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4. Le païen dans l’imaginaire ottonien

4.1. Rites et symboles du paganisme slave

Les missionnaires présentaient dans leurs écrits l’importance des dieux chez les païens. D’après Kahl, l’aspect de plus important de ces dieux était qu’ils offraient à leurs adorateurs, selon les chrétiens, un salut qui était uniquement terrestre et non divin. Le but des païens était d’obtenir des bienfaits des dieux dans le monde terrestre et non céleste. Ainsi, d’après les témoignages de sources saxonnes, les dieux païens, dont Swantowit semble avoir été la figure emblématique, servaient tous les mêmes buts : veiller au bien- être des païens, leur donner la victoire, de l’eau, de la terre et les aider dans les récoltes.752

Cette façon de concevoir les dieux n’était pas unique aux Slaves et pouvait très bien servir la cause chrétienne. Alors que certains ecclésiastiques voulaient que l’on distingue les sphères divines et terrestres, les païens de leur côté continuaient de vénérer les créations de

748 Christian Lübke, « Zwischen Triglav und Christus. Die Anfänge der Christianisierung des Havellandes »,

Wichmann Jahrbuch des Diözesangeschichtsvereins Berlin, No.34-35, 1994-1995, p. 20.

749 Hans-Dietrich Kahl, « Heidnisches Wendentum », loc. cit. p. 201. 750 Ibid. p. 202.

751 Ibid. p. 209.

752 Ibid. p. 206. Au sujet de la victoire, voir par exemple Cosmas de Prague, op. cit. I, 11 ou Thietmar de

Dieu ne pouvant que leur donner des bienfaits terrestres. Par conséquent, les missionnaires et les Ottoniens pouvaient se concevoir comme des libérateurs auprès des Slaves, leur permettant d’obtenir le réel salut et non de vulgaires gains terrestres. À cet égard, il ne faut pas oublier que les cultes païens étaient tournés vers le concret : on adoptait entre autres un dieu parce qu’il avait démontré sa puissance.753

Pour cette raison, les idoles furent une des premières cibles missionnaires. Les évangélisateurs les considéraient sans pouvoir, puisque faites de main d’homme. Les païens croyant d’abord en ce qui était concret, les missionnaires ne cherchèrent pas, dans un premier temps, à les convaincre du bien-fondé du message chrétien ; ils détruisirent les idoles, montrant qu’elles n’avaient aucun pouvoir.754 Pour Kaljundi, cette importance

accordée aux idoles dans les sources pourrait n’être qu’une copie du modèle gréco-romain, puisqu’à plusieurs reprises, leur nom et les rituels rendus en leur honneur rappellent les descriptions antiques.755 Il reste que les sources insistent sur ces idoles. Par exemple,

Cosmas de Prague mentionne que l’on pouvait s’attirer la faveur des dieux par des offrandes aux idoles, et qu’elles étaient nécessaires avant de combattre l’ennemi. Dès ce moment, les dieux se trouvaient aux côtés des troupes, leur servant de rempart et protégeant plus particulièrement ceux qui seraient audacieux au combat.756 Le chroniqueur souligne

aussi que les païens croyaient que certains dieux comme Mars et Bellone les accompagnaient à la guerre.757 Cette pensée démontre l’importance terrestre de l’action des

dieux qui, selon les chrétiens, devaient apporter la victoire aux païens. Aussi, Cosmas confirme l’idée de Kaljundi selon laquelle les cultes païens médiévaux reproduisaient dans les sources des cultes romains. En effet, tant Mars que Bellone étaient des figures divines associées à la guerre chez les Romains. Dans le même ordre d’idées, Thietmar de Mersebourg souligna aussi l’importance des idoles païennes dans le processus guerrier :

25. (18.) Quot regiones sunt in his partibus, tot templa habentur et simulacra demonum singula ab infidelibus coluntur, inter quae civitas supramemorata principalem tenet monarchiam. Hand ad bellum properantes salutant, illam prospere

753 Ibid. p. 226.

754 Paul M. Barford, op. cit. p. 215. 755 Linda Kaljundi, op. cit. p. 54. 756 Cosmas de Prague, op. cit. I, 11. 757 Ibid. I, 10.

redeuntes muneribus debitis honorant, et, quæ placabilis hostia diis offerri a ministris debeat, per sortes ac per equum, sicut prefatus sum, diligenter inquiritur. Hominum ac sanguine pecudum ineffabilis horum furor mitigatur. Hiis autem omnibus, qui communiter Liutici vocantur, dominus specialiter non presidet ullus. Unanimi consilio ad placitum suimet necessaria discucientes, in rebus efficiendis omnes concordant. Si quis vero ex comprovincialibus in placito hiis contradicit, fustibus verberatur et, si forinsecus palam resistit, aut omnia incendio et continua depredatione perdit aut in eorum presentia pro qualitate sua pecuniae persolvit quantitatem debitae. Infideles ipsi et mutabiles ipsi inmutabilitatem ac magnam exigunt ab aliis fidem. Pacem abraso crine supremo et cum gramine datisque affirmant dextris. Ad hanc autem perturbandam et facile pecunia corrumpuntur.

