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Les dommages propres aux entreprises

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 49-54)

§ 2 Le caractère potentiellement dommageable des risques des entreprises

B- Les dommages propres aux entreprises

37. Les dommages que peuvent subir les entreprises connaissent un certain nombre de spécificités par rapport à ceux que supportent les particuliers. Si cela semble logique, du fait que les premiers exercent une activité économique et non les seconds, il faut néanmoins y porter une grande attention puisque de cette originalité découle un nombre important de conséquences juridiques, tant au niveau des fondements de l’action publique que de ses modalités concrètes. Ainsi, avant de préciser en quoi consiste cette particularité (2°), il convient de déterminer ce que constituent les dommages que peut subir une entreprise (1°).

1° Nature des dommages des entreprises

38. Ils sont constitués des pertes subies et des gains manqués100. Les premières

regroupent les pertes matérielles subies, les dépenses induites par le désordre, ainsi que les pertes immatérielles. Les secondes concernent quant à elles le gain manqué par diminution des volumes (diminution de la capacité de production par exemple), le gain manqué par augmentation du prix unitaire, et la perte de chance. Ces différents chefs de préjudice ne sont pas nécessairement indépendants les uns des autres, un même fait

l’homme, mais des effets sociaux, économiques et politiques induits par ces effets induits eux-mêmes » in U.

BECK,préc., p.43.

99P. PERETTI-WATEL,La société du risque, Ed. La Découverte, coll. Repères, Paris, 2001, p.26 et s. 100 Voir en ce sens : F. BOUCHON, L’évaluation des préjudices subis par les entreprises, Litec, Affaires

générateur pouvant entraîner la réalisation de plusieurs d’entre eux. Il conviendra alors de les évaluer séparément.

L’établissement des pertes matérielles subies nécessite logiquement que soit dressée la liste des biens matériels endommagés en recourant soit à l’inventaire soit aux documents comptables. Il conviendra alors, en vue de les évaluer, de distinguer les marchandises courantes, les biens plus anciens, les biens amortis, mais encore utiles, etc. Les dépenses induites désignent quant à elles l’ensemble des frais que l’entreprise a dû engager en raison de la réalisation d’un risque et qui visent soit à assurer la continuité de l’exploitation (location de locaux, de machines, déménagement, etc.) soit à maintenir le volume de production (embauche de personnel)101. Enfin, les pertes de biens

incorporels constituent les pertes immatérielles : brevets, marques, dessins, modèles, etc., dont il faudra établir qu’ils auraient permis de réaliser des profits sur une période déterminée.

Le gain que l’exploitant aurait réalisé si le risque ne s’était pas réalisé est plus difficile à établir puisqu’il suppose de pouvoir calculer la différence entre ce qui a été gagné après la réalisation du sinistre et ce qui l’aurait été si rien ne s’était produit. Il faut alors recourir à des outils tels que l’évolution du chiffre d’affaires ou des indicateurs propres à certaines productions qui permettent alors une comparaison avec des entreprises similaires : nombre de véhicules vendus par un concessionnaire du même groupe, tirage dans la presse, tonnage dans le commerce de matières premières, taux de remplissage dans l’hôtellerie, etc. Le gain manqué ne sera réellement établi que si l’exploitant parvient à démontrer que le sinistre a fait évoluer ces indicateurs, manifestant par là même une incidence sur l’activité de l’entreprise.

La perte de chance est enfin le chef de préjudice le plus difficile à établir, puisqu’elle désigne les hypothèses dans lesquelles il n’est pas possible de prouver de façon satisfaisante un gain manqué. L’absence ou l’imprécision des données ne permet

alors que de probabiliser une éventuelle chance de profit. Cette difficulté peut s’illustrer lorsque l’on envisage la situation d’une entreprise nouvelle, utilisant un procédé nouveau pour produire un objet nouveau ne répondant pas encore à un besoin102.

Afin d’illustrer ces diverses conséquences dommageables, il est possible de considérer l’exemple d’une entreprise ayant subi une catastrophe naturelle, dont l’activité a dû être interrompue du fait de dommages matériels importants : destruction de matériels, de bâtiments, de stocks, etc. Ceux-ci entraîneront alors une diminution voire une disparition du chiffre d’affaires. Le carnet de commande, les coûts de production, les parts de marché en seront affectés.103 En outre, des dépenses seront

nécessairement engagées pour faire face à la situation : location de nouveaux locaux et matériels, paiement d’heures supplémentaires. On peut enfin considérer que des éléments immatériels seront touchés : perte de clientèle, perte du droit au bail, etc. À ceci s’ajouteront les pertes de chance de réaliser des perspectives d’avenir prometteuses, d’engager des projets d’innovations, etc.

2° Spécificité des dommages des entreprises

39. Les dommages que sont susceptibles de subir une entreprise, y compris lorsqu’ils sont de la même nature que ceux que doivent supporter des particuliers, connaissent une certaine originalité du fait même qu’ils sont causés à des entreprises. Ceci entraîne alors des conséquences non négligeables puisqu’il est tenu compte de cette originalité a priori, lorsqu’il s’agit de prévenir le risque, et a posteriori lorsqu’il s’agit de réparer et d’indemniser ses conséquences104.

