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Ordre public et risques des entreprises

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 177-185)

§ 1 Le maintien de l’ordre public

A- Ordre public et risques des entreprises

162. C’est en constatant que les notions de risque des entreprises et de trouble à l’ordre public peuvent correspondre que l’on est logiquement amené à déduire que la mission qui incombe à l’État d’assurer le maintien de l’ordre public constitue un fondement de la prise en charge des risques. En effet, bon nombre de ces derniers, parmi les plus dommageables et les plus médiatisés, constituent des troubles à l’ordre public général. C’est alors en vertu de ses pouvoirs de police que l’administration les prend en charge. Une place particulière est cependant faite, quoique dans une faible mesure, à la situation des entreprises victimes des tels troubles (1°). La particularité de ces situations est en revanche clairement prise en compte au travers de la notion d’ordre public économique (2°).

1° L’ordre public général

163. Il revient aux pouvoirs publics d’assurer le maintien de l’ordre public440.

Cette mission, représentant pour certains le niveau maximal de l’intervention de l’État, pour d’autres son niveau minimal441, découle aussi bien des textes que de la

jurisprudence. Ainsi, l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 énonce-t-il au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, la sûreté. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger que relèvent de l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens ainsi que la sûreté de l’État442. De même,

la loi du 21 janvier 1995 dispose que « L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public (…) »443.

L’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales issu de l’article 97 de la loi du 5 avril 1884, définit quant à lui la mission de police du maire comme devant tendre à « (…) assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. ».

Le juge administratif rappelle fréquemment par une jurisprudence bien établie et dorénavant traditionnelle que le maire doit mettre en œuvre ses pouvoirs de police afin de faire cesser « une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publiques (…) »444. L’action des autorités chargées de maintenir l’ordre

440

L’ordre public est défini classiquement depuis Hauriou comme un ordre « matériel et extérieur ». Voir en ce sens : M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 12e éd., p.549. Voir, pour une étude de la

notion d’ordre public : P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, Bibliothèque de droit

public, 1962, Tome XLII.

441 Pour un rappel des théories portant sur l’interventionnisme étatique en matière économique, voir

Première Partie, Chapitre Second, n°116 et s.

442 C.C. 80-127 DC des 19-20 janvier 1980, J.O. du 22 janvier 1980 ; C.C. 89-261 DC du 1er août

1989, J.O. du 1er août 1989. Pour une étude approfondie de l’ordre public appréhendé par le

Conseil constitutionnel : CH. VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. », R.D.P. 1994.1.693.

443 Article 1er de la Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la

sécurité, J.O. n°20 du 24 janvier 1995, p.1249.

444 C.E., 23 octobre 1959, Doublet, p.540 ; R.D.P. 1959 p.1235, concl. A. BERNARD et 1960 p.802,

note M. WALINE. De même, le Conseil d’État rappelle régulièrement la nature de la mission de police du maire : C.E., 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine, A.J.D.A. 2003, p.2164 : « (…) il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de

public consiste donc, en vertu de ces dispositions, à prévenir et faire cesser par des mesures appropriées les troubles susceptibles de l’affecter ainsi que de le rétablir. Elle comprend en premier lieu des prescriptions interdisant ou limitant l’exercice d’activités privées, mais également des opérations matérielles445. Ainsi, si un risque constitue une

menace pour l’ordre public en ce qu’il peut perturber le bon ordre, sa prise en charge se fera sur le fondement de la mission de police impartie à l’administration. Prévenir le trouble, le faire cesser, rétablir une situation normale permettra incidemment à l’autorité publique de prévenir le risque, de le faire cesser et de rétablir l’activité économique de l’entrepreneur dans des conditions d’exercice viables.

