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La causalité directe

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 75-80)

§ 2 Causalité et risques des entreprises

A- La causalité directe

63. Afin de détailler les différentes configurations que peut revêtir le lien de causalité liant directement un événement donné, causé ou non par les pouvoirs publics, à la situation d’un entrepreneur (2°), on précisera dans un premier temps ce qu’il faut entendre par causalité directe (1°).

1° Détermination de la causalité directe

64. En droit, un fait dommageable n’ouvre droit à réparation que dans la mesure où il est une cause directe du dommage, c'est-à-dire lorsqu’aucun fait intermédiaire ne s’intercale entre lui et le dommage considéré. C’est ainsi qu’en vertu de la théorie de la causalité adéquate, le juge administratif ne retient parmi les antécédents qui ont concouru de façon nécessaire à la réalisation d’un dommage, que celui qui n’est pas marginal et qui l’entraîne de façon naturelle168.

A l’inverse, la causalité sera indirecte « lorsque entre le fait initial imputé (…) et la réalisation du préjudice dont la réparation est demandée, se sont interposés des circonstances ou des faits intermédiaires qui ne permettent pas d’établir avec certitude la relation de cause à effet entre ce fait initial et la réalisation du préjudice »169. Un fait

sera alors une cause indirecte d’un dommage si le second ne découle pas naturellement du premier170. Il contribue cependant à sa réalisation. En ce sens, la causalité indirecte

se rapproche de la théorie de l’équivalence des conditions qui retient comme signification de la causalité, celle en vertu de laquelle un fait est considéré comme la

168 Voir P. MARTEAU, La notion de causalité dans la responsabilité civile, Thèse, Aix-Marseille, 1914, p.91 :

la cause adéquate sera celle qui rend « objectivement possible une conséquence de même nature par le seul fait de son apparition ».

169M. WALINE, in Précis de droit administratif, 1969, T.II.

cause d’un dommage s’il en est une condition nécessaire171. Elle permet donc de retenir

comme fait dommageable plusieurs antécédents directs ou indirects qui ont été une condition sine qua non de la réalisation du dommage.

2° Manifestation de la causalité directe

65. Il est possible de transposer la définition de la causalité directe aux risques des entreprises. On constate alors que tant l’action des pouvoirs publics (a) que des événements qui leur sont extérieurs (b) peuvent être considérés comme la cause directe de dommages imprévisibles pour des opérateurs.

a) Les dommages causés directement par les pouvoirs publics

66. Il est assez aisé de répertorier les diverses hypothèses dans lesquelles des risques trouvent leur origine directe dans l’action des pouvoirs publics. Pour ce faire, il convient et il suffit d’apporter la preuve de l’absence de tout autre fait ou acte intermédiaire venant rompre la chaîne de causalité. On considérera alors le comportement des pouvoirs publics comme cause directe d’un dommage imprévisible si, étant une condition nécessaire à son existence, aucun autre événement ne vient faire écran entre le fait de l’administration et l’entreprise qui le subit172.

171 Selon J.S. MILL in Logique, Livre III, Ch.V, cité in P. VIALLE, « Lien de causalité et dommage

direct dans la responsabilité administrative », R.D.P. 1974, p.1243, la causalité est « l’antécédent ou l’ensemble d’antécédents dont le phénomène appelé effet est invariablement et inconditionnellement le conséquent ».

Voir en ce sens, C.cass. Civ., 7 août 1895, R.D.P.1896.I.81 : en l’espèce le lien de causalité est établi entre un accident survenu du fait d’une imprudence de l’ouvrière et le fait que son employeur l’emploie en dehors des heures légales.

172 A contrario : C.E., 17 janvier 1964, Sté thermale de l’Aude, p.25 : en l’espèce, l’arrêté du maire

interdisant à un hôtel situé au pied d’une falaise menacée d’éboulement de recevoir des clients n’est pas la cause directe du dommage commercial qui en résulte.

