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Adam de Brême et les Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum

2. Corpus de sources étudiées

2.2. Adam de Brême et les Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum

La seconde source sont les Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, écrites par Adam de Brême après 1075.629 Un des grands intérêts d’Adam est qu’il est considéré

par plusieurs historiens comme un des premiers auteurs chrétiens à écrire à la fois sur les Slaves et les Scandinaves païens.630 Bien qu’il ne faille pas prendre tout ce qu’il dit au pied

de la lettre en ce qui concerne les Xe et XIe siècles, il reste qu’Adam est reconnu comme

un auteur, un ethnographe, un biographe et un historien de l’Église important.631 On

retrouve dans son texte un modèle littéraire qui dépeint l’abolition du paganisme pour favoriser l’introduction du christianisme sur le territoire des païens, faisant en sorte qu'il décrivit certains des rites et des caractéristiques de l’idolâtrie.632

Sans doute originaire de la haute Germanie, soit une région comprise entre les Alpes, le Danube, le Rhin et l’Elbe,633 il fut appelé à Brême par l’archevêque Adalbert

(v.1000-1072) au cours de la vingt-quatrième année de son archiépiscopat, soit entre mai 1066 et avril 1067.634 Il lui donna le poste de scholasticus ou de chanoine de l’école de la

cathédrale de la ville. À son arrivée, Adam se considérait comme un étranger, laissant ainsi entendre selon certains historiens que sa situation ne fut pas toujours aisée au sein de son nouvel archevêché.635 Ainsi, même s’il considérait Adalbert comme en partie responsable

du déclin de l’archevêché, Adam lui voua toujours une grande admiration. Cependant, comme le note Timothy Reuter, Adam livre une des premières biographies traitant d’un membre de l’Église non pas pour parler de sa montée, mais de sa chute.636 Aussi, la raison

629 Hans-Werner Goetz, « Constructing the Past. Religious Dimensions and Historical Consciousness of

Adam of Bremen’s Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum», dans Lars Boje Mortensen, The Making

of Christian Myths in the Periphery of Latin Christendom (c.1000-1300), Cophenhagen, Museum

Tusculanum Press, 2006, p. 17.

630 Timothy Reuter, « Introduction to the 2002 Edition», dans Adam de Brême, History of the Archbishops

of Hamburg-Bremen, trad. By Francis Joseph Tschan, New York, Columbia University Press, 2002, p. xi.

631 Idem.

632 Stanisław Rosik, « Pomerania and Poland in the Tenth to Twelfth Centuries: The Expansion of the Piasts

and Shaping Political, Social and State Relations in the Seaside Slav Communities », dans Nora Berend (dir.),

The Expansion of Central Europe in the middle Adges, Farnham, Burlington, Routledge, 2012, p. 464.

633 Francis Joseph Tschan, « Introduction», dans Adam de Brême, History of the Archbishops of Hamburg-

Bremen, trad. By Francis Joseph Tschan, New York, Columbia University Press, 2002, pxxv. C’est du moins

ce que laisserait entendre son rapport aux premiers missionnaires mentionnés dans son œuvre, soit Gall en Alémanie, Emmeram en Bavière et Killian en Franconie. Pour plus de détails, voir Francis Joseph Tschan,

loc. cit. p. xxvi.

634 Ibid. p. xxv. 635 Idem.

pour laquelle Adalbert fit spécialement appel à Adam de Brême pour venir le rejoindre dans son archevêché est inconnue.637 Il demeura sur place jusqu’à sa mort, qui n’est pas

datée avec certitude. Le Dyptichon bremense mentionne bien la mort d’un magister nommé Adam le 12 octobre, mais sans spécifier l’année, comme c’était alors la coutume.638

La date de composition est sujette à interrogation. Dans le chapitre xxvi (24)639 du

second livre, Adam mentionne que le roi Svein Estrithson (v.1020-1074) était vivant et, deux chapitres plus loin, qu’il était toujours sur le trône. Cependant, au chapitre xliii (41), il souligne que ce roi était digne de mémoire, et donc mort. Considérant que le monarque est décédé le 28 avril 1074, la source doit être postérieure à cette date. De plus, dans les vers concluant son œuvre, Adam mentionne que Liemar agissait comme médiateur dans la guerre de Saxe de 1075, laissant ainsi supposer que les gesta auraient été composées vers 1075 ou 1076.640 Tschan en conclut donc que l’auteur aurait commencé sa rédaction à la

mort d’Adalbert, soit en mars 1072. Il l’aurait poursuivie jusqu’en 1075 ou 1076. Puis, de 1076 à 1081-1085 au plus tard, il aurait révisé et annoté son manuscrit, créant ainsi à partir du codex A le codex X.641