164. Les trois composantes de l’ordre public sont susceptibles d’être troublées par de tels événements446.

La sécurité publique tout d’abord. On ne dénombre plus en effet les inondations, tempêtes, éboulements et autres risques d’origine naturelle qui sont à la fois des troubles de la sécurité publique et des risques que les entrepreneurs ne peuvent prévenir ni faire cesser. Chaque année apporte de nouvelles illustrations catastrophiques : commerces dévastés, exploitations ruinées, qui dans la Somme n’ont pas résisté aux inondations, qui ont dû supporter les tempêtes de décembre 1999, etc.

La salubrité publique ensuite. Prévenir ou faire cesser des troubles à la salubrité publique tels que les épizooties, les marées noires et autres pollutions permet aux autorités de police de prévenir et faire cesser les risques pesant sur les éleveurs de bétail, les conchyliculteurs, les hôteliers et toute autre activité liée au tourisme.

prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques (…) ».

445 Voir, pour une étude des relations existant entre prise en charge des risques et police

administrative : Première Partie, Chapitre premier. De même pour des études approfondies sur la notion de police administrative : DEMETRE PAPANICOLAÏDIS, Introduction générale à la théorie de la police

administrative, 1960; E. PICARD, La police administrative, Bibliothèque de droit public, T. 146, L.G.D.J., 1984.

446 L’article L2212-2, 5° expose les domaines dans lesquels le maire doit prendre les mesures

nécessaires afin de prévenir et faire cesser certains périls. On relève parmi eux : les épizooties, les catastrophes naturelles, les pollutions, etc., tous susceptibles de constituer des risques pour les entreprises.

La tranquillité publique enfin. Les exemples ne sont certes pas nombreux, ils existent cependant : le bruit venant troubler la production de lait et d’œufs en raison du stress qu’il provoque chez les animaux ou la tenue de festivités bruyantes, parfois « sauvages », à proximité de tels sites de production peuvent constituer des troubles à la tranquillité publique aussi bien que des risques pour les exploitants.

165. Dans l’ensemble de ces exemples, le fondement de l’action publique connaît peu de spécificités liées à la nature économique des entreprises. Ces risques pesant avant tout sur l’ordre public général, la matière économique n’influe pas en principe sur le fondement juridique des mesures adoptées.

Il faut toutefois noter que les troubles à l’ordre public général engendrent très fréquemment des dommages aux entreprises que ne connaissent pas les particuliers, soit parce qu’ils leur sont propres (perte de clientèle, baisse du chiffre d’affaires, perte d’éléments constitutifs d’un fonds de commerce, etc.) soit parce qu’ils les dépassent en importance. Ils peuvent en outre toucher des zones géographiques sur lesquelles ne s’exercent que des activités économiques (Zones industrielles ou commerciales, zones du littoral polluées par le déversement accidentel d’hydrocarbures ne donnant lieu qu’à une exploitation économique, etc.).

Des buts économiques sont alors poursuivis par les autorités publiques détentrices du pouvoir de police administrative. Si cette dernière ne peut avoir pour objectif d’instaurer un nouvel ordre économique,447 il n’est pas rare que des

considérations économiques viennent s’intégrer ou se combiner avec des considérations d’ordre public liées à la sécurité ou la salubrité publiques. Ainsi, une réglementation de police destinée à réglementer la circulation automobile en limitant la vitesse autorisée peut-elle prendre en considération la nécessité de réduire la consommation des produits pétroliers en période d’inflations du prix de l’essence448. De même, le maire est

447 Par exemple : C.E., 8 décembre 1948, Syndicat général des patrons laitiers de la ville de Lyon, p.462 ;

C.E. 29 juillet 1950, Fédération nationale des syndicats de grossistes, p. 482.

448 C.E. Sect., 25 juillet 1975, Sieur Chaigneau, p.436, R.D.P. 1976, p.392, note J.-M. AUBY : « (…) le

Gouvernement (…) a pu légalement prendre en considération les menaces pesant sur l’approvisionnement du pays en produits pétroliers et la nécessité d’intérêt national de restreindre la

fréquemment amené à prendre en considération des intérêts ou des objets économiques lorsqu’il inspecte la fidélité du « débit des denrées » ou la salubrité des « comestibles » destinés à la vente, sur le fondement de l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales. L’utilisation de la police générale permet ainsi aux pouvoirs publics de prendre en considération certains objets économiques dans le but d’assurer l’ordre public général : les salaires, les prix, le ravitaillement. Ils le font fréquemment pour des risques d’entreprises, notamment lorsqu’il s’agit de réglementer la distribution de marchandises en période de rationnement ou de pénurie449. Tout en assurant la

protection de l’ordre public général, de telles mesures de police cherchent alors à assurer la sécurité des opérateurs économiques450.

