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5. Division de la recherche

2.3. Les Annales regni Francorum

Tout d’abord, il est nécessaire de spécifier qu’il existe deux versions des Annales regni Francorum. La première est celle des annales proprement dites, allant de 741 à 801 et la deuxième est une version révisée et allongée de ces annales qui, en plus de modifier le contenu original, prolonge la période couverte jusqu’en 829.220 La version révisée fut

découverte à Worms, mais il est fort probable qu’elle fut écrite à la cour carolingienne.221

Grâce à cette révision, il est possible de noter des différences entre les événements racontés. Plusieurs ajouts sont visibles dans la version révisée : l’affirmation selon laquelle Grifo voulut partager son règne avec ses frères Pépin III et Carloman, la rébellion d’Hardrad en 785, celle de Pépin le Bossu en 792 ainsi que certaines campagnes militaires réalisées dans le Bénévent. Des différences dans la dénomination de certains lieux et de certaines personnes ressortent en plus d’une description différente et plus détaillée de la révolte saxonne de 782 qui s’est soldée par l’exécution de Verdun. La version révisée ajoute des acteurs à cette rébellion, à l’instar de Théodoric, un proche de Charlemagne.222 Selon la

version révisée, Théodoric fut envoyé par Charlemagne avec une armée supplémentaire pour combattre les Saxons, alors que la version originale évoque simplement une défaite des Francs en 782. Comme les chefs francs sur place ne voulurent pas partager leur victoire avec Théodoric, ils ne l’attendirent pas pour combattre les Saxons. Cette décision les mena vers la défate. Si l’issue fut la même, à savoir le massacre de l’armée franque, la version révisée insiste davantage sur le rôle de Charlemagne dans les événements suivant le massacre et sur la trahison. En effet, la décision des chefs francs d’aller combattre sans attendre l’arrivée de Théodoric fut considérée comme une trahison, ceux-ci n’ayant pas respecté les ordres de Charlemagne. Ils furent donc punis par le massacre de leurs armées.223

219 Ibid. Lettre 110.

220 Rosamond McKiterrick, op. cit. p. 27.

221 Bernhard Walter Schloz et Barbara Rogers, Carolingian Chronicles, Michigan, The University of

Michigan Press, 1970, p. 2.

222 Rosamond McKiterrick, v cit. p. 28-29. 223 Ibid. p. 30.

Kurze, spécialiste des Annales regni Francorum pour les Monumenta Germaniae Historica, a classifié les manuscrits de cette source selon les familles A, B, C et D pour la version originale en fonction des variantes rencontrées et du caractère fragmentaire ou complet des manuscrits témoins. Il ajoute une famille E pour la version révisée des annales. Pour les familles B, C, D et E, nous possédons au moins un texte témoin datant du IXe

siècle. Les manuscrits issus de ces familles furent aussi largement distribués, depuis la Bretagne jusqu’à la Bavière.224

La famille A a survécu grâce à une édition de Casinius, publiée en 1603 et basée sur un manuscrit écrit à Lorsch, aujourd’hui perdu. Il témoignait des événements jusqu’en 788, d’où la supposition qu’un premier auteur aurait écrit la source jusqu’à cette date.225

La famille B pour sa part est représentée par le manuscrit Vat. reg. lat. 617, traitant de la période comprise entre 777 et 813, et par le manuscrit Vat. reg. lat. 213, qui couvre l’époque comprise entre 791 et 806. Ce second texte est incomplet : il commence au milieu d’une phrase, et se termine avant la guerre de l’empereur Michel de Byzance contre les Bulgares. Nous possédons aussi pour cette famille un manuscrit du XIesiècle couvrant la

période de 741 à 813 ainsi qu’une version du XVIe siècle qui relate les événements jusqu’en

