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Penser le genre avec le concept de stéréotype À l'origine terme d'imprimerie du XVIIIe

4 Le recours à deux concepts satellitaires

4.2 Penser le genre avec le concept de stéréotype À l'origine terme d'imprimerie du XVIIIe

siècle désignant un « ouvrage imprimé avec

des planches dont les caractères n'étaient pas mobiles et que l'on conservait pour de nouveaux tirages » (Crabbé et al., 1985 : 247, confirmé par De Carlo, 1998 : 84 et Légal

et Delouvée, 2008 : 11), le stéréotype intègre dès le XIXe

siècle le domaine psychologique et psychanalytique pour désigner la « fixité d'un comportement d'un

point de vue topographique et temporel » (Légal et Delouvée, 2008 : 11). Sa fonction de

filtre de la réalité et l'image que l'individu·e se fait de celle-ci l'introduisent dans le champ disciplinaire de la cognition, tandis que l'aspect social du stéréotype se traduit par une dimension consensuelle et socialement partagée. L'idée de généralisation excessive, d'immobilité, de pétrification qu'il gardera dans toutes les disciplines est déjà présente.

4.2.1 De la représentation au stéréotype

On peut dire que la représentation est un processus cognitif par lequel se construit la connaissance et l'interprétation du monde. En rendant les informations conformes à un modèle d'interprétation déjà en place, le processus permet de soulager le coût cognitif des opérations de réception d'informations. Mais le classement d'un objet selon la représentation et la mise en place d'une grille d'interprétation peuvent figer le classement.

C'est ainsi que participent au processus les stéréotypes, qui ont pour fonction de rendre la perception du monde économique en l'adaptant à un « prototype perceptuel » (Putnam, 1990 : 84) normé. Tout comme la représentation, les stéréotypes appartiennent au domaine individuel autant qu'au social. Le passage de la représentation au stéréotype découle d'une fixation de ces grilles interprétatives, les deux concepts entretenant une relation dialectique : « Les représentations partagées, qu'elles soient qualifiées de

stéréotypage (ou à la stéréotypie) » (Boyer, 2007 : Présentation). Les stéréotypes

concernent l'ensemble de la perception du monde, produisant des attentes communicationnelles (Mannoni, 1998 : 11-25), actionnelles55

(Ioannitou, 2007 : 12), etc.

Les catégories propres à la grille d'interprétation restent flexibles et révocables, pour répondre aux besoin d'interprétation d'un environnement évolutif. Cependant, lors du passage au stéréotype, ces catégories et leurs traits constitutifs se fixent. Dès lors, ces traits deviennent constitutifs des catégories auxquels ils participent : celles-ci sont réduites à ces traits posés comme distinctifs. Le stéréotype est alors compris comme une « hypergénéralisation » (De Carlo, 1998 : 85). C'est ainsi que pour la psychologie sociale se construisent collectivement des objets sociaux dont certains traits désignent le tout d'une catégorie : les catégories sexuées ou raciales fonctionnent sur ce procédé, les Hommes, les Femmes, les Non-racisé·e·s/Blanc·he·s, les Racisé·e·s/Non-Blanc·he·s, etc. étant des individu·e·s réduit·e·s à une singularité sexuée ou raciale devenue signifiante et les englobant tout entier·e·s en déniant leurs singularités.

Passer de la représentation au stéréotype amène également un glissement dans l’attribution de valeur de ces deux phénomènes. En effet, le stéréotype est associé à

une valeur négative. L'opération de réduction exécutée par le stéréotypage restreint la réflexion portée sur le réel, et la rigidité de l'opération de classification de la réalité tend à évacuer la nuance.

Cette approche envisage le schème du stéréotype avant tout comme une pratique projetée, intergroupale. Il suit alors « un ensemble de règles d'interprétation

culturellement informées » (De Carlo, 1998 : 86) et devient un outil de compréhension

du monde aussi bien qu'un lien partagé entre les membres d'un groupe usant des mêmes stéréotypes, en-dehors de toute réalité concrète (Dufays, 2007 : 83). Ce faisant, il acquiert une nouvelle fonction, il fait partie de l'identité d'un groupe : « Les stéréotypes,

comme structures socio-cognitives, peuvent être considérées comme les produits, toujours disponibles au sein des imaginaires des communautés culturelles, de ce processus de figement représentationnel. » (De Carlo, ibid.) Ce n'est plus seulement sa

nature qui est sociale, mais sa fonction qui le devient. Il devient alors une nécessité identitaire :

