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Risques des entreprises et conditions d’engagement de la responsabilité

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 160-164)

§ 1 La prise en charge des risques des entreprises sur le fondement de la responsabilité de la puissance publique

A- Risques des entreprises et conditions d’engagement de la responsabilité

146. La particularité de la situation des entrepreneurs et celle des préjudices qu’ils sont susceptibles de subir sont prises en compte à plusieurs niveaux par les règles d’engagement de la responsabilité de la puissance publique. D’une part en effet, les pouvoirs publics peuvent être à l’origine de risques que seuls des entrepreneurs courront. Leur nature économique est donc nécessairement prise en compte par le juge lorsqu’il décide de leur accorder des indemnités (1°). D’autre part, la spécificité des préjudices subis par une entreprise est prise en considération lorsque sont examinées les conditions requises pour qu’un préjudice donné soit indemnisable (2°).

1° La prise en compte de l’activité des entreprises

147. Certains risques créés par les pouvoirs publics, du fait d’un agissement fautif ou non fautif, peuvent ne menacer que des entrepreneurs. Il en va ainsi lorsque l’objet même de l’intervention publique porte sur des activités économiques soit qu’elle

tend à réglementer leur exercice390 ou à les contrôler soit qu’elle tend à les aider ou à les

protéger391.

La responsabilité de la puissance publique sera par exemple engagée quand les conditions qu’elle pose à l’accès à une activité déterminée sont illégales. Lorsque l’exercice d’une activité est soumis à autorisation administrative, son octroi, son retrait ou son refus illégal peuvent alors causer des préjudices à l’entreprise bénéficiaire ou à ses concurrents. Ce sera le cas par exemple de la fermeture illégale d’un commerce392,

du refus illégal d’ouvrir une grande surface393 ou d’exploiter une installation classée394.

Il en ira de même lorsque les pouvoirs publics commettent une faute lors du contrôle du fonctionnement d’une entreprise395, de sa production396 ou de ses

opérations financières397.

destinataires de la loi qui sont victimes, et non certains d’entre eux. », R.F.D.A. 2007, p.365.

390 On a déjà évoqué plus haut les hypothèses de mesures légales à objet économique engageant la

responsabilité sans faute de la puissance publique.

391 Voir en ce sens : PH. TERNEYRE,Interventions économiques, Encyclopédie Dalloz, Responsabilité de

la puissance publique, 2002. L’auteur dresse une liste des interventions économiques susceptibles d’engager la responsabilité des pouvoirs publics.

392 C.E., 12 décembre 1973, Ministre de l’Intérieur c/ Moizard, D.A. 1974, n°29 : il s’agissait en l’espèce

de la fermeture illégale d’un débit de boisson. Le Conseil juge que l’illégalité de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture du débit de boisson constitue une faute qui, même si elle n’a pas le caractère de faute lourde, est de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.

393 C.E., 12 décembre 1984, Ministère du commerce et de l’artisanat c/ SOCOMI, R.D.P. 1985 p.1395. En

l'espèce, le Conseil considère que l’illégalité du refus d’accorder une autorisation de construire un centre commercial donne lieu au versement d’indemnités couvrant les préjudices résultant de l’immobilisation des capitaux propres. Exemple tiré de PH. TERNEYRE, préc., p.9. Dans le même sens : C.E., 22 janvier 1993, Sté civile d’études du centre commercial intercommunal de Sannois-Ermont- Franconville et autres, T. p.1028.

394 Voir en ce sens : M. PRIEUR,Droit de l’environnement, Précis Dalloz, 5e édition, 2004, p.937.

395 Il est de jurisprudence constante que la responsabilité de l’État est engagée lorsque le contrôle

par le préfet d’une installation classée prouve l’inertie, la lenteur ou l’insuffisance des mesures prises. Par exemple : T.A. de Rennes, 2 mai 2001, Sté Suez Lyonnaise des eaux, R.J.E., 2001, n°3, p.445, note B. DROBENKO. Dans le domaine bancaire, la responsabilité de l’État du fait du contrôle des établissements de crédits est engagée pour faute lourde : C.E., 30 novembre 2001, Kechichian, p.587, concl. A. SEBAN,L.P.A.,7février 2002, p.7, concl ; A.J.D.A. 2002, p.133, chron. GUYOMAR

et COLLIN ; D.A., mars 2002, p.32, note D. FAIRGRIEVE ; J.C.P., G, II, 2002, 10042, note J.J. MENURET.

396 L’autorisation illégale de mise sur le marché d’un produit, tout comme son retrait ou son refus,

peut engager la responsabilité de la puissance publique pour faute : C.E., 28 juin 1968, St mutuelle d’assurances contre es accidents en pharmacie, p.411.

Dans l’ensemble de ces hypothèses, le juge vérifiera que le fait de l’administration est bien la cause directe du préjudice allégué. Or celui-ci, pour être indemnisé, doit remplir un certain nombre de conditions qui donnent lieu à une appréciation particulière lorsqu’il est subi par une entreprise.

2° La prise en compte des préjudices des entreprises

148. La spécificité des préjudices des entreprises est prise en compte par la jurisprudence lorsqu’elle définit la nature de ceux qui sont indemnisables. On constate en effet que l’ensemble des chefs de préjudice que subit un entrepreneur peut donner lieu à indemnisation398 : pertes de clientèle, diminution du chiffre d’affaires, perte d’un

élément constitutif du fonds de commerce, augmentation des charges, etc. Néanmoins, les entreprises, doivent remplir un certain nombre de conditions en vue d’obtenir gain de cause.