2° L’ordre public économique

166. La démarche consistant à reconnaître l’existence d’un ordre public économique451 se fonde sur l’observation des diverses réglementations destinées à faire

régner un certain ordre économique. L’intervention publique vise en effet par ce biais à faire respecter le bon ordre des marchés et la sécurité des opérations économiques. Elle tente de discipliner, sous le contrôle du juge, les comportements économiques afin de prévenir et faire cesser les troubles susceptibles d’affecter le fonctionnement des

consommation de ces produits pour imposer des limitations de vitesse (…) ». Dans le même sens : C.E., 27 mai 1983, fédération française d’études et de sports sous-marins, p.216, A.J.D.A. 1984 p.45, note

J. MOREAU : « (…) le préfet peut légalement prendre en considération, non seulement le souci de la conservation des espèces marines, mais aussi le rôle joué par les différents modes de pêche dans l’économie du département. ».

449 C.E., 22 décembre 1949, Couterrier, p.329 ; C.E., 30 mai 1952, Confédération nationale des producteurs,

p.289.

450 Ces mesures ont bien un but économique (régulation de la production, protection des

consommateurs, réglementation en période de pénurie, etc.) lié à une préoccupation de maintien du bon ordre. Voir en ce sens : E. PICARD, La notion de police administrative, Bibliothèque de droit public,

L.G.D.J., Paris, 1984, p.219 et s.

451 Voir notamment : G. RIPERT, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », Mélanges GENY,

II.1935 ; R. SAVATIER, « L’ordre public économique », D.1965, chron., p.37 ; G. FARJAT, L’ordre public économique, Thèse, L.G.D.J., Paris, 1963.

activités de production, de distribution ou de service. Cet ordre économique diffère de l’ordre public général en ce qu’il semble être doublement relatif452. Il ne vise en effet à

protéger que la sécurité des seuls opérateurs économiques en tant qu’ils interviennent sur les seuls marchés économiques453.

Il semble par ailleurs être changeant dans le temps en fonction des impératifs qui sous-tendent les politiques économiques de l’État. Ainsi a-t-on assisté à une évolution du contenu de l’ordre public économique depuis la moitié du siècle passé. C’est de la loi et de la planification que les dirigeants des années quarante croyaient voir résulter l’ordre public économique. L’ordre et la sécurité des opérations économiques ne semblaient pouvoir résulter que des mesures dirigistes ou interventionnistes de l’État. L’ordonnance de 1945 sur les prix en est une illustration. On ne saurait tenir un discours comparable dorénavant. L’économie dirigée n’est plus ce qu’elle était et la théorie libérale renaissante voit dans l’intervention de l’État, tout comme sa devancière, un obstacle à l’ordre spontané que doit atteindre le marché fondé sur une libre et égale concurrence. L’action publique ne vise donc plus qu’à protéger ce bon ordre des marchés en assurant aux opérateurs des conditions sûres d’exercice de leur activité. Elle fixe des règles de conduite et en assure le respect, elle régule comme le fait l’agent de police lorsqu’il impose aux conducteurs d’automobiles le respect des règles du Code de la route à un carrefour engorgé. Il s’agit pour lui de tenter de protéger les conducteurs contre les accidents qui risqueraient de les priver de leur liberté de déplacement. Ainsi, assurer l’ordre permet aux entrepreneurs d’exercer complètement la liberté qui leur est reconnue par le droit positif.

452 Voir en ce sens : P. BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, Bibliothèque de droit

public, L.G.