55 « Le stéréotypage actionnel est le comportement manifesté d'après des idées et des règles qui aident à

« Considérés comme des schèmes collectifs du penser, réducteurs du réel,

de ses particularités, datés et figés, dépositaires des tensions entre groupes sociaux ou bien considérés comme éléments qui participent d'une construction lente d'une réalité sociale et culturelle à laquelle on ne peut échapper, les stéréotypes doivent s'envisager du point de vue de leur nécessité dans l'acquisition des connaissances qui constituent le lien social et culturel entre les individus. » (Bourdier, 2007 : 47)

Mais les stéréotypes ne peuvent être un outil social comme les autres. Bourdier (2007 : 47) complète : « Cependant, ils ne peuvent se départir du soupçon qui pèse sur eux,

dans la mesure où ils représentent une caractérisation simplificatrice de la complexité des choses. ». La question du passage d'un état d'outil de compréhension à celui de

déformateur du monde, reste posée.

Pour Beacco (2000 : 117-119), la représentation stéréotypée est un ensemble de « perceptions figées et appauvrissantes voire fantasmatiques, de réalités autres, des

descriptions condensées, non falsifiables et d'emploi universel, des formes non problématiques de la connaissance ». L'auteur fait appel à l'ensemble des dimensions du

stéréotype : de l'outil de connaissance, il transforme les représentations en éléments saillants, parfois imaginaires et figés d'un groupe autre, transposant ainsi le stéréotype en outil de distinction soi/autre. Leur effet de classification devient un outil pervers de la connaissance puisqu'il n'offre plus la possibilité de problématiser les éléments catégoriels.

Le propos pose la problématique de l'identité/altérité à travers le concept de stéréotype. C'est à partir de ce point que sera développée dans la partie suivante l'utilisation du concept dans l'analyse du genre.

4.2.2 Les stéréotypes comme indicateurs de genre

Les traits développés pour définir le concept de stéréotypes permettent de discerner ce que sont les stéréotypes appliqués aux catégories sexuées. Ils seront expliqués à partir de la pratique de stéréotypage au niveau groupal (catégories de sexe) et social (comme pratique collective). Ceci amènera en définitive à comprendre à quoi correspondent les stéréotypes de sexe dans des manuels de FLE.

Pratiquer une lecture genrée permet de mettre en valeur l'utilisation de la stéréotypie dans l'établissement des normes de genre. Si être une "femme" ou un "homme" revient à se rapprocher d'un modèle féminin ou masculin, celui-ci est constitué comme un idéal

possédant des attributs, offrant un référencement facilité des membres du groupe social, qui s'est figé pour devenir une norme.

L'hypergénéralisation56

que provoque le stéréotype consiste à élire le trait d'une catégorie comme tout représentatif de celle-ci. Lorsqu'elle s'applique aux individu·e·s, elle tend à produire des groupes homogénéisés dont les différences intercatégorielles sont accentuées pour constituer l'endo- et l'exogroupe (Légal et Delouvée, 2008 : 36-59). Pour les mêmes auteurs, dans la notion d'appartenance à un groupe, les membres se définissent en fonction de représentant·e·s considéré·e·s comme « typiques » car possédant des « attributs » (Légal et Delouvée, 2008 : 16) préétablis. Dès lors, le jugement d'appartenance d'un sujet à un groupe se fonde sur la possession plus ou moins marquée de ses attributs : l'appartenance catégorielle d'un·e individu·e appelle un « réseau d'association » qui lie le sexe au comportement, à un jugement, à une valeur sociale (Pichevin, 1997 : 458).

L'adhésion à une modélisation typique s'applique à la constitution des rôles masculins et féminins qui concentrent chacun des caractéristiques et attributs particuliers. L'individu·e est défini·e comme comme l'un ou l'autre en se rapprochant de l'un de ces extrêmes, en adoptant ses attributs : il·elle possède ainsi une identité relative à la fois à son identité de genre, et au groupe social qui partage les mêmes normes de genre. Celles-ci sont relayées par la communauté : elles fonctionnent de manière individuelle et sociale. Les deux pôles que sont "l'homme" et "la femme", en tant que représentant·e·s archétypaux·ales de ce que doivent être un "homme" et une "femme", sont des stéréotypes.