La chronique d’Adam de Brême avait pour but de légitimer les revendications de son archevêché sur le nord de l’Europe.642 Comme le souligne Reuter, Adam écrit dans le

genre des gesta episcopum et le but premier de son œuvre est donc de rapporter la grandeur de son archevêché et l’importance des actions de ses évêques. Dans les faits, Adam écrivait sans doute afin de démontrer que l’archevêché de Hambourg-Brême devait primer sur l’Église scandinave, de manière à ce que celle-ci se fasse octroyer un crédit et un rôle plus important dans le processus d’évangélisation des Slaves.643 Par ailleurs, pour introduire son

texte, Adam souligne qu’il voulut écrire car on ne se souvenait jamais assez des exploits

637 Certains supposent qu’il fut appelé en raison de l’influence qu’aurait eu un autre membre du clergé, qui

connaissait Adam, sur Adalbert. D’autres croient que c’est plutôt la grande culture personnelle d’Adam qui arrêta le choix de l’archevêque. Enfin, certains supposent que l’évêché de Bamberg, où vivait Adam, aurait entretenu des liens avec celui de Brême, faisant connaître le moine d’Adalbert. Pour plus de détails, voir Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxvi.

638 Ibid. p. xxviii.

639 À noter que certains chapitres, selon la notation latine et la notation arabe, ne sont pas déterminés de la

même façon. Nous ferons appel à la notation latine dans les pages qui suivent.

640 Ibid. p. xxvii-xxviii. 641 Ibid. p. xxviii.

642 Hans-Werner Goetz, loc. cit. p. 20. 643 Timothy Reuter, loc. cit. p. xi.

des grands hommes et que, de plus, l’histoire de son archevêché n’avait jamais été rédigée.644 Kaljundi rapporte qu’Adam aurait écrit pour l’archevêque Liemar (r.1072-

1101), au moment où le siège d’Hambourg-Brême vivait une période difficile entre la domination des ducs de Saxe, les conflits entre Henri IV et ces ducs et les conflits entre l’Empereur et la papauté. L’archevêque soutenait alors l’Empereur tant contre les ducs que la papauté. Adam cherchait donc à renforcer l’autorité de son siège archiépiscopal contre de potentiels rivaux.645 Mais, en plus de cet objectif presque avoué, la source devait aussi

légitimer toutes les actions entreprises contre les païens. Après tous les sacrifices de l’Église, tous les martyres pour tenter de convaincre les païens de rejoindre la vraie foi, il devenait normal de faire de la conversion des païens un point central de sa chronique. Il voulait donc à la fois encourager la mission et souligner les succès passés.646 Indirectement,

cela fit en sorte qu’Adam décrivit les païens slaves, la meilleure raison pour parler de l’Autre étant de relater les missions dirigées vers lui. Les Slaves ayant été en relation étroite avec Hamourg-Brême furent ainsi considérés au premier plan et furent souvent perçus par les chrétiens comme des rebelles aux autorités chrétiennes et germaniques en raison de leurs attaques contre le clergé et les représentants de l’Empire.647

Les Gesta hammaburgensis ecclesiae pontificum sont divisées en quatre livres. Dans les deux premiers, Adam reconstruit l’histoire de l’archevêché depuis les temps de Willehad (v.740/45-789) et Anschaire (801-865), soulignant l’importance d’Hambourg dans la mission de ces deux premiers évangélisateurs et vantant la suprématie de l’archevêché à venir dans la conversion du nord. Le troisième livre pour sa part est dédié à l’archiépiscopat d’Adalbert (1043-1072) qui l’avait fait venir à Brême. Enfin, le dernier livre de son œuvre est ethnographique et cherche à faire une recension complète des peuples du nord.648 La version retouchée qui fut annotée entre 1076 et 1081-85 comporte

pour sa part de nombreuses scholia, dont au moins cent quarante et une seraient d’Adam.649

644 Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxvi. 645 Linda Kaljundi, op. cit. p. 7-10. 646 Ibid. p. 110.

647 Ibid. p. 111-112.

648 Timothy Reuter, loc. cit. p. xvi-xvii.

649 Parmi celles-ci, vingt-huit portent sur la personnalité des archevêques à l’exception d’Adalbert, trente et

une sont de nature géographique ou ethnologique, trente-deux concernent la géographie des territoires du Nord (Angleterre, Norvège, Danemark, Suède, Russie et territoires Slaves) et neuf sont en lien avec les Saxons et les affaires politiques du nord de la Germanie. Enfin, vingt-sept ne sont pas associées à un sujet précis. Pour plus de détails, voir Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxx.

