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4. Les païens saxons dans l’imaginaire carolingien

5.2. Consensus et contradictions dans les sources

Dans le cas des guerres de Charlemagne contre les Saxons, il existe un fort consensus dans les sources. En effet, tant dans les documents judiciaires, à savoir les deux capitulaires saxons ainsi que la Lex Saxonum, que dans les sources littéraires, une unanimité se dégage : le Saxon était un ennemi dangereux, un païen dont le culte ne pouvait être qu’inspiré par les démons, ce qui en faisait un impie. De fait, l’ensemble des sources valident les actions de Charlemagne, les guerres qu’il mena. De plus, ces écrits condamnent presque unilatéralement les Saxons. Particulièrement en ce qui concerne les sources littéraires, les auteurs en vinrent à considérer que les principaux, pour ne pas dire les seuls, responsables de la guerre furent les Saxons. S’ils avaient eu le bon sens de se soumettre et d’accepter la foi chrétienne, de ne pas se révolter systématiquement lorsque Charlemagne se trouvait à l’étranger, la guerre aurait été moins longue. En fait, ce sont les traits internes au peuple de Saxe, à savoir sa violence, sa fourberie et sa versatilité entre autres qui firent en sorte que le conflit s’éternisa et que les Saxons durent être soumis par la force.

Les textes normatifs que sont les deux capitulaires saxons mirent avant tout l’accent sur ce que l’on croyait être des pratiques païennes ou saxonnes dans le but de les condamner. Ce qui était recherché au travers de ces textes, c’était la fin du paganisme et l’imposition du christianisme dans le territoire de Saxe. Ce faisant, les lois analysées ne décrivirent pas nécessairement les caractéristiques saxonnes, comme leur cruauté ou leur fourberie. Pour interpréter ces textes et comprendre leur importance dans la description de l’Autre, il faut lire entre les lignes et voir ce que leurs auteurs voulaient réellement condamner ou contrôler. S’il est bien question de rites et de rituels, il n’en demeure pas moins que par la mention des rassemblements, des complots qui pouvaient s’y ourdir ou de meurtres de seigneurs francs, ce sont aussi les caractéristiques saxonnes qui étaient dénoncées. Cependant, contrairement aux autres sources analysées, les capitulaires présentent l’avantage de ne pas nécessairement justifier les actions carolingiennes et la conversion forcée du territoire. Il s’agit plutôt d’outils de contrôle qui furent utilisés afin que Charlemagne et ses représentants puissent justifier des actions futures dans le territoire.

Dans l’ensemble des sources, une seule voix semble s’élever contre ce consensus : celle d’Alcuin. Bien qu’il fût un proche conseiller du roi et qu’il ait à certains moments condamné les païens, il s’agit du seul auteur à ne pas imputer l’intégralité de la faute de la guerre aux Saxons. Bien qu’il soulignât aussi dans sa correspondance certaines des caractéristiques soulevées précédemment, telle l’impiété saxonne, il transposa une partie des torts et des raisons de la continuation du conflit chez les Francs et plus particulièrement, sur la façon dont ils imposaient la religion chrétienne aux Saxons. Nous avons entre autres mentionné le rôle important de la dîme, déjà lourde pour les chrétiens de naissance.

Par conséquent, cette voix discordante nous permet d’affirmer que ce que nous présentent les sources n’était pas la réalité païenne et saxonne, mais bien sa représentation et, dans le cas présent, une image visant à légitimer une guerre de trois décennies et une christianisation par la force.

De leur côté, les Annales royales décrivirent avec de nombreux détails les conflits entre Carolingiens et Saxons ainsi que les rites associés aux païens. C’est au travers de ce texte que peut transparaître de manière plus détaillée l’importance qu’eurent ces conflits du vivant de Charlemagne. On insiste en effet dans ces annales non seulement sur l’importance des conflits entre le monarque carolingien et ses voisins, mais aussi sur les

causes et les conséquences de ce conflit : les rituels saxons, leur idolâtrie, leur association aux démons, leur cruauté, leur fourberie, etc. La légitimation des attaques de Charlemagne, son rôle dans la conversion et l’annexion du territoire et surtout le rôle que les Saxons eurent dans le prolongement du conflit sont des points centraux de ce texte.

Enfin, une volonté de glorification de Charlemagne et de ses campagnes transparaît dans la vita rédigée par Éginhard. C’est sans doute dans cette source que l’on retrouve le portrait le plus sombre des païens saxons alors que, pour glorifier son monarque, Éginhard était prêt à faire du peuple de Saxe une population démoniaque, vile et cruelle. Toutes les actions faites par les Saxons étaient considérées comme une attaque directe contre le pouvoir carolingien et l’Église, alors que les gestes de Charlemagne pour mater et contrôler la population de Saxe étaient en fait des actes de magnanimité. La fourberie et la cruauté saxonnes deviennent en fait des topoï qui justifient toutes les attaques faites par le souverain carolingien, puisqu’il ne souhaitait que la paix pour son royaume et la chrétienté. Il est presque possible de croire, en lisant Éginhard, que Charlemagne désirait avant tout christianiser la population saxonne pour son propre bien et non pas pour le bien du royaume carolingien.