemblé Nationale, 2013, 28 février, séance de 14h30, Compte-rendu. Commission des affaires

culturelles et de l'éducation, 31, [en ligne] < http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-cedu/12-13/c1213031.pdf❢❣❧ ❥❤❦ ❥❤ ✐ ♠ ♥➂ ⑥❸ r❸ ⑦r ♣ q⑥❸r✉ ❸r③➃④ s♣ ⑦t ♣ s♣ ⑦q t ➄ ⑤⑥ ✉➄, voir : Noyon Rémi, 2014, La

Manif pour tous réécrit (un peu) l'histoire, Rue89, [en ligne]

<http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/05/manif-tous-reecrit-peu-lhistoire-255226❢ ⑩ ⑥ ① q⑥❼ r ♣ ❹❦ ❤✐

plate-forme Genre et développement suivie de plans stratégiques, initiée par le

Ministère des Affaires Étrangères dans le cadre d'une politique de coopération

internationale86

. Le genre : persona non grata en politique franco-française.

J'ai montré que la politique française intègre le genre de manière paradoxale : d'un côté, les institutions mettent en place des mesures pour lutter contre les discriminations de genre, de l'autre, la dimension du concept qui suggère une dimension structurelle à l'oppression sexiste et implique de repenser les catégories est effacée. Dès lors, le discours s'enferre dans des mesures essentialistes. La partie

suivante s'attache à éclairer le genre tel qu'il est entendu au niveau du discours social, afin de comprendre comment le concept traverse la société française.

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