• Aucun résultat trouvé

5. Division de la recherche

2.1. Les deux capitulaires saxons

Au cours de ses campagnes contre les Saxons, Charlemagne fit rédiger deux capitulaires visant à forcer leur intégration au sein du royaume franc tant sur le plan politique, social, culturel que religieux. Ainsi, ces codes émanaient à la fois des autorités politiques et religieuses du royaume de Charlemagne. Par conséquent, ils visaient non seulement à assimiler les Saxons aux Francs, mais surtout à assimiler les païens aux chrétiens. Il n’en demeure pas moins que, particulièrement dans le cas du second capitulaire, certains comportements considérés comme typiques des Saxons furent tolérés afin de faciliter l’intégration de la Saxe.179 Dans les deux cas, les auteurs demeurent

inconnus. Il est possible de supposer qu’il s’agissait de ministres du roi carolingien et qu’ils connaissaient relativement bien le droit germanique ainsi que le droit ecclésiastique puisque ces deux dimensions sont très étroitement imbriquées dans les capitulaires.

Le premier des deux capitulaires, connu sous le nom latin de Capitulatio de partinus Saxoniae, fut rédigé à une date incertaine au début des années 780. Certains, comme

177 Ibid. p. 20-21. 178 Ibid. p. 75.

179 H. R. Loyn et John Percival, The Reign of Charlemagne. Documents on Carolingian Government and

Christopher Carrol, considèrent qu’il fut écrit en 782.180 Il s’agit aussi de la date avancée

par Matthias Becher, qui ajoute que le capitulaire a peut-être été rédigé à la suite de l’exécution rapportée par plusieurs sources de 4 500 otages saxons à Verdun en 782.181

Cette démonstration de force du roi carolingien lui aurait permis d’établir un code de loi prévoyant d’importantes sanctions pour ceux qui refusaient le baptême, détruisaient des églises, complotaient contre les chrétiens, rompaient leurs serments de fidélité, (particulièrement ceux offerts au roi) ou refusaient de payer la dîme, par exemple. Cependant, comme le précise Rosamond McKiterrick, d’autres soutiennent plutôt que ce capitulaire fut rédigé en 785.182 Enfin, Matthias Springer évoque pour sa part une plus

grande disparité de dates, mentionnant que certains datent l’écriture de ce premier capitulaire à un moment situé entre 775 et 787.183 Quelle que soit sa date exacte de la

rédaction de ce document, il comporte trente-quatre articles de lois ou trente-quatre définitions de crimes dont on pouvait accuser les Saxons et qui sont pour la plupart punis par la peine de mort.184 Plusieurs des mesures dénoncées par le capitulaire ne sont pas

totalement nouvelles. Comme le soutient Bonnie Effort, certaines de ces prescriptions avaient déjà été prononcées lors de conciles mérovingiens de même que par Césaire d’Arles (v. 470-542) ou Éloi de Noyon (588-660).185 Selon Palmer, on retrouve aussi des

inspirations pour ce capitulaire au sein même de la loi des Francs, soit la loi salique, dans laquelle étaient prévues des sanctions contre les pratiques cannibales et la sorcellerie tout comme dans le capitulaire saxon. Or, selon Palmer, ces pratiques pourraient être franques plutôt que saxonnes.186 Cette remarque permet de remettre en perspective ce capitulaire et

de constater qu’il s’inspirait d’anciennes mesures ecclésiastiques qui avaient été appliquées dans la foulée de la christianisation des campagnes du royaume des Francs.

180 Christopher Carroll, « The bishoprics of Saxony in the first century after Christianisation», Early Medieval

Europe, 8 (1999), p. 221.

181 Matthias Becher, Charlemagne, New Haven, Yale University Press, 2003 [1999], p. 67. 182 Rosamond McKiterrick, op. cit. p. 254.

183 Matthias Springer, op. cit. p. 221 Il évoque entre autres que certains citent la date de 787 puisque c’est

alors que le premier évêque de Saxe aurait été nommé.

184 H. R. Loyn et John Percival, op. cit. p. 52-54.

185 Bonnie Effros, « De partibus Saxoniae and the regulation of mortuary custom: a Carolingian campaign of

Christianization or the suppression of Saxon identity », Revue belge de philologie et d’histoire, Vol. 75, No. 2, 1997, p. 269.

