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Mouvements féministes passés et actuels en France (1960-2000)

2 Apports du féminisme

2.2 Mouvements féministes passés et actuels en France (1960-2000)

La permanence des revendications concernant l'éducation et l'emploi jusqu'à nos jours pourrait laisser croire que rien n'a été acquis jusqu'ici. Il y a pourtant eu révolution. En Occident dans les années 1960-1970, le changement a lieu, sexuel et sexué. La question de l'égalité entre les "hommes" et les "femmes" atteint la sphère politique, et le féminisme voit ses luttes opérer au grand jour, se lier aux revendications libertaires de ces décennies.

Vingt ans après l'obtention d'un suffrage enfin réellement universel en France (droit de vote pour les "femmes" en 1944), les "femmes" peuvent gérer elles-mêmes leurs biens (1965). L'ouverture à la sexualité se produit avec l'accès à la contraception avec la loi Neuwirth, 1967 et 1974, et à l'avortement avec la loi loi Veil, 1975 (Bajos et Ferrand, 2005 : 114-121) ; tandis que les collectivités locales créent des structures d'accueil de la petite enfance dans les années 1970-1980. En transformant en emploi ce qui ressortissait de la famille, elles « défamiliarisent » les activités parentales (Fagnani et Letablier, 2005 : 172) et les inscrivent dans l'espace public66. Les lois entourant la parité (1999) assurent légalement aux "femmes" d'être partie prenante dans le paysage politique et social français67, bien que la mesure questionne l'essentialisme accordé au sujet

65 Voir la partie suivante.

66 Bien que, au final, ces emplois poussent à une ségrégation genrée (voir la partie précédente et le propos sur le care), créant une situation dans laquelle le service à la personne est assuré par des "femmes", souvent précarisées (INSEE, 2010) et racisées. Se met en place une double discrimination, dans laquelle les "femmes" non-racisées et de classe aisée s’alloue les services de "femmes" racisées et de basse classe sociale (Nakano Glenn, 2009).

INSEE, 2010, Les services à la personne, [en ligne] <http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp? ref_id=ip1461#inter3❢❣❤ ✐ ❥❦ ❤ ❥❤ ❧♠

67 Article 1er, alinéa 2 de la Constitution française (loi du 8 juillet 1999 inscrit à l'article 1er de la

"femme" en France.

Aujourd'hui, on garde de ces luttes d'évidentes évolutions, mais les changements annoncés n'ont pas eu lieu dans la société :

« Dans les années 1960 et 1970, les femmes occidentales sont sur le point

d'accéder à une véritable égalité avec les hommes. [Divers changements

sociaux] sont alors perçus comme les signes avant-coureurs d'une

disparition prochaine de l'ordre social favorisant les hommes au détriment des femmes. Hélas, la disparition annoncée n'a pas eu lieu. Ou, pour être plus précis : célébrée dans les médias et dans un certain discours politique, elle n'a pas eu lieu dans la vraie vie. » (Löwy, 2006 : 32)

Le sujet semble presque clos, puisque les discours médiatiques et politiques, s'ils ne nient pas la persistance de certaines inégalités, semblent souligner que l'égalité est à la portée des quelques mesures ou changements qu'il reste à opérer. Les "hommes" et les "femmes", à quelques détails près, se retrouveraient, pour de vrai cette fois, sous la bannière d'un universalisme à la française acquis et opérant. Cependant, la représentation des rôles, leur reproduction et celle des inégalités qu'ils engendrent, n'ont pas été remises en question, et restent prégnantes malgré un remodelage :

« Rôles et identités féminins d'autrefois ont peut-être disparus ; mais

certains aspects de ceux qui ont cours aujourd'hui leur ressemblent à s'y méprendre. Ou, pour être plus précis : certains attributs de la féminité traditionnelle ont été remodelés récemment pour être en accord avec l'image valorisée de la "femme nouvelle" » (Löwy, 2006 : 35)

Löwy (id. : 212) résume la situation en parlant du « mythe de l'égalité des sexes ». Le « récit » de l'égalité structurelle non-discrimante dans le couple hétérosexuel permet de conserver l'illusion d'une liberté pour les "femmes" qu'il est possible d’acquérir « pour

celle "qui le veut vraiment" » tout en contrant ses velléités de prise de pouvoir en la

rendant non seulement impossible, mais en rendant les "femmes" elles-mêmes responsables de cet échec (id. : 229).

En France, les va-et-vient de mouvements féministes, présents jusqu'à la fin des années 1970, encore là mais « marquant le pas » dans les années 1980 (Riot-Sarcey, 2002 : 105), ré-émergeant dans les années 1990 pour devenir pratiquement persona non grata Constitution le 23 juillet 2008) : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats

électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Assemblée Nationale, 2014, Fiche de synthèse n°13 : L’égal accès des femmes et des hommes aux

mandats électoraux et fonctions électives, [en ligne] < http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l- assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/l-egal-acces-des-femmes-et-des-hommes-aux-mandats-electoraux-et-fonctions-electives2

au début des années 2000, témoignent des difficultés de la société à évoluer sur les

questions de rapport social de sexe. Parallèlement, les dissensions des groupes

féministes notamment autour des questions de la maitrise du corps, à travers la sexualité, émancipatrice ou assujettissante, hétérosexuelle ou homosexuelle ; la prostitution, comme un droit d'en user librement ou une soumission au désir hétérosexuel masculin ; la parentalité médicalement assistée, comme une marchandisation du corps féminin ou une banalisation libertaire de la maternité, ont mené à l'éclatement général des grands mouvements populaires.

Le contexte français amène également à questionner le rôle de l'universalisme dans la question féministe. Principe constitutif de la pensée française, il pose les sujets comme s'ils répondaient déjà aux exigences de liberté, d'égalité, et de fraternité, en-dehors de toute réalité matérielle. L'universalisme fonctionne sur un a priori positif d'égalité : « l'universalisme de l’État agit comme si tous étaient effectivement libres et égaux » (Varikas, 2006 : 85). Opposant aux questionnements portant sur les minorités une nation indivisible et sans distinction, il tend à invisibiliser les mouvements de revendication

particuliers des sujets opprimés (Schnapper et Soumaharo, 2013, et Laurent et

Leclère, 2013) et à restreindre l'accès à de nouveaux débats (Fassin, 2009 : 299). Butler (2006) dénonce l'universalité qui, en veillant à l'égalité de chacun, étouffe toute velléité de politique égalitaire. Elle ne la réfute cependant pas totalement, car elle trouve en elle une utilité finale, une visée vers laquelle tendre, en se détachant d'une application politique totale : « C'est ainsi que j'en suis venue à redéfinir ma conception de

l'universalité, cette fois, comme un travail de traduction culturelle tournée vers l'avenir » (Butler, 2006 : 40).

Le féminisme a évolué en France. Alors qu'il continue à être porté par des

mouvements militants actifs et des interventions institutionnelles légales, il incarne simultanément dans l'imaginaire collectif un objet désuet tandis que les inégalités fondées sur la différence de sexe (dans une optique encore exclusivement binaire) persistent. Le fractionnement des mouvements féministes se fait également l'écho de

l'échec pour le sujet "femme" de rassembler les dominé·e·s qui s'inscrivent dans la multiplication des rapports de pouvoir (racialistes, classistes, etc.) et la multiplication des identités de genre. Le glissement, du sexe au genre, sera l'objet de la partie suivante.

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