Il peut tout d’abord trouver son origine directe dans un fait matériel. Il peut par exemple s’agir d’accidents liés173 ou non174 à des travaux publics ainsi qu’à des

opérations matérielles d’exécution175. Divers actes juridiques peuvent ensuite en

constituer la cause directe : réglementations d’activités économiques176, refus

d’autorisation177, refus de contracter178, interdiction d’exercer une activité179, etc.

Deux précisions méritent alors d’être apportées.

Lorsque certaines de ces mesures, principalement des mesures de police, visent à faire face à une situation de crise et tentent de la faire cesser, les pouvoirs publics peuvent être amenés à cette occasion et de façon imprévisible, à causer directement des dommages à des entreprises qui n’avaient initialement pas été touchées par les troubles180. Le cas de l’amiante en est une bonne illustration : afin de réagir au risque

sanitaire que constitue l’amiante, l’État décida d’interdire la production de matériaux qui

173 Voir, C.E. Section, 17 décembre 1948, Département des Alpes-Maritimes c/ Pirra et autres, p.485 : des

travaux entrepris par le département et par l’État destinés à endiguer le cours du Var ont eu pour conséquences directes les dommages subis par les maraîchers du fait de la suppression de l’irrigation naturelle assurée par une vanne n’ayant pas été rétablie; De même : C.E., 1er juillet 1964,

Commissaire du Gouvernement près la commission régionale des dommages de guerre de Marseille c/ Falconetti, p.376,

174 C.E., 12 décembre 1958, Section d’État aux forces armées c/ E.D.F., p.642, concl. BRAIBANT, le

Conseil trouve dans un accident causé par un véhicule militaire l’origine directe des versements que l’établissement à dû effectuer sans la contrepartie d’un travail effectif ; C.E., 19 octobre 1983, Lahoutte et autres, p.418, la mort d’animaux d’élevage trouve son origine directe dans le versement accidentel d’une quantité importante d’eau salée dans des canaux d’irrigation.

175 Voir C.A.A. de Bordeaux, 27 décembre 1990, Valiente, T. dec., p.6855, : destruction d’une œuvre

sans le consentement de son auteur; C.A.A. de Bordeaux, 31 décembre 1993, Blanco, préc., suite à un attentat, des fouilles sont opérées à l’entrée d’un magasin entraînant une perte de clientèle.

176 Par exemple : C.A.A. de Bordeaux, 25 février 1993, S.A. des cafés du midi, T. dec., p.6878 , C.E.,

22 février 1987, Aldebert, préc.

177 C.E., 26 octobre 1988, S.C.I. « Les Moulins d’Hyères », p.382 ; C.A.A. Paris, 15 décembre 1999,

Epoux Maranne, Tables 1999, p.543.

178 C.A.A. de Douai, 21 mai 2002, Société Jean Behotas, A.J.D.A. 10 février 2003, p.232, note S.

TORCOL.

179 C.E., 3 juillet 1992, Ministre de l’Intérieur c/ Sté Carmag, p.280, C.E. Section, 25 janvier 1980,

Gradiaga et autres, p.44, C.E., 21 février 1986, Commune d’Agde, T., p.425, C.E., 4 décembre 1981, Ville de Narbonne, p. 461

180 Voir par exemple, C.E., 12 octobre 1988, Société Vinalmar, p.340, interdiction fait à un navire

d’entrer dans un port en raison de troubles à l’ordre public ; C.E., 17 mai 1989, Société Bouchara Frères c/ Ville de Strasbourg, T. dec., p.5605, interdiction de soldes saisonniers pour des motifs d’ordre public. Dans le même sens : C.E., 16 février 1979, Malisson, T. dec., p.5496.

en contenait, conduisant ainsi à la disparition d’entreprises dont l’unique activité consistait à les produire.

D’autres de ces mesures peuvent par ailleurs ne concerner que des entrepreneurs et non des particuliers. Il s’agira par exemple des hypothèses dans lesquelles les risques sont directement causés par des mesures à objet économique : mesures d’organisation et d’exercice des activités181, réglementation des marchés économiques182, etc.

b) Les dommages causés directement par des événements extérieurs aux pouvoirs publics

67. Qu’ils soient le fait d’événements d’origine naturelle ou d’agissements humains, les hypothèses de dommages causés directement à des entreprises à la suite de la réalisation d’un risque sont presque aussi nombreuses que les risques eux-mêmes.

