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L’imprévisibilité économique

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 42-45)

§ 1 L’imprévisibilité des risques des entreprises

B- L’imprévisibilité économique

31. Est imprévisible pour une entreprise ce qui, dans le cadre de l’exploitation de son activité, n’a pu ou n’a su être prévu. Compréhensible, l’expression mérite cependant d’être précisée tant les relations entre risques et entreprise sont multiformes.

Le risque est en effet le moteur de l’activité économique : la prise de risque, l’initiative, l’innovation, etc., sont des engagements « risqués » qui justifient le profit. L’entreprise économique est-elle ainsi souvent considérée comme un pari couru « aux risques et périls » de celui qui le prend et soumis à de nombreux éléments aléatoires. La réussite et les bénéfices sont alors considérés comme la juste contrepartie des efforts de prévision réalisés par l’entrepreneur. Maîtrisant les paramètres de son activité et du marché sur lequel elle s’exerce, celui-ci peut tourner à son profit l’ensemble des éléments initialement imprévisibles : réalité quantitative et qualitative de la demande, variation des coûts de production, des matières premières, modifications de réglementation, etc.

Ces aléas sont propres à toute activité économique, on parle alors d’aléas inhérents à la vie des affaires ; ils correspondent à la part d’incertitude qui conditionnent le succès d’une opération. Ils sont la conséquence et la contrepartie des libertés économiques reconnues aux opérateurs, qui les autorisent à entrer en compétition sur un marché donné, à entreprendre et exploiter une activité et à bénéficier des résultats de cette exploitation. Ceux-ci pouvant être positifs ou négatifs, il s’agit donc d’une liberté de gagner ou de perdre83.

Cette réalité est parfois désignée par le terme de risque d’exploitation. Il ne recouvre pas uniquement le risque financier de l’exploitation mais également celui qui affecte les résultats économiques de l’entreprise dans leur ensemble84. Tout opérateur y

est soumis de façon égale, cette égalité étant une égalité dans la réussite ou dans l’échec.

L’ensemble de ces aléas, même incertains, est considéré comme devant être raisonnablement prévisible pour un opérateur avisé. Ils demeurent donc en principe à sa seule charge. Ceci se vérifie en jurisprudence où il est fréquemment rappelé que les risques inhérents aux activités économiques doivent être supportés par celui qui les court85. Le juge considère alors que les aléas « auxquels toute activité commerciale est

par nature soumise »86 ne peuvent donner lieu à une indemnisation87.

83 C.E. 30 mars 1916, Cie générale d’éclairage de Bordeaux, D. 1916.25, concl. CHARDENET ; R.D.P.

1916.206 et 338, concl., note JEZE ; S.1916.3.17, concl., note HAURIOU : « La variation du prix des matières premières à raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au concessionnaire et demeure à ses risques et périls (…) ».

84 Pour un exemple voir C.E. 20 mai 1994, Sté de gardiennage industriel de la Seine, D.A. 1994, nº 397,

T., p.1038 : le Conseil considère que le déficit d’exploitation subi par l’entreprise a été causé par une insuffisante fréquentation du parc, qui constitue un aléa de gestion qu’elle doit supporter.

85 On retrouve une analyse identique en droit civil, lorsque le juge considère les risques inhérents

aux activités sportives. Par exemple : Cass. 2e civ. 8 novembre 1976, J.C.P. G. 1977.II.18759, note

A. BENABENT. Voir pour plus de précisions : N. VOIDEY, préc., p.111 et s.

86 Voir en ce sens, C.A.A. de Lyon, 8 février 1993, Epx Bougarel-Tessier, A.J.D.A. 1993, p.744, note

J.P.J.

87 Dans le même sens : C.E., 12 octobre 1988, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’urbanisme, du

logement et des transports, chargé de la mer et ministre de l’intérieur et de la décentralisation c/ Compagnie nationale algérienne de navigation, p.339 : Le Conseil d’Etat se réfère à « un aléa normal du commerce international ». De même, C.E., 9 février 1951, Groupement des mareyeurs de Brest, p.85, le Conseil juge

32. Les risques des entreprises excèdent ces simples aléas dans la mesure où ils sont réellement imprévisibles88. Ils sont extraordinaires et dépassent ce qu’un opérateur

raisonnablement avisé devrait prévoir dans le cadre de son exploitation. Ces risques sont protéiformes : catastrophes naturelles ou technologiques, actes de terrorisme, pollutions, crise économique, émeutes, etc. Ils peuvent être imprévisibles à plusieurs égards, en raison de leur nature, de leur intensité, de leurs conséquences, de leur lieu ou date de réalisation.

La notion de risque étant éminemment subjective, l’imprévisibilité n’est pas ressentie de la même façon par tous les entrepreneurs. Certains, disposant d’importants moyens tant matériels, humains que financiers, peuvent obtenir suffisamment d’informations pour qu’un événement, qui apparaît imprévisible pour d’autres, ne le soit pas pour eux. De la même manière, les entreprises particulièrement sensibles à certains événements seront considérées comme ayant dû normalement les prévoir, alors qu’ils constitueraient de véritables risques pour d’autres opérateurs : si la guerre constitue un aléa inhérent à la vente d’armes89, elle constitue un véritable risque pour de nombreuses

activités telles le transport aérien, l’hôtellerie ou la restauration.

Ceci permet de relever que la notion d’imprévisibilité ne désigne pas la même chose lorsqu’elle est ressentie par un particulier ou par un entrepreneur. Il est en effet de nombreuses hypothèses dans lesquelles ce dernier, en tant que professionnel, sera considéré comme ayant dû prévoir certains événements qui constituent pour des particuliers de réels risques. Le cas des professionnels de l’immobilier ou du transport aérien, déjà cité90, en est une bonne illustration, tout comme celui des producteurs à

en l’espèce que la responsabilité de l’État doit être engagée « dans la mesure où le préjudice a excédé la proportion de perte qu’aurait normalement comportée le commerce dont s’agit (…) » ; C.E., 12 février 2002, Michel, D.A. 2002, n°97 : le juge se réfère aux aléas que doivent en principe supporter les exploitants.

88 Une hausse du prix « hors de proportion avec les conditions économiques normales régulières,

une hausse qu’aucune des parties contractantes n’avaient pu prévoir au moment de la passation du marché (…) ». Concl. CHARDENET sur C.E. 30 mars 1916, Cie générale d’éclairage de Bordeaux. Dans le même sens : C.E. 14 juin 2000, Commune de Staffelden, B.J.C.P. 2000, p.434 : « ce coût d’achat a largement dépassé les limites extrêmes de majoration qu’un acteur économique normalement raisonnable pouvait prévoir. ».

89 C.E., Ass., 29 juin 1962, Sté Manufacture des machines du Haut-Rhin, préc. 90 Voir supra, ce Chapitre, n°26.

l’égard des produits mis sur le marché. Ces derniers sont en effet tenus de se renseigner sur « l’état des connaissances scientifiques et techniques, y compris en son niveau le plus avancé, au moment de la mis en circulation du produit en cause »91, ce qui ne

saurait être le cas des consommateurs.

A ceci s’ajoute le fait que certains événements ou certaines conséquences n’étant subis que par des entreprises, ils ne sont logiquement imprévisibles que pour ces dernières. Il en va ainsi des risques qu’elles seules subissent (espionnage industriel, contrefaçon, concurrence déloyale, etc.) ou des dommages qu’elles sont seules à devoir supporter (baisse du chiffre d’affaires, perte de clientèle, perte de stocks, etc.).

§ 2 - Le caractère potentiellement dommageable des risques

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