Pour écrire ses gesta, Adam s’appuya principalement sur la Vita Karoli Magni, la Vita S. Willehad, la Vita Anskarii, la Vita Rimberti ainsi que la Translatio S. Alexandrii. Cependant, son style et ses références trahissent aussi l’usage de l’Historia francorum de Grégoire de Tours, de l’Historia ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable, de l’Historia adversum paganus d’Orose, des Annales Fuldenses et de leurs continuations de Ratisbonne, et des Annales corbenses. Il y a aussi des références à des autorités romaines, telles que Solinus, Martianus Capella, Macrobe, Virgile, Horace ou Lucain.650 L’ensemble

des sources fut utilisé par Adam de Brême afin de créer une littérature d’imitatio, plus précisément d’imitatio apostolorum et d’imitatio Christi. Adam chercha dans son écrit à suivre le chemin de missionnaire, les souffrances et la mort en martyr du Christ. Son image de roi sauveur et victorieux fut aussi utilisée et liée aux monarques ottoniens et saliens.651

Hormis ces sources écrites, Adam utilisa aussi de nombreux témoignages provenant de missionnaires et de marchands ayant traversé la ville de Brême, particulièrement pour la partie ethnologique de son œuvre.652 Dans son premier livre en particulier, Adam s’inspira

parfois assez librement des sources consultées, retenant ce qu’il voulait et ce qui servait son propos, modifiant parfois les faits dans le but de glorifier Hambourg-Brême.653

Les éditions actuelles et les traductions d’Adam de Brême reposent essentiellement sur la dernière édition complète du texte, publiée par Bernhard Schmeidler pour les Monumenta Germaniae Historica en 1917. Pour lui, tous les manuscrits d’Adam de Brême peuvent être divisés en trois familles. La famille A est représentée par le manuscrit Vienne, Hofbibliothek 521, transmettant la première version du travail d’Adam et probablement complété en 1076 à la demande de Liemar de Brême. Il s’agit de la plus ancienne copie du manuscrit, alors que les familles B et C (qui incluent des manuscrits de la fin du Moyen Âge, du début des temps modernes et même des impressions), ainsi que les autres manuscrits de la famille A proviennent plutôt d’une copie qu’Adam aurait conservée au- delà de 1076. Cette seconde copie contient de nombreuses scholies et une continuation de l’œuvre par Adam, alors que les familles B et C comportent des notes ajoutées après la

650 Linda Kaljundi, op. cit. p. 41 et Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxix-xxxii. 651 Ibid. p. 44.

652 Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxvii. 653 Ibid. p. xxviii-xxix.

mort de l’auteur par certains de ses collègues.654 Pour Tschan, de nombreuses distinctions

stylistiques doivent être relevées entre la famille A et les familles B et C et la première des trois comporte des manuscrits au style fluide, contrairement aux deux autres qui manquent de qualité littéraire.655 Pour Schmeidler, tous les textes de la famille A descendent d’un

manuscrit original A, perdu aujourd’hui, alors que tous les textes de la famille B et C proviennent d’une version retravaillée jusqu’en 1081, la version X, aussi perdue.656 Le

manuscrit de Vienne, soit le A1, aurait été copié presque d’une seule main au tournant du XIIe au XIIIe siècle.657 Les éditions danoises du manuscrit, provenant d’une copie réalisée

par le successeur immédiat d’Adam comme magister scholarum, représentent la famille B. On y retrouve des textes datant de 1161 ou 1162 dans lesquels le livre IV fut divisé en plusieurs sections et auxquels l’épilogue fut ajouté.658 Enfin, la famille C provient d’un

manuscrit réalisé peu après la mort d’Adam en 1090 par un des chanoines de Brême. Il est issu de X, mais avec certains ajouts. Celui-ci fut reproduit à la fin du XIIe siècle pour laisser

place aux différents manuscrits de la famille C.659

Cependant, cette classification est aujourd’hui remise en cause par certains spécialistes. Récemment, Anne Kristensen a émis l’hypothèse qu’aucune des familles ne proviendrait d’un manuscrit original écrit par Adam. Elles seraient toutes originaires de manuscrits plus tardifs et provenant d’un scribe qui aurait souhaité retourner à l’œuvre originale, éliminant un maximum de scholies de l’œuvre. Pour elle, rien ne prouve que nous ayons en notre possession une version définitive telle que soumise à Liemar, ni même qu’aucune soumission de la sorte n’eut lieu. Pour elle, les gesta d’Adam furent en constante évolution de son vivant et après sa mort.660

Ainsi, l’intérêt des gesta d’Adam est dû à la position de son auteur. Chanoine de Brême, voulant défendre les intérêts de son archevêché, il s’informait des progrès de la mission par le biais de rencontres avec des missionnaires et des marchands en contact avec les païens. Voulant souligner les succès des évangélisateurs issus de son archevêché, Adam

654 Timothy Reuter, loc. cit. p. xii.

655 Francis Joseph Tschan, loc. cit. p. xxxiii. 656 Ibid. p. xxxvii-xxxviii.

657 Ibid. p. xxxix. 658 Ibid. p. xl. 659 Ibid. p. xli.

n’eut d’autres choix que de mentionner les païens slaves dans son écrit, leur conversion ainsi que certains de leurs rites datant d’avant la christianisation. De plus, il eut un impact sur des sources plus tardives, dont la Chronica Slavorum d’Helmold de Bosau.661