Hii milites, quondam servi nostrisque iniquitatibus tunc liberi, tali comitatu ad regem auxiliandum proficiscuntur. Eorum cum cultu consorcia, lector, fugias, divinarum mandata scripturarum auscultando adimple : et fidem, quamd Athanasius profitebatur episcopus, discens memoriterque retinens, haec, quæ supra memoravi, nil esse probabis veraciter.758

Les dieux païens étaient donc impliqués auprès de leurs peuples lorsqu’ils allaient guerroyer. Selon Thietmar, le clergé devait être consulté avant toute action militaire afin que les païens puissent s’assurer d’avoir l’aide de leurs dieux. De nouveau, ils devaient faire les sacrifices appropriés afin de s’assurer la protection divine. Il s’agit d’une confirmation de la thèse avancée par Kahl, à savoir que les païens ne cherchaient qu’une aide terrestre par le biais de leurs dieux. Il reste que dans cette optique, la conversion au christianisme se trouvait justifiée. Pour les chrétiens, si le salut était une œuvre collective, il devenait nécessaire de sauver les païens. Par leurs actions ignobles et leur vénération des choses terrestres, ils compromettaient le salut de la chrétienté. Par conséquent, les actions missionnaires, et parfois militaires, faites contre les Slaves trouvaient une légitimité dans le salut. Ceci était d’autant plus vrai si l’on considère que pour Thietmar, les Slaves avaient

autrefois été soumis aux Germaniques et au christianisme, et que leur révolte faisait des apostats et des traîtres.

Dans un autre ordre d’idées, si les dieux étaient consultés pour remporter la victoire, Cosmas de Prague souligne dans sa chronique qu’ils prédisaient parfois la défaite de leur peuple, sans avoir l’écoute des païens : « XI. Interea quedam mulier, una de numero Eumenidum, vocans ad se privignum, qui iam iturus erat ad prelium, "Quamvis", inquit, "non est naturale novercis, ut benefaciant suis privignis, tamen non inmemor consorcii tui patris cautum te faciam quo possis vivere, si vis. Scias Boemorum strigas sive lemures nostras prevaluisse votis Eumenides, unde nostris usque ad unum interfectis dabitur victora Boemis. »759 Dans cette prédiction néfaste on retrouve une intercession terrestre du dieu,

c'est-à-dire la préservation de la vie d’un guerrier.

En dehors de ce contexte guerrier, les idoles païennes sont aussi mentionnées dans les sources. Dans la Vie et le martyre de saint Wenceslas et de sa grand-mère, sainte Ludmila issue de la Legenda Christiani (v.990) se retrouve cette idée de représentation des dieux : « II. At vero Sclavi Boemi, ipso sub Acturo positi, cultibus ydolatrie dediti, velut equus infrenis sine lege, sine ullo principe vel rectore vel urbe, uti bruta animalia sparsim vagantes, terram solam incolebant. »760 Johannes Canaparius fit d’ailleurs un reproche

similaire aux nations slaves dans sa Vita sancti Adalberti episcopi Pragensis. Il reproche aux païens d’être opposés aux chrétiens, de vénérer les choses faites par le Créateur, les bois et les roches ainsi que les idoles faites de mains d’homme.761 Pour Kahl, toutes les

sources accordèrent de l’importance au culte des idoles et comme dans le cas de l’Irminsul, l’idolâtrie contrevenait au second commandement biblique.762 Par conséquent, la

conversion des peuples slaves païens devenait une œuvre faite dans l’intérêt des chrétiens et afin d’appliquer la loi divine. Elle permettait de légitimer l’intrusion chrétienne dans les territoires païens puisque les missionnaires devaient détruire les idoles afin de propager le

759 Cosmas de Prague, op. cit. I, 11.

760 Christian, « Vita et passio sancti Wenceslai et sancta ludmile avie eius », dans Josef Pekař, Die Wenzels-

und Lumdmila-Legenden und die Echtheit Christians. Prague A. Wiesner, 1906, p. 91.