De son côté, le second capitulaire, connu sous le nom latin de Capitulare Saxonicum, marque, selon Loyn et Percival, la première réelle tentative de pacification du territoire saxon par les Francs. Rédigé en 797, il assouplit de manière significative les lois du premier capitulaire afin de favoriser l’intégration de la Saxe au royaume franc. Si certains crimes demeuraient punis par la peine de mort, la plupart étaient désormais sanctionnés par des amendes monétaires, lesquelles variaient grandement en fonction de la classe sociale de l’accusé.187 Christiane Veyrard-Cosmes souligne d’ailleurs que la manière

de sanctionner les crimes dans ce second capitulaire était plus proche de l’ancien droit germanique et donc, de l’ancien droit saxon.188

Pour bien comprendre ces capitulaires, il faut considérer ce propos de Rosamond McKiterrick :

Saxon legal custom undoubtedly existed and no doubt needed to be respected. The Christian institutional framework had to be created and personnel trained if they were to practise Frankish methods. The two capitularies specifically designed for Saxony, dated 782 and 797, effectively frame the main phases of conquest. The provision of a written form of the Lex Saxonum, already in a form greatly affected by such Frankish codes as the Lex Ribuaria, followed a few years afterwards, c. 802. 189

De plus, comme elle le mentionne, ces capitulaires sont devenus célèbres en raison de l’importance de la peine de mort à laquelle s’exposaient les Saxons s’ils refusaient de respecter en tout point les préceptes de l’Église chrétienne. Pour elle, ces capitulaires noircissaient nécessairement le tableau du paganisme des Saxons, ce qui était en fait une stratégie carolingienne pour définir le Saxon comme un ennemi païen, justifiant le traitement imposé par les Francs à son encontre, particulièrement dans le cadre du premier capitulaire saxon.190 Néanmoins, il y a une évolution claire de la compréhension de la Saxe

entre les deux capitulaires. En effet, à la suite de la rédaction du premier, seule une partie de la Saxe pouvait être considérée comme conquise. Toutefois, en 797, une plus grande

187 H. R. Loyn et John Percival, op. cit. p. 2.

188 Christiane Veyrard-Cosme, loc. cit. p. 134 Ce point demeure cependant discutable, l’ancien droit saxon

n’ayant pas été transmis de manière écrite jusqu’à notre époque.

189 Rosamond McKiterrick, op. cit. p. 253. 190 Ibid. p. 253-254.

portion du territoire saxon était sous la tutelle des Carolingiens. Ainsi, le capitulaire écrit dans la foulée de l’assemblée d’Aix du 28 octobre 797 marque une distinction claire entre certains peuples de Saxe et des territoires limitrophes, soit les Westphaliens, les Angrariens, les Ostphaliens, les Bortrini et les « hommes du nord » (septentrionales) qui sont évoqués à la toute fin du capitulaire.191 Néanmoins, il est difficile de savoir à quel

point les articles de loi furent uniformément appliqués dans les deux cas et de manière plus importante en ce qui a trait au premier capitulaire. De plus, il faut se demander si le droit qui y est évoqué touchait uniquement le territoire saxon ou si, dans le cas de certaines lois, le capitulaire pouvait affecter l’ensemble du territoire franc.192 Nonobstant tout ce qui est

écrit dans ces capitulaires, et c’est là leur plus grand intérêt dans le cadre de notre recherche, il faut noter qu’ils ne représentaient sans doute pas la réalité de la Saxe et le vécu de ses habitants. Il s’agit plutôt d’un arrêt sur image, d’une photographie de ce que les Francs croyaient être la Saxe et ses habitants.193 Cette idée, évoquée par Springer, va dans le sens

de notre propos, à savoir que l’on fait face à une représentation de l’Autre, du Saxon, comme un païen, comme un ennemi que l’on cherche constamment à dépeindre de façon négative. C’est cette connotation que nous nous efforçons d’analyser, ce regard porté sur l’Autre dans le but de justifier les actions carolingiennes et, d’une certaine façon, la continuation de la guerre entre les Saxons et les Francs. Considérant que ce fut la plus longue guerre de Charlemagne, il était important pour lui et pour ses conseillers de justifier les actions faites, les sacrifices réalisés et les vies perdues au combat.