807 et qui repose sur un manuscrit perdu. Ce serait la version B qui aurait été utilisée par Reginon de Prüm (842-915) dans la rédaction de son Chronicon au Xe siècle.226 De son

côté, la famille C présente une version complète des annales, se terminant en 829 et elle contient certains passages qui ne sont pas dans les deux autres versions. Deux manuscrits témoins sont emblématiques de cette famille. Dans un premier temps, il y a le Paris, BnF, lat. 10 911 c. 830, présenté avec le Liber historiae francorum et une partie de la continuation de Frédégaire. Cette version présente une histoire des Carolingiens depuis leurs origines troyennes jusqu’à l’histoire contemporaine des auteurs. Puis, il y a le Saint- Omer, Bibliothèque Municipale, MS 607 +706 datant du Xe siècle et présenté

conjointement aux Annales Bertiani, se rendant ainsi jusqu’en 882.227 La version D survit

dans un fragment provenant de la cour ou de la vallée du Rhin et s’intitule Leiden of s. IX 2/4 et dnas un manuscrit complet allant de 741 à 829 le Wien, Österreichische

224 Ibid. p. 33. 225 Ibid. p. 34. 226 Ibid. p. 35. 227 Idem.

Nationalbibliothek, cod. 473 (désormais désigné sous Wien, ÖNB). Analysée par Helmut Reitmitz et McKiterrick, cette version fut associée à l’entourage de Charles le Chauve et datée d’environ 869. On y retrouve de nombreuses variantes ainsi que des ajouts par rapport aux trois autres familles de manuscrits.228

Enfin, la version révisée des annales présente, comme spécifié, à la fois une correction et une prolongation des annales originales. D’abord, pour sa portion allant de 741 à 801, les historiens demeurent indécis à propos de la date de la relecture et de la réinterprétation de certains événements. Furent-elles faites peu après 801, entre 814 et 817 ou encore seulement en 829 ? Le manuscrit le plus complet de cette version révisée est le Wien, ÖNB, cod. 510 qui date cependant du Xe ou du XIe siècle. Toutefois, des fragments

plus précoces du manuscrit révisé, conservés à Cologne sous la dénomination de Sankt Maria in Kapitol, All/18 et datant du premier tiers du IXe siècle existent aussi.229

Si autrefois on attribuait la continuation de ces annales à Éginhard,230 d’où leur nom

latin Annales regni Francorum inde a 741 usque ad 829, qui dicuntur annales laurissenses maiores et Einhardi, cette idée est abandonnée aujourd’hui. En fait, on avance plutôt que l’auteur de cette continuation pourrait être Hilduin (v.775/785-v.840/855-858), abbé de Saint-Denis, archichapelain de Louis le Pieux et fidèle partisan de Lothaire.231 À part cette

hypothèse, il est admis que plusieurs mains ont contribué à la rédaction de cette source, ce qui se voit par le langage et le style d’écriture employés. Ainsi, selon Scholz et Rogers, un premier auteur aurait rédigé la plus ancienne portion des annales entre 787 et 793 en se fondant sur des documents existants, dont les sources laissées par Frédégaire.232 Un second

auteur aurait rédigé la partie comprise entre 795 et 807. Cependant, les historiens ne s’entendent pas sur la date du changement de main entre les deux auteurs, changement qui se situerait entre 792 et 795. Néanmoins, l’auteur de cette portion des annales serait un contemporain des événements rapportés. Enfin, la partie allant de 808 à 829 aurait été rédigée par un troisième auteur, contemporain des événements qui y sont rapportés.233 Pour

228 Ibid. p. 36. 229 Ibid. p. 27.

230 Charles Vulliez, « Éginhard » dans Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink, Dictionnaire du

Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 466-467.

231 Annales de Pépin le Bref et de Charlemagne, Traduit du latin par François Guizot, Clermont-Ferrand,

Éditions Paléo, 2010, p. 4.

