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Pratiques de recherche : évaluer les représentations

4 Travail sur les représentations sexistes dans les manuels scolaires Une série de manuels scolaires a contribué à enclencher en France la polémique autour

4.1 Pratiques de recherche : évaluer les représentations

Tain (2011) note par ailleurs la disproportion entre le propos des manuels qui somme toute n'introduit rien de nouveau (voir Beauvoir) et la forte réaction sociale, militante, politique, suite à leur parution, ce qui montre l'attention portée au manuel scolaire, représenté comme un vecteur éducatif autant qu'idéologique. La partie suivante expose l'ensemble des recherches menées sur le manuel scolaire du point de vue des représentations genrées et des discriminations sexistes, et y montre l'évolution des représentations.

4 Travail sur les représentations sexistes dans les manuels scolaires

Une série de manuels scolaires a contribué à enclencher en France la polémique autour du genre. Il reste à montrer comment l'ensemble des recherches portant sur le manuel scolaire contribue à modéliser un modèle théorique et méthodologique pour l'étude du genre dans des disciplines d'enseignement-apprentissage variés, dont la D.L.

La contextualisation porte sur différents niveaux. Une première partie montre comment

la recherche mène des travaux sur la question, à partir des années 1960 en France, et

quelle lecture des rapports sociaux de sexe elle y engage. Une seconde partie s'attache à décrire l'outillage légal développé en France et en Europe autour des manuels

scolaires. Apparait en France un rapport dialectique entre l'institution, qui met en place

des consignes, réformes, décrets, et les maisons d'édition qui restent, elles, libres de leurs choix en vertu de l'indépendance éditoriale française.

4.1 Pratiques de recherche : évaluer les représentations

Depuis les années 1970, le nombre de travaux issus de domaines variés : français, mathématiques, histoire, S.V.T., didactique des langues, etc., portant sur le contenu des manuels scolaires a largement augmenté en France, contribuant à former une thématique complète autour de leur représentation des "hommes" et des "femmes". C'est initialement la place des "femmes", ou plutôt leur absence et leurs positions dévalorisées, qui ont permis par contraste de mettre au jour la représentation globalement sexiste qui est donnée à l'apprentissage pour les enfants. Depuis l'année 1975 où l'ONU a décrété l'Année internationale de la femme, les publications sur les

contenus de manuels jugés sexistes ont publiquement émergé (Choppin, 1975 : 184-187). Alertant les instances nationales et internationales, elles ont ensuite produit un engagement de la part des institutions dans des actions officielles.

Pour Lignon et al. (2012), c'est en 1965 avec Chombart de Lauwe que le questionnement des modèles proposés dans la littérature de jeunesse et la prédominance des rôles masculins apparait en France141

. Decroux-Masson publie Papa lit, maman

coud en 1979. Portant sur des manuels scolaires utilisés à l'époque, qui ont en fait entre

dix et vingt ans d'ancienneté, elle y dénonce la lourde part de traditionalisme dans les représentations genrées, la présence féminine y étant systématiquement dévalorisée. Les personnages féminins sont exclus de la sphère professionnelle, et alors que « papa » peut être aussi médecin, « maman », elle, n'est que mère (1979 : 56). Le genre féminin est rattaché à la sphère domestique, alors que le masculin entre en relation avec le monde extérieur, le public (1979 : 63). La répartition des tâches y est distincte et conservatrice (id. : 34), et on perçoit la dualité agentivité/passivité attribuée respectivement aux "filles" et aux "garçons" (id. : 105). D'une manière générale la séparation entre féminin et masculin est très ancrée, avec des stéréotypes opérant sur une gamme à résonance traditionaliste. Decroux-Masson constate leur décalage avec le contexte socioculturel d'alors, et dénonce d'une part le mal-être du public enfant dont le mode de vie familiale est différent et ne peut être projeté sur l'idéalisation rétrograde de ces ouvrages (id. : 19-105), d'autre part la menace d'une transmission de rôles figée dans un anachronisme sexiste (id. : 105). Le large succès de l'ouvrage auprès d'un public autant spécialisé que non-spécialisé, parents, acteur·trice·s de terrain, montre que la question gagne la légitimité d'une audience autant politique que scientifique ou publique.

Les recherches dans les sciences de l'éducation se multiplient : les analyses se poursuivent, par grade scolaire (primaire, secondaire) et par discipline. Les résultats sont les mêmes, d'année en année : analysés à travers le sexisme, les manuels se révèlent répondre aux mêmes stéréotypes de sexe : « Les images (…) ne sont pas seulement

simplifiées et partielles, mais également appauvrissantes et partiales » (Crabbé et al.,

1985 : 257). À partir de la deuxième moitié des années 1980, elles se font plus rares, suivant en cela le creux du militantisme féministe. Le regain d'intérêt se fera à partir du 141 C'est également la source la plus ancienne parmi les ouvrages de référence sur le sexisme proposés

rapport de Rignault et Richert en 1997 (voir infra).

Il s'agit jusqu'ici de présenter une lecture des manuels à travers les stéréotypes de sexe. L'objectif est de faire émerger la représentation explicitement stéréotypique, la discrimination flagrante. On se trouve dans une dénonciation sexiste dont la

dimension dévoile un apprentissage biaisé des rôles sociaux enseignés à l'école.

Mais peu de recherches incluent l'apprentissage dans un fonctionnement non pas sexué mais genré, alors que le genre répond à un critère de construction sociale et s'inscrit dans une démarche de description des inégalités produites par l'effet de catégorisation binaire. D'une manière générale, la dimension sexuée n'est pas interrogée au-delà

d'un constat de discrimination avant les années 2000.

Ces travaux sont initialement le fait de chercheur·e·s indépendant·e·s, mais intègrent parfois le registre associatif. Ainsi dès 1977 l'Union des Femmes Françaises se mobilise contre le sexisme dans les manuels scolaires (Terneu-Evrard et Evrard pour la Commission des Communautés Européennes, 1984 : A78), et La Meute ou Du côté des

filles poursuivent l'action aujourd'hui (Lignon et al., 2012 : 4). D'autres structures, à la

marge de l'indépendance associative et de la reconnaissance institutionnelle, organisent des recherches : ainsi le Centre Hubertine Auclert, qui diffuse notamment une série d'études de 2011 à 2013 sur la représentation des "femmes" ou la représentation sexuée dans les manuels d'histoire, de mathématiques et de français, cette fois non au primaire mais au secondaire142

.

La révision de l'outillage scolaire entamée à la fin des années 1960 montre la position subalterne des personnages féminins et accuse la portée symbolique d'une telle représentation qui ne reflète pas l'évolution des droits sociaux et l'avancée des revendications féministes en France sur ces décennies143

. Alors que les femmes investissent l'espace public et occupent un rôle social ou politique grandissant, les manuels perpétuent la représentation de "femmes-mères" confinées dans des espaces domestiques.

142 Centre Hubertine Auclert, 2011, La représentation des femmes dans les manuels d'histoire de

seconde et de CAP, Paris, Centre Hubertine Auclert.

Centre Hubertine Auclert, 2012, La représentation sexuée dans les manuels de mathématiques de

terminale. Égalité femmes-hommes dans les manuels de mathématiques, une équation irrésolue ?,

Paris, Centre Hubertine Auclert.

Centre Hubertine Auclert, 2013, La représentation des femmes dans les manuels de français. Les

manuels de français se conjuguent au masculin, Paris, Centre Hubertine Auclert.

Le travail sur les représentations trouve un écho politique dans la commande de rapports et d'actions publiques. L'institution scolaire lui donne ainsi une légitimité, ce point étant développé dans la partie suivante.

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