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Pluralité des langues, des cultures et du genre dans le manuel de FLE

5 Transposer la langue, la culture et le genre

5.2 Pluralité des langues, des cultures et du genre dans le manuel de FLE

La compétence de communication, comprise comme la « connaissance (pratique et

non-nécessairement explicitée) des règles psychologiques, culturelles et sociales qui commandent l'utilisation de la parole dans un cadre social » (Hymes, cité par Galisson

et Coste, 1976 : 106) dans l'approche communicative, met en valeur l'importance du cadre contextuel de la communication, notamment dans sa dimension psycho-sociale et culturelle. Le volet culture est désormais indissociable de l'enseignement-apprentissage d'une langue, car :

« enseigner la communication sans décrire aussi les protocoles sociaux qui

constituent la trame des échanges langagiers et qui en définissent les conditions de succès, c'est se condamner à ne pas répondre à de sourdes interrogations des apprenants. » (Beacco, 2000 : 17)

Le passage d'un savoir savant sur la culture à un savoir anthropologique (Porcher, 1995) puis à un savoir-faire communicationnel (Galisson et Puren, 1999) en D.L. a inscrit le volet culturel de la langue comme une compétence à acquérir. Que la compétence culturelle constitue un objet particulier de l'enseignement (Zarate, 1993 ou Beacco, 2000), se confonde avec l'aspect linguistique (Galisson, 1988a et 1988b) pour former un tout langagier ou relève d'une faculté d'expérience à l'altérité (Porcher et Abdallah-Pretceille, 1996), la D.L. compose avec ces deux axes de l'enseignement-apprentissage. Or, si le champ disciplinaire de la D.L. interroge la relation entre langue-idiome et culture19

, ce sont plutôt les référents de l'une et de l'autre qui posent question. En effet : dans un manuel qui comporte un nombre limité de pages20, comment rendre compte de la pluralité des pratiques langagières et culturelles ? de la complexité de la réalité, qui comporte des pratiques parallèles et contraires ? S'interroger sur la pluralisation des objets d'enseignement amène à prendre en compte les personnes qui exécutent ces pratiques : si les manuels de FLE parlent d'une langue et d'une culture, et non de langues et de cultures, à qui, à quel groupe social celles-ci appartiennent-elles ?

Semal-Lebleu (2010b) constate lors de la conception d'un manuel de langue : « Ainsi

faut-il en premier lieu choisir la langue dont on se fait le transmetteur, celle de quel peuple, de quel groupe social, de quelle période historique ou littéraire. »

(Semal-Lebleu, 2010b : 24). La sélection des pratiques langagières (linguistiques et culturelles) de référence donne lieu à la mise en avant de certaines pratiques et à l'exclusion d'autres. Certaines de celles-ci sont sélectionnées pour être représentatives de l'ensemble des pratiques françaises/francophones. Je m'intéresse à la manière dont les manuels de 19 Comme autant de relations possibles : langue et culture ; langue + culture ; langue / culture ; langue ;

etc.

20 Le manuel devant « proposer des informations générales et compactées, choix imposé par le rapport

entre la quantité d'informations à transmettre et le format éditorial correspondant » (Beacco, 2000 :

FLE parlent le genre et parlent du genre ; dès lors, le questionnement autour de la pluralité des langues et des cultures, de leurs pratiques et de leur appartenance sociale est orienté dans cette direction. Il peut être formulé de plusieurs manières : les pratiques désignées comme des savoirs à enseigner appartiennent-elles à un groupe non-dominant ? Appartiennent-elles en partie à la catégorie de sexe des "femmes" ?

La dimension genrée amène à multiplier les questionnements autour de la multiplicité des langues et des cultures et de leur appartenance sociale : les manuels de FLE rendent-ils compte de pratiques langagières féminines et/ou masculines (Bailly, 2009) ; présentent-ils une culture de "femme" et/ou d'"homme" ? Présentent-ils dans leurs pages des pratiques dissociées selon l'identité de genre des individu·e·s ? Leurs culture et socioculture reconstituent-elles un système de valeurs français traversé par des pensées et des actes à la fois sexistes et anti-sexistes ? Beacco (2000) souligne le fait que, dans les manuels de langue, toutes les connaissances sont placées sur un même plan, comme un message homogène délivré par l'ouvrage pédagogique. Les pratiques y sont décrites et non-contredites, la langue cible est présentée comme un ensemble cohérent et stable. Or cette description exclut celles qui n'appartiennent pas aux pratiques dominantes.