Les phénomènes naturels sont en effet à l’origine directe de nombreux dommages tant matériels que financiers subis de façon imprévisible par des entreprises. Les tempêtes de décembre 1999 en furent un bon exemple puisqu’elles causèrent directement d’immenses dégâts matériels aux bâtiments, véhicules, récoltes sur pied, etc., mais également financiers du fait des pertes de recettes dues à l’interruption des activités économiques, notamment sylvicoles, voire à leur disparition. Les récentes inondations catastrophiques le montrent également, qui touchent tous les secteurs économiques : industrie, commerce, artisanat, agriculture183, tourisme. Lors des

181 A contrario, C.E., 15 mai 1987, Société « Transports et affrètements fluviaux », p.176 : réglementation

des activités de transport par voie navigable. De même C.E., 8 avril 1994, S.A. Etablissements Charbonneaux-Brabant, p.187 : modification des conditions d’activités pour les dépositaires du service des alcools.

182 En ce sens : C.E., Ass., 23 mars 1984, Ministre du commerce extérieur c/ Société Alivar, p.128. : afin de

lutter contre l’état de pénurie du marché de la pomme de terre, l’Etat français avait pris une mesure restrictive à l’exportation, dommageable pour une entreprise.

183 Les dommages résultant de la destruction des hortillonnages par les inondations dans la Somme

en 2001, furent évalués à 23 millions de francs. En outre, les cultures d’hiver furent détruites et la structure du sol dégradée. L’approvisionnement en fourrage fut donc interrompu.

inondations de 2001 dans la Somme, l’industrie touristique a-t-elle ainsi subi une chute de la fréquentation évaluée jusqu’à 35%184. Les diverses épizooties enfin, maladies

infectieuses touchant de nombreux animaux d’élevage, entraînent tant la mort naturelle ou l’abattage de têtes de bétail que les pertes de recettes résultant de l’impossibilité de les vendre par la suite. Elles provoquent l’engagement de nombreux frais supplémentaires, tels que frais de désinfection ou d’équarrissage.

68. De la même manière, les événements imprévisibles résultant d’activités humaines causent directement de nombreux dommages aux opérateurs.

Certains d’entre eux sont à la fois matériels et financiers. Il en va ainsi des activités industrielles dont l’exploitation peut être à l’origine de pollutions ou d’accidents. L’explosion de l’usine AZF à Toulouse détruisit-elle ainsi de nombreux bâtiments et véhicules à usage d’exploitation et interrompit des activités qui souffrirent alors d’importantes pertes. Le naufrage de l’Érika au large des côtes françaises provoqua notamment la destruction des récoltes des conchyliculteurs, l’endommagement des matériels de pêche et une baisse de fréquentation touristique qui toucha l’industrie hôtelière et la restauration.

Il en va également ainsi des événements de nature politique tels que les guerres ou les attentats. Les attentas du 11 septembre outre les dégâts matériels aux bâtiments, meubles et véhicules, causèrent par exemple la faillite de compagnies d’assurance et de réassurance, ainsi que des pertes d’exploitation pour les compagnies aériennes. Les récents conflits militaires ont engendré une flambée du prix du pétrole ainsi que des dommages touristiques en raison du sentiment d’insécurité qu’ils provoquaient.

Certains autres, n’étant subis que par des entreprises, ne sont qu’économiques. Ils sont en effet causés par des agissements d’entreprises concurrentes tels que des ententes illicites, des abus de position dominante, des actes de concurrence déloyale, de

184 In Rapport du Sénat n°34, session ordinaire 2001-2002, Commission d’enquête sur les

l’espionnage industriel, etc. Les conséquences dommageables directes seront alors constituées de baisses ou hausses artificielles des prix, d’un accès restreint au marché, conduisant à une perte de parts de marché, une perte de clientèle, des pertes financières, etc.

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