Elles doivent tout d’abord prouver qu’elles se trouvaient dans une situation légitime399 lorsqu’elles ont subi des dommages. Le préjudice allégué doit ensuite être

direct et certain.

Or, ces deux conditions revêtent un aspect particulier lorsqu’elles s’appliquent à des préjudices d’ordre économique. D’une part, l’entreprise concernée devra apporter la preuve que le préjudice subi est bien la conséquence directe d’un agissement de

397 La responsabilité de l’État peut être engagée dans le cadre de son contrôle des opérations de

concentrations économiques.

398 Voir, pour des développements relatifs à l’indemnisation publique des préjudices subis par les

entreprises : Seconde partie, Titre second, Chapitre second.

399 L’occupant irrégulier du domaine public ne peut pour cette raison obtenir l’indemnisation du

préjudice anormal et spécial qu’il a subi : C.E., 10 avril 2002, S.A.R.L. Somatour, T. p.918. Cette règle est valable lorsque la responsabilité est engagée pour faute : C.A.A. de Nantes, 9 décembre 1993, Sté morlaisienne des eaux, T. p.1030, A.J.D.A. 1994, p.124, obs. CADENAT. De la même manière, l’entreprise se prévalant d’un avantage illégalement acquis, ne peut obtenir l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi du fait de sa suppression : C.E., 5 mai 1999, Sté groupe maritime et commercial du Pacifique, T. p.1020.

l’administration400 et non de l’évolution normale des marchés401, des difficultés que

rencontrait son exploitation402 ou de son propre comportement économique403. Dans

ce dernier cas, il conviendra de prouver que la cessation de l’activité, lorsqu’elle a lieu, a bien été rendue nécessaire par les conséquences de l’agissement des pouvoirs publics et ne résulte pas d’un simple choix conjoncturel404 ou stratégique405.

D’autre part, le préjudice économique subi par les victimes devra ne pas être simplement éventuel ou aléatoire. Par exemple, si la jurisprudence accepte d’indemniser les préjudices futurs mais certains, ainsi que les pertes de chance, elle se refuse à compenser les pertes commerciales consécutives à l’abandon d’un projet dont on ne sait pas s’il aurait été bénéficiaire406.

400 Le préjudice industriel subi par une entreprise est la conséquence directe de la rupture

d’alimentation électrique causée par des travaux publics : C.E., section, 25 février 1972, Cie génrale des travaux hydrauliques c/ Sté thomson-Houston-Hotchkiss-Brandt p.168, concl. BERTRAND. Dans le même sens, la perte de récolte subie par un exploitant est la conséquence directe de l’assèchement d’un puit provoqué par la construction d’un collecteur : C.E., 23 février 1968, Ville de Toulouse c/ Peyrillous, p.138.

401 En ce sens : C.E., 30 novembre 1983, Sté Etablissements Fischer et autres, p.465 : « que, d’autre part,

la baisse de leur activité est la conséquence de l’évolution structurelle du marché de la viande ».

402 C.E., 18septembre 1992, S.A. « La Main », T. p.1301, D. 1994, somm., p.61, obs. P. BON et

PH. TERNEYRE ; C.E., 7 mars 1986, Consorts Vautherin, T. p.712 ; C.E., 9 décembre 1974, Matherey, dit Philippe Clay, p.830 : la baisse des ventes des disques d’un artiste n’est pas la conséquence directe de son éviction illégale d’une émission de radio. De même, la cessation de l’activité d’une société peut être due non pas à une faute de l’administration, mais à la fragilité de sa structure financière : C.E., 6 avril 2001, Levêque, R.J.F. 2001, 6, n°847.

403 Cette exigence concerne principalement les dépenses engagées par les entrepreneurs à la suite

d’un sinistre, afin d’en diminuer les conséquences ou permettre une reprise rapide de l’exploitation. Le juge s’efforcera de déterminer si ces dépenses étaient nécessaires au regard de la situation de l’entreprise : C.E., 23 février 1968, Ville de Toulouse c/ Peyrilloux, préc.

404 C.E., 4 octobre 1978, Ministre de l’équipement c/ Sté T.T. Linie, p.355 : l’État ne peut être tenu pour

responsable des préjudices commerciaux subis par l’entreprise propriétaire du navire le « Mary Poppins » après la date à laquelle elle a volontairement décidé de ne plus desservir le port de St Malo dans lequel elle avait subi un préjudice du fait d’une carence non fautive de l’autorité de police. Ces préjudices ne sont pas la conséquence directe de l’agissement de l’administration.

405 Si la victime avait la possibilité de poursuivre avec d’autres moyens son activité, sa cessation n’est

pas considérée comme une conséquence directe des agissements de l’administration : C.E., 22 juin 1977, Epoux Reyne-Goraudoux, T. p.966.

406 L’abandon du projet peut résulter d’un refus de permis de construire (C.E., 9 décembre 1983, Sté

d’études d’un grand hôtel international à Paris, p.507) ; d’un refus d’autoriser l’exploitation (C.E., 22 janvier 1993, Sté civile d’études du contre commercial intercommunal de Sannois-Ermont-Franconville, préc.), de la résiliation d’un contrat (C.E., 6 juillet 1956, Ministre du commerce et de l’industrie, R.D.P. 1956, p.1380)

B- Risques des entreprises et éléments exonératoires de

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