La conception de manuels de FLE demande de sélectionner non seulement les savoirs à enseigner de la langue française/francophone dans une opération de transposition didactique, mais aussi des pratiques linguistiques et culturelles référentes qui deviendront l'objet langue à enseigner dans les manuels. Rosat (2000 : 51-52) énonce deux positionnements tout autant préjudiciables dans la transposition didactique du F.L.M. : n'utiliser qu'une seule théorie de référence, qui mène à un ensemble cohérent mais manquant de nuances, ou bien multiplier les théories de référence, qui peuvent présenter des problèmes de compatibilité ou d'antinomie. Pour le FLE et ses manuels, le même danger apparait : en pluralisant les langues et les cultures (des groupes sociaux sexués) à enseigner, le récit du manuel doit toutefois rester cohérent. Il reste toujours aux auteur·e·s des sélections à faire pour rendre la multiplicité des langues, des cultures et des discours didactisables : ils doivent « endiguer la profusion, ne serait qu'à fin de

la rendre accessible et appréhensible. » (Semal-Lebleu, 2010b : 25).

Le choix en matière de références linguistiques et culturelles met également en avant l'impact des auteur·e·s sur la représentation de la langue que les utilisateur·trice·s de leur ouvrage vont se former. Le manuel de FLE retranscrit la langue, ses usages et ses

pratiques, tels qu'ils sont vus par ses auteur·e·s. Le manuel de FLE ne fournit pas une description de la langue, mais une version possible d'une langue (ou de langues) parmi d'autres, qui devient pour les apprenant·e·s la langue authentique. Ces deux idées conjointes sont ainsi décrites par Semal-Lebleu (2010b) :

« Alors même que la réalité – dont leur ouvrage ne peut être que

l'émergence – sera désolidarisée, décortiquée, remâchée, réorganisée en une nouvelle structure, il leur [aux auteurs] faudra argumenter de ce monde-de-vie (…) qu'ils ont pourtant créé. L'ouvrage à l'allure objective et globale a l'apparence d'un ordre naturel permanent. » (Semal-Lebleu,

2010b : 26)

« Les auteurs, nouveaux organisateurs de la réalité, sont amenés à

construire une utopie organisationnelle qui imposera, pour un temps et dans un certain nombre de classes, leur vision du pays dont ils se font les ambassadeurs et leur structuration de ce monde, fût-elle transitoire et aléatoire. » (Semal-Lebleu, 2010b : 26)

Dans le manuel de FLE, les auteur·e·s transforment leur propre perspective langagière en matériau objectif, sur lequel se construit dans les classes une représentation de la langue, laquelle est rendue homogène. Le manuel de FLE a valeur de vérité symbolique, à propos d'un ensemble de pratiques langagières uniformisées.

La partie précédente a montré d'une part que la sélection des savoirs à enseigner par les auteur·e·s pour construire le manuel de FLE opère d'après des critères particuliers relatifs à l'expérience ou l'identité personnelles ; d'autre part que le processus de rupture épistémologique de la construction des savoirs tend à faire des représentations, croyances ou attitudes des concepteur·trice·s des objets à enseigner naturalisés. J'ai poursuivi le développement des interrogations formulées autour de la sélection des savoirs à enseigner, en mettant en avant la spécificité du manuel de langue confronté à des pratiques et des usages linguistiques et culturels multiples. La pluralisation fait de

la langue du manuel le résultat d'un choix parmi des références possibles, choix

que le statut du manuel (et de ses auteur·e·s, spécialistes de la langue) dans la classe élève comme vérité symbolique à propos de la langue à enseigner et à apprendre.

Le contenu du manuel de FLE résulte de sélections variées et plus ou moins conscientes de la part des concepteur·trice·s. Analyser un manuel revient à s'attacher au contenu aussi bien qu'à sa conception, ce que fait ma recherche en s'appuyant sur les ouvrages et les propos de leurs concepteur·trice·s. La partie suivante s'attachera à

décrire le contenu du manuel comme un discours façonné par les effets de normalisation des concepteur·trice·s précédemment évoqués, mais aussi par d'autres facteurs d'ordre idéologique.

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