761 Johannes Canaparius, Das Leben des Heiligien Adalbert von Johannes Canaparius. Nach der Ausgabe

der Monumenta Germaniae. Üversetzt von Dr. Hermann Hüffer, Berlin, Wihlehm Besser’s

Verlagsbuchhandlung, 1857, p. 3. Pour les références ultérieures, voir plutôt : Johannes Canaparius, S.

Adalberti Pragensis episcopi et martyris vita prior. Monumenta Poloniae Historica, Seria Nova, Vol. 4,2.

762 Hans-Dietrich Kahl, « Compellere Intrare. Die Wendenpolitik Bruns von Querfurt im Lichte

hochmittelalterlichen Missions- und Völkerrechts » dans Hans-Dietrich Kahl, Heidenfrage und Slawenfrage

règne de Dieu plutôt que des démons. Les sources démontrent que les idoles n’étaient pas nécessairement immobiles. Thietmar de Mersebourg mentionne par exemple que les païens emmenaient avec eux leurs idoles à la guerre afin que les dieux puissent les accompagner : « XXII. Post haec Liuzici nostris pridie quam ad Oderam fluvium venirent, sotiantur, deos suimet precedentes subsequuti. »763 Dans ce contexte, les Liutices rejoignaient les troupes

germaniques en 1005, et les chrétiens acceptèrent que les slaves païens emmènent leurs idoles. Cela pourrait ainsi ajouter une certaine véracité au récit rapporté et à l’importance des idoles chez les païens. Il faut ajouter que dans ce cas, la critique faite envers les représentations divines pouvait aussi servir à ternir l’image des chrétiens osant s’associer aux païens.

De nombreuses descriptions des idoles slaves sont conservées. Dans la Vita Ottonis episcopi Bambergensis par un moine de Prüfeninger, par exemple, l’auteur souligne que les païens vouèrent un culte à une lance, supposément laissée par Jules César auprès des Slaves : « VI. Quod videns episcopus alia eos via aggredi cogitavit, ut premiis vinceret, quos vincere ratione non poterat. Nam usque ad id temporis Iulinensibus, quod quidem doleamne an rideam nescio, venerabiliter reservata Iulii Cesaris lancea colebatur, quam ita rubigo consumpserat, ut ipsa ferri materies nullis iam usibut esset profutura. »764 On croyait

fermement à cette époque que les peuples de Poméranie avaient été en contact avec Jules César, faisant donc d’eux un peuple ancien.765 Puis, on fait mention d’un culte dédié à un

arbre gigantesque que les missionnaires souhaitaient abattre :

Erat forte tum temporis homo habens arborem nucum, quam stultus ille paganorum populus quasi sub religionis obtentu frequentare consueverat. Qui nuula ad hoc poterat ratione induci, ut arborem pateretur incidi, maxime cum et religionem estimaret in cultu et commodum haberet in questu. Episcopus quidem eum sedulo commonere, nichil esse religionis in stipites, in Deo pocius, cui serviret ipse, confiderent, arborem illam oportere succidi, quia esset demoniis dedicata. Ille vero nichil his rationibus cedere, postremo iurare in diis suis numquam

763 Thietmar de Mersebourg, op. cit. VI, 22.

764 Un moine de Prüfeninger, Die Prüfeninger Vita Bischof Ottos I. von Bamberg nach der Fassung des

Großen Österreichischen Legendars, MGH, SRG in us. schol., Bd. 71, II, 6.

765 Stanisław Rosik, « Pomerania and Poland in the Tenth to Twelfth Centuries: The Expansion of the Piasts

arborem se vivente, se consentiente succidi. Quam cum forte episcopus aggressus fuisset abscidere, ille eum securi percutere voluit, sed veritus ab eo casso vulnere aerem verberavit. Cumque a fidelibus, qui forte tunc aderant, rogaretur, uti pacientiam, quam aliis persuadebat, ipse prior ostenderet, arborem illam fore innoxiam, pateretur episcopus eam inconvulsam abdicato errore subsistere, victus precibus assensum dedit. Et arborem quidem, ne suam ulcisci videretur iniuriam, stare permisit, verum ab homine supradicto, ne quid deinceps ei venerationis impenderet aut aliquo venerationis cultu dignam crederet, sucuritatem, quam exigebat, accepit.766