232 Bernhard Walter Schloz et Barbara Rogers, op. cit. p. 6. 233 Idem.

sa part, McKiterrick croit plutôt à l’existence de cinq écrivains différents : un premier à l’œuvre entre 741 et 788, un second pour la période de 789 à 794, un troisième couvrant les événements de 795 à 801, un quatrième entre 802 et 805 et enfin, un dernier pour les événements compris entre 806/807 et 829.234 Dans tous les cas, les différents auteurs

portèrent surtout attention au monde dans lequel ils vivaient, ne sortant que peu de leurs frontières territoriales sauf pour faire allusion aux guerres se déroulant ailleurs. Ils traitèrent avant tout des actions militaires, des missions diplomatiques et des grands événements politiques de leur époque, laissant parfois quelque peu transparaître l’univers physique, social et spirituel dans lequel ils vivaient.235 Cela dit, certains savants, comme McKitterick,

croient que les entrées des annales ne furent pas faites annuellement. Les auteurs auraient plutôt inséré à certains moments précis des blocs d’informations, ouvraint ainsi la voie à un certain flottement dans l’exactitude des informations rapportées. De plus, McKitterick soutient qu’il y a une rupture nette dans le texte entre le récit des événements racontés avant 798 et ceux relatés après cette date et que les entrées postérieures à 798 délaissent les événements frontaliers pour se concentrer sur la vie de cour, laissant supposer un changement dans les préoccupations des auteurs de l’époque.236

Le style d’écriture des annales originales dénote des influences possibles de la vallée du Rhin et de l’ouest des terres carolingiennes, alors que la version révisée montre plutôt des influences de la vallée du Rhin et de l’est du territoire carolingien. Cependant, dans les deux cas, les Annales regni Francorum sont regardées comme étant une des sources de l’époque contenant le plus de substance et ayant eu le plus d’influence sur les auteurs contemporains des Carolingiens. On y retrouve un récit triomphal des actions des Francs et de leurs rois. Il est aujourd’hui admis que ces annales continuèrent d’être une référence tout au long du IXe siècle.237 Le modèle retenu, soit une entrée année après année

des événements, s’inspirerait du Chronicon d’Eusèbe-Jérôme, largement copié et distribué au début de l’époque carolingienne.238 Grâce à cette formule, ces annales sont considérées

comme ce qu’il y a de plus proche d’une histoire officielle de la cour carolingienne entre

234 Rosamond McKiterrick, op. cit p. 33.

235 Bernhard Walter Schloz et Barbara Rogers, op. cit. p. 7. 236 Rosamond McKiterrick, op. cit. p. 32.

237 Ibid. p. 31. 238 Idem.

741 et 814. Pour Wattenbach et Levison, elles furent rédigées directement à la cour royale, ajoutant au statut officiel de cet écrit alors que pour von Ranke, elles furent plutôt consignées dans les environs de cette cour. L’affirmation de Ranke est possible en raison de la précision de certains événements rapportés dans le récit. Comme le souligne McKiterrick, les annales furent relatées selon une perspective interne à la cour, selon le point de vue d’une personne qui était au courant des événements s’y déroulant et non selon une perspective externe et monastique. De plus, elle souligne que la cour carolingienne joua un rôle particulièrement important dans la diffusion de ce texte au IXe siècle.239

Notre intérêt portera surtout sur la version révisée de ces annales. Comme l’expliquent Scholz et Rogers, c’est dans cette seconde écriture que l’on peut constater une insistance plus nette sur les campagnes menées contre les Saxons, sur la brutalité des combats et sur la soumission systématique de la Saxe. On y comprend la détermination et la frustration de Charlemagne qui décida finalement de combattre les Saxons en raison de leur caractère traître, et ce, jusqu’à ce qu’ils acceptent la soumission et la foi chrétienne ou qu’ils soient exterminés. Même si la continuation des annales se fit une fois la Saxe soumise, selon Scholz et Rogers, on peut y percevoir que l’auteur ne faisait toujours pas confiance aux Saxons, puisqu’on insiste toujours sur leur propension à la révolte et leur traîtrise innée.240 Les origines de la guerre ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Si dans

la version originale l’auteur insiste sur un combat entre les païens et les chrétiens, l’auteur des annales révisées y voit plutôt un combat religieux et une conséquence des rébellions saxonnes, des attaques fréquentes dans les territoires francs, de la perfidie et de la traîtrise des Saxons.241 Ce portrait où l’on insiste ainsi sur les caractéristiques spécifiques aux

Saxons est donc nécessaire à cette étude.