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2. Corpus de sources étudiées

3.1. L’origine de la poussée vers l’est

L’historiographie fait état d’une poussée vers l’est de la chrétienté au cours du Moyen Âge. Tant par les entreprises de conquête que de christianisation, la noblesse

683 Ibid. p. xx-xxi. 684 Ibid. p. lvii.

685 Stanisław Rosik, « The World of Paganism in Gallus’ Narrative (Reconnaissance) », dans Krzysztof

Stopka (dir.), Gallus Anonymus and his Chronicle in the Context of Twelfth-Century Historiography from

the Perspective of the Latest Research, Cracovie, Polska Akademia Umiejętonści, 2010, p. 92.

686 Ibid. p. 99. 687 Ibid. p. 101.

chrétienne en vint à étendre la chrétienté vers l’est. L’expansion débuta dès l’époque de Charlemagne, alors qu’au lendemain de sa conquête de la Saxe en 804, il combattit certaines tribus slaves. Cependant, on ne peut encore parler d’annexion de ces territoires sous les Carolingiens. Il fallut attendre Henri Ier l’Oiseleur pour qu’en 929 s’amorçât

réellement le mouvement de poussée vers l’est, continué par Otton Ier en 948. C’est à ce

moment-là que de premières réelles tentatives de conversion et d’annexion furent tentées dans les territoires situés entre l’Elbe-Saale et l’Oder. Cependant, elles furent momentanément arrêtées lors de la révolte des païens slaves entre 982 et 983 sous Otton II. Malgré cela, l’idée de poussée vers l’est pour qualifier ces premières conquêtes des IXe-Xe

siècles s’imposa à l’historiographie contemporaine.688

Par l’évangélisation de leurs voisins, les nations chrétiennes recherchaient avant tout des avantages politiques. En effet, leur christianisation devait permettre une prise de contrôle des territoires païens, ouvrant ainsi de nouvelles terres exploitables à la domination chrétienne. Par conséquent, pour les monarques chrétiens, dès que l’élite d’une région était évangélisée, l’ensemble du territoire était considéré chrétien.689

La poussée vers l’est ne se fit pas sans heurts ni sans la participation des Slaves au processus. Selon Kantor, certaines populations slaves acceptèrent la foi chrétienne pour mettre un frein à la poussée germanique.690 Par l’acceptation du christianisme, les

néophytes se faisaient reconnaître par Rome et échappaient ainsi partiellement à la domination germanique. Au Xe siècle, par exemple, Vratislav Ier de Bohême (888-921)

mena la lutte contre les Magyars, ce qui lui permit de demeurer indépendant des Germaniques. La guerre amorcée se poursuivit sous son descendant, Wenceslas (v.907- 929/935). Ce fut cependant un échec sur le long terme, Wenceslas se soumettant finalement à la Saxe en raison du déplacement du pouvoir impérial en terres d’Empire qu’il associa à la domination de la chrétienté.691 Il est par ailleurs fort probable que ce déplacement vers

l’est soit aussi une conséquence de la translatio imperii vers la Saxe. La modification du centre de pouvoir fut un résultat direct de l’activité magyare et de la destruction de

688 Paul M. Barfort, op. cit. p. 197. 689 Ibid. p. 211.

690 Marvin Kantor, op. cit. p. 5. 691 Ibid. p. 8-9.

l’influence de la Bavière dans les décennies entourant l’an 900.692 Le nouveau pouvoir

impérial se présenta comme un rempart face aux Magyars et aux Slaves et entreprit une politique agressive de conquête et de christianisation, d’abord dans le but de défendre son territoire, puis de l’étendre.

Les Polabiens furent les premiers forcés à la conversion dans les années 920 à 960.693 En 1024, ce fut le tour de la Poméranie de l’ouest sous Warcislaw d’être

christianisée. Puis, en 1045, après la conversion du prince Gotschalk (mort en 1066), les Obodrites furent considérés comme évangélisés. Enfin, en 1168, la capture du temple d’Arkona en Rugie par les Danois marqua la fin définitive du paganisme slave dans la région.694 Durant l’ensemble de cette période, la situation fut conflictuelle et complexe. En

955, les Obodrites se révoltèrent. Puis, en 982-983, les Slaves de l’ouest se soulevèrent et se rassemblèrent sous une confédération de tribus, les Lutizes. Ils furent rejoints par les Obodrites dès 990. Gottschalk fut finalement tué dans un soulèvement païen en 1066.695

Le mouvement d’expansion de la chrétienté vers l’est demeure important au sein dans la littérature. Pendant longtemps, certaines études allemandes considérèrent les pays slaves comme ayant été des barrières à la civilisation, la culture chrétienne et la puissance allemande. D’un autre côté, les études slaves, comme celle des historiens polonais du XXe

siècle, considérent au contraire que les populations slaves païennes furent un bastion contre l’avancée non pas de la culture chrétienne, mais de la domination allemande, et que l’arrivée du christianisme dans leur territoire ne fit que renforcer leur détermination à la résistance. Cette double perspective nationaliste, et dépassée aujourd’hui, demeura par ailleurs importante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où plusieurs pays de l’ex Union soviétique manifestèrent une volonté de liberté, de nationalisme et de construction nationale dans leurs écrits.696 Ainsi, du côté germanophone, on a longtemps

692 Matthew Innes, « Franks and Slavs c.700-1000: the problem of European Expansion before the

Millenium», Early Medieval Europe, Vol. 6, No. 2 (1997) p. 206.

693 Paul M. Barford, op. cit. p. 210. 694 Ibid. p. 220.

695 Ibid. p. 259-260.

considéré les Slaves de l’Elbe comme étant les Autres, ceux que leurs héros devaient combattre, alors que la pensée était inverse chez les Slaves.697

Ainsi ancrée, cette conception de l’histoire influença de manière déterminante l’historiographie. Bien qu’il soit possible de retrouver quelques études s’écartant de ce mode de pensée au XXe siècle,698 elles sont difficiles d’accès. Néanmoins, il faut garder

cette perspective historiographique à l’esprit, de manière à être attentif à son influence sur l’analyse de la représentation des Slaves.