Il est tout d’abord intéressant de noter que la lance laissée aux païens leur fut donnée, selon la légende, par Jules César, liant ainsi de nouveau le culte slave à l’Antiquité gréco- romaine. Cette image s’apparente davantage à un topos qu’à une réalité historique. En effet, rien dans les sources ne permet d’affirmer que César se rendit auprès des populations slaves païennes, et encore moins qu’il leur laissa une lance devant être vénérée comme une divinité, malgré ce que croyaient les chrétiens de l’époque. De plus, les Slaves n’eurent que peu ou pas de contacts avec le monde gréco-romain, païen ou chrétien.767 Puis, l’arbre

de la seconde description fait aussi office de figure typiquement associée aux idoles païennes. L’Irminsul, par exemple, bien que sommairement décrit, fut souvent considéré comme un arbre imposant vénéré par les Saxons. Une telle mention d’un arbre sacré est aussi présente dans l’œuvre missionnaire de saint Boniface qui voulut abattre le chêne sacré de Geismar vers 730.768 Par conséquent, malgré des descriptions plus présentes et précises

des idoles slaves, leur existence et leur importance doivent être remises en question. Considérant qu’elles furent liées à des topoï naturels ou antiques, il est probable que les écrits ecclésiastiques aient accentué leur présence sur les terres païennes et aient voulu lier les Slaves païens à des figures connues. Ce faisant, il devenait possible pour eux de rapporter la destruction des idoles, soit un des objectifs « négatifs » de la mission, mais aussi un signe manifeste de son succès.

766 Un moine de Prüfeninger, op. cit. III, 11. 767 Richard Fletcher, op. cit. p. 63.

Pour les auteurs étudiés, la présence des idoles et des dieux suppose la tenue d’un culte. Des rites sacrificiels sont donc mentionnés dans les sources. Cosmas de Prague les lia à la naïveté ou même à la stupidité des païens ainsi qu’à leurs idoles :

IV. Expers et maris, emuncte femina naris, que ex suo nomine Tethin castrum natura loci firmissimum prerupte rupis in culmine iuxta fluvium Msam edificavit. Hec stulto et insipienti populo Oreadas, Driadas, Amadriadas adorare et colere et omnen supersticiosam sectam ac sacrilegos ritus instituit et docuit ; sicut actenus multi villani velut pagani, hic latices seu ignes colit, iste lucos et arbores aut lapides adorat, ille montibus sive collibus litat, alius, que pise fecit, idola surda et muta rogat et orat, ut domum suam et se ipsum regant.769

Sans nécessairement décrire les sacrifices païens, il précise tout de même qu’ils furent introduits chez les Bohémiens. De fait, l’erreur païenne, à savoir l’intégralité de leurs superstitions, devait être accompagnée de rites sacrificiels. La Vie et martyre de saint Wenceslas (premier tiers du Xe siècle) ajoute certains détails : « III. Interea vero mater eius,

que erat ex genere gentilium ignorantium Deum, cum perfidissimis viris inito consilio dixit. […] IV. Denique cum hii omnes predicti malivoli irent ad immolandum demoniis agnos atque porcellos, ut ederent ex his nefandis idolatriis, ipse oportunitatem querens, subtraxit ab eis et nunquam contaminates fuit in escis eorum. Itaque et potum, quem ei propinabant, nunquam gustavit. »770 Il y a des précisions sur le sacrifice, alors qu’est mentionnée

l’immolation animale, pratique condamnée par les chrétiens. Cependant, ce n’est pas ce type d’offrande qui attira le plus intensément l’attention des auteurs chrétiens. Comme ce fut le cas pour les Saxons, l’insistance sur le sacrifice humain est plus marquée, et il est possible de retrouver dans les sources des descriptions du processus sacrificiel. Thietmar de Mersebourg mentionne une telle pratique chez les Liutices : « XIII. Inde reversus urbem unam… nomine possedit et hanc cum domino eius, urbanis nil repugnantibus, acquisivit eundemque Liuticis ad decollandum dedit. Nec mora, diis fautoribus haec ostia ante urbem offertur et de reversione ab omnibus tractatur. Tunc Bolizlavus, sciens nostros ex parte

769 Comas de Prague, op. cit. I, 4.

770 Anonyme, « Passio s. Vencezlai incipiens verbis Crescente fide christiana, recensio Bavarica », éd.

Jaroslav Ludvíkovský, dans « Nově zjištěý rukopis legendy Crescente fide a jeho význam pro datování Kristiána », Listy filologické, No. 81 (1958), III-IV (p. 59-60).