102 Exemple tiré de F. BOUCHON,préc., p.69.

103 On peut se référer utilement à la circulaire du ministre de l’intérieur nº 82-102 du 24 juin 1982

fixant des critères économiques de l’entreprise en difficulté : diminution du carnet de commandes, incidents de paiement, diminution des horaires de travail, chômage technique, licenciement pour cause économique…

D’une part, la spécificité des dommages que subissent les entreprises s’explique assez logiquement par le fait que certains d’entre eux ne peuvent être subis que par des entrepreneurs. Il en va ainsi de l’ensemble des préjudices commerciaux étudiés précédemment (perte de clientèle, baisse du chiffre d’affaires, perte de parts de marché, perte de brevets, etc.), qu’ils soient le fait d’un risque également subi par des particuliers ou d’un risque propre aux entreprises (maladies des animaux d’élevage, calamités agricoles, concurrence déloyale, etc.). Il en va de même de certains dommages matériels tels que les pertes de récoltes ou de bétail que sont susceptibles de subir les seuls agriculteurs.

D’autre part, cette spécificité se manifeste également lorsque le risque, touchant à la fois des particuliers et des entreprises, provoque des dommages du même ordre, principalement matériel. Ceci s’illustre fréquemment lorsque des catastrophes naturelles entraînent la destruction de biens matériels de tous ordres : bâtiments industriels et commerciaux, habitations, véhicules ou autres machines. L’événement imprévisible, s’il est alors le même, n’entraîne cependant pas les mêmes conséquences. Elles sont en effet d’une tout autre importance pour les entrepreneurs que pour les particuliers.

Elles sont non pas plus graves, mais financièrement plus importantes. L’exemple de l’indemnisation par le FIPOL des dommages consécutifs au naufrage de l’Érika l’illustre parfaitement puisque des sommes bien plus considérables furent attribuées à l’industrie touristique et agricole en compensation des dommages subis105.

Ceci s’explique en partie par le fait que les dommages matériels subis par les entreprises entraînent ensuite des conséquences financières indirectes bien plus vastes et nombreuses pour les entrepreneurs106. En effet, les biens endommagés sont affectés

à l’exploitation d’une activité économique et peuvent provoquer l’immobilisation d’une

105 Voir en ce sens : Rapport d’information, Sénat, n°441, session ordinaire 1999-2000, relatif à la

marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika.

106 Voir J. MOREAU,« L’indemnisation et l’évaluation par le juge administratif des dommages causés

aux immeubles et aux meubles et des dommages immatériels consécutifs dans le contentieux de la responsabilité extra-contractuelle. », Mélanges R. CHAPUS, p.443.

activité, le chômage technique, l’arrêt des livraisons, etc. Dès lors, l’évaluation de ces dommages exige le recours à des outils et techniques propres107.

Les personnes touchées par de telles conséquences sont en outre bien plus nombreuses : actionnaires108, employés, clients, créanciers, assureurs, etc., qui exigeront

souvent une compensation des pertes que leur a fait subir le risque. Des intérêts plus généraux peuvent également être affectés, tels que les conséquences induites sur le niveau de l’emploi ou la compétitivité de l’économie régionale ou nationale.

40. Le fait qu’un risque soit subi par une entreprise plutôt que par un particulier ne modifie pas fondamentalement sa définition. Il demeure en effet, quelle que soit sa victime, une menace imprévisible de dommages. Néanmoins, tant l’imprévisible que le caractère dommageable revêtent une signification propre lorsqu’ils sont appliqués à la situation d’une entreprise. Une telle adaptation se manifeste également lorsque l’on étudie la diversité des origines des risques des entreprises.

107 Voir infra, Seconde partie, Titre second, Second chapitre, n°511 et s.

108 Des études ont été menées afin de déterminer si la réalisation de catastrophes dans les secteurs

aériens ou de l’énergie entraîne des conséquences dommageables pour les actionnaires, notamment la baisse des titres échangés sur le marché boursier. Elles se fondent pour cela sur l’analyse des résidus consistant à calculer la différence entre les taux de rendement observés au cours d’une période donnée et ceux qui auraient dû être observés en l’absence de l’événement. Voir en ce sens :

J.-M. SURET, T. PAUCHANT, M. DESNOYERS, « Prévention et marchés financiers », Risques, n°4, janvier 1991, p.139.

S

ECTION SECONDE

:

L

A DIVERSITE DES RISQUES DES ENTREPRISES

41. Définir les risques des entreprises en ne se référant qu’à leurs caractères imprévisible et dommageable ne permet pas d’en avoir une vision suffisamment précise permettant de déterminer par la suite les fondements de l’intervention publique ainsi que ses modalités concrètes. Les situations constitutives de risques sont en effet protéiformes, et ne permettent pas, sans plus de précision, d’appréhender correctement leur prise en charge. C’est pourquoi il convient de compléter leur définition par deux types de considérations. Les premières concernent l’origine des risques subis par les entreprises (§1), les secondes la façon dont ils sont causés et se réalisent (§2).

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 49-54)