L’établissement de rôles/idéaux stéréotypés comme modèles référents s'inscrivent dans la prescription du maintien de ces catégories et de leur hiérarchisation réciproque, et l'exclusion des individu·e·s ne partageant pas les mêmes conceptions de ces normes. Les stéréotypes fonctionnent comme une idéologie, décrite par Légal et Delouvée (2008 : 49-53) comme un ensemble de « mythes légitimisateurs » (id. : 55) s'ancrant dans les théories de dominance sociale : elle met en scène des stéréotypages de sexe construits de manière externe aux sujets eux-mêmes et entraine la fabrication de stéréotypes fournissant une explication à la distribution des rôles et à son maintien en faveur d'un groupe.

Le manuel de FLE donne une image perceptible des catégories sexuées. Observer le genre reviendra, lors de l'analyse des manuels, à observer comment leurs contenus concourent à forger une image de chacun de ces pôles, et à analyser de quelles

manières les catégories de sexe sont construites d'après des traits définitoires figés de la sexuation les maintenant dans des rôles induisant une hiérarchie entre eux.

La partie suivante questionne la relation entre stéréotype et enseignement des langues. En effet, interpréter le stéréotype comme une simplification amène à interroger le processus de didactisation du savoir, pour distinguer les deux processus : simplification et stéréotypage.

4.2.3 Stéréotypes en FLE : conséquences de la simplification des

savoirs ?

L'adaptation du matériel à la maturité d'apprentissage du public est incontournable, et l'effet de simplification entrainé peut déboucher sur une généralisation. La transposition didactique57 implique-t-elle nécessairement un stéréotypage ?

Les concepteur·trice·s de manuels peuvent utiliser le stéréotypage pour lisser la langue et la culture et en faire des éléments faciles à appréhender pour les apprenant·e·s débutant·e·s. Le processus pourrait servir à gommer certaines difficultés, dans l'optique de supporter un meilleur développement de l'apprentissage. Pour Bento (2007 : 43), c'est par exemple une explication de l'absence de variation langagière dans les manuels de FLE : « il semblerait que comprendre une langue étrangère implique de maitriser

d'abord des stéréotypes, en d'autres termes il faut que l'apprenant soit capable de repérer des formes linguistiques partagées par une communauté. » Cependant, les

méthodologies récentes ont donné la primauté à un contenu langagier incluant les variations, même aux premiers niveaux d'apprentissage. Si rien n'est dit de l'apprentissage culturel ou de sa progression, on peut penser que le même type de prescription est suivi :

« Les enseignements de type culturels sont généralement limités dans le cas

d'apprenants débutants. L'apport d'informations culturelles, par exemple, quelle qu'en soit la nature, tend à être très simplifié, autrement celles-ci ne seraient pas compréhensibles. Cette simplification, infantilisante parfois, risque alors de mettre en circulation des représentations sommaires, proches des stéréotypes. » (Beacco, 2000 : 45).

Afin de résoudre l'enseignement de la culture à un public débutant dans la langue-cible, la solution de Beacco, outre de produire une réflexion sur les perspectives culturelles, rejoignant ainsi une réflexion générale interculturelle, est de travailler essentiellement sur des graphiques ou de l'iconographie. Un élément-clé peut-être davantage la variation des documents et points de vue présentés à l'apprenant·e. Il s'agirait alors de « généraliser les expériences de contact avec la culture étrangère, sans

tomber pour autant dans le piège du stéréotype » (De Carlo, 1998 : 44).

Au final, même si le niveau des apprenant·e·s demande une étape de simplification, celle-ci ne peut se confondre avec un processus de généralisation excessive. Dès lors, les images simplifiées du masculin et féminin ne peuvent être

confondues avec un stéréotypage opéré sur la sexuation et les catégories de sexe dans le matériel d'enseignement-apprentissage des langues.

La dernière partie s'attache enfin à la finalité d'une remise en cause des stéréotypes. La perspective développée nécessite en effet d'aller plus loin que la simple mise au jour des stéréotypes eux-mêmes, et de remonter à leur cause, ce qui constitue l'optique dans laquelle ils seront utilisés dans ce travail.