Liuticiorum incolumes non posse domum sine eo pervenire, crastino dimisit eos crepusculo, ut ammoniti fuerant multum properantes. »771 Le rite rapporté ici ne visait pas

seulement à condamner les païens, mais aussi Bolesław II de Bohême (mort en 999),772 un

noble chrétien. Il était alors en guerre contre Mieszko de Pologne (v.935-992),773 et décida

de s’allier aux Slaves païens contre son rival. Le sacrifice humain mentionné, approuvé par Bolesław selon le texte, fit du duc un mauvais chrétien, condamné par Thietmar. L’auteur souligne dans son écrit le fait qu’il autorisa la tenue d’immolations humaines païennes, liant ainsi ce monarque au paganisme, aux horreurs de ce culte et aux démons qui lui étaient associés. Rappelons à cet égard que le sacrifice humain, réel ou fictif, correspondait à l’époque à une offense grave, et être accusé d’un tel crime menait à une condamnation systématique. En effet, l’offrande rituelle de ses semblables liait le païen à la bestialité, oblitérant ainsi son humanité.774 Cependant, l’insistance sur l’immolation humaine fut

moins importante que chez les Saxons. Selon Kahl, les sacrifices animaux auraient été plus fréquents que les offrandes humaines chez les Slaves.775 S’appuyant sur l’analyse de

vestiges archéologiques et de sources écrites, il souligne que tous ceux qui voulaient se présenter au temple païen de Rügen devaient emmener une offrande avec eux. Dans une ville où les chrétiens n’étaient pas admis, car ils auraient souillé l’idole de la cité, seuls les animaux semblent avoir été sacrifiés. Les seuls chrétiens qui y furent sacrifiés furent ceux qui osèrent s’approcher ou pénétrer le lieu de culte, le profanant par la même occasion.776

Ceci corroborerait l’hypothèse selon laquelle le sacrifice cité par Thietmar, bien que ternissant l’image des païens, visant essentiellement une condamnation de Bolesław. Il utilisa donc autrement un topos normalement associé aux païens pour le stigmatiser. Les seuls autres sacrifices mentionnés par Thietmar, tant animaux qu’humains, servent à préciser que les démons païens devaient être apaisés dans leur furie par du sang animal ou

771 Thietmar de Mersebourg, op. cit. IV, 13.

772 Il s’agit du duc Bolesław II de Bohême (mort en 999). Il entreprit une guerre contre la Pologne qu’il perdit.

Il s’associa des païens au cours de cette guerre.

773 Ibid. IV, 11-13.

774 Pierre Bonnechere, loc. cit. p. 28.

775 Hans-Dietrich Kahl, « Der Ostseeslawische Kultstrand bei Ralswiek auf Rügen (8.-10. JH) » dans Hans-

Dietrich Kahl, Heidenfrage und Slawenfrage im deutschen Mittelalter. Ausgewählte Studien 1953-2008, Leiden, Boston, Brill, 2011, p. 154.

humain, sans autre description.777 Ainsi, la mention de ce rite n’aurait servi que de topos

pour condamner certains regroupements païens ou monarques chrétiens particuliers. Pour que les sacrifices puissent avoir lieu, il fut nécessaire que les païens aient des lieux de cultes, ce sur quoi les sources insistent aussi. Selon Barford, les cultes païens se déroulèrent d’abord à ciel ouvert et non dans des temples.778 Cette idée semble d’ailleurs

confirmée par les sources. Thietmar de Mersebourg, par exemple, fait mention d’une tribu slave nommée les Lommatzsh. Ils vouaient un culte à une source d’eau produisant des merveilles pour les populations qui la vénéraient. En effet, les prés l’entourant étaient toujours fertiles et fournissaient aux Slaves tout ce dont ils avaient besoin pour survivre.779

Le même auteur mentionne aussi une montagne en Silésie, sacrée pour les païens : « LIX. Posita est autem haec in pago Silensi, vocabulo hoc a quodam monte nimis excelso et grandi olim sibi indito ; et hic ob qualitatem suam et quantitatem, cum execranda gentilitas ibi veneraretur, ab incolis omnibus nimis honorabatur. »780 Enfin, il mentionne également

l’existence d’un bois sacré, détruit par les missionnaires : « XXXVII. Predicacione assidua commissos a vana supersticione erroris reduxit, lucumque Zutibure dictum, ab accolis ut Deum in omnibus honoratum ab evo antiquo numquam violatum, radicitus eruens, sancto