4.2.4 Utiliser le stéréotype pour penser le genre : limites et perspectives

Alors que le stéréotype peut émerger dans les pratiques de la classe, le discours apprenant comme le discours enseignant (Ishikawa, 2007 : 120-130), ou même être cultivé pour présenter un point de vue mélioratif (Serrat, 2011 : 76), le stéréotypage reste un procédé restreignant l'ouverture sur le monde, réflexive et auto-réflexive prônée par la D.L. En tant que vecteurs de discrimination58 et de domination, les stéréotypes font l'objet d'étude, d'analyse et de description, pour les faire émerger. Mais l'objectif : rendre les stéréotypes visibles, ne constitue pas une fin en soi. La critique apportée par Fraisse (2014) sur la désignation des stéréotypes dans le monde de l'image et des médias quant à son manque de finalité permet de développer une approche plus complète du 58 Les effets des stéréotypes sont réels et mesurables. On peut prendre pour exemple le phénomène des prophéties auto-réalisatrices révélé par les recherches portant sur les comportements genrés en milieu scolaire. Le fait de créer pour eux une attente stéréotypée a tendance à conditionner les sujets discriminés qui s'y conforment. Dans ce cas, la croyance devient réelle (Légal et Delouvée, 2008 : 74-75) : tout d'abord, l'attente de comportements crée chez le sujet des comportements congruents avec ces attentes, puis par le feed-back qu'il reçoit des autres, il adapte inconsciemment son comportement et le réajuste aux attentes initiales (ibid.). Ainsi, afin d'aller au-devant d'un échec attendu, le sujet confirme le stéréotype négatif par une contre-performance. Il a ainsi été observé que des élèves "filles", après activation des stéréotypes, se conforment à ceux-ci à travers une baisse sensible de leurs performances scolaires pour correspondre à l'image de leur rôle social subalterne (ibid.).

stéréotype et de sa remise en cause.

Fraisse (2014 : 43-63) remet en cause la priorité accordée à la lutte contre les stéréotypes notamment dans l'image (publicitaire ou de communication). Devenue en effet une préoccupation première dans le traitement politique des effets de genre, les efforts s'y concentrent depuis ces dernières décennies en Occident qui marquent la présence massive de l'image dans l'environnement commun : on voit par exemple se multiplier les interventions de régulation de publicités sexistes. Or, pour l'auteure, il s'agit d'un déplacement de priorité, qui démontre surtout l'échec de politique globale sur la question. L'image est pensée comme ce qui fait se développer les inégalités, or elle en est moins le déclencheur qu'une traduction du système en place.

Dans le propos de Fraisse, la critique du discours comme produit fini (pour elle, l'image, dans le cas de ma recherche : le contenu textuel, illustratif, langagier genré) revient à travailler sur un effet, non sur la cause. Fraisse met en avant l'importance de ne pas prendre l'image comme une fin en soi, mais de la replacer dans son cadre de production et de réception, de la considérer avec « les sujets qui les accompagnent de

leur force productive (qui les montre, ces images ?) et les sujets qui les reçoivent (ils y croient ?) (…) » (Fraisse, 2014 : 54). Ce faisant, on replace le problème que soulève le

stéréotype dans une pensée de la discrimination globale et efficiente :

« Où est alors le pouvoir qui discrimine ? Dans les images stéréotypées qui

fabriquent des assignations, ou dans l'organisation sociale qui construit et reproduit la hiérarchie de classe à partir de la dualité sexuelle ? » (Fraisse,

2014 : 53)

Dans le cadre de ma recherche, l'image autant que le texte sont considérés comme potentiellement vecteurs de stéréotypes, que je cherche à déceler pour les déconstruire. La démarche implique une réflexion sur les modèles qui ont servi à fabriquer ces stéréotypes : il ne s'agit pas simplement de les désigner, mais d'interroger les références utilisées pour transcrire le réel dans des manuels de FLE. Inclure dans la recherche les concepteur·trice·s est un moyen de revenir à la source de ces normes, et de placer l'analyse dans une démarche générale d'interrogation du système de production de genre, et pas seulement de ses phénomènes.

C'est pourquoi le concept de stéréotype parait un levier efficient de remise en cause, qui marque un point de rupture entre un énoncé seul qui pose problème du point de vue de la discrimination, et une série d'énoncés qui pose ce même

problème dans un système de production/reproduction de stéréotypes. Il permettra

de voir ce qui relève d'un phénomène isolé ou d'un système construit, et d'apporter une double dimension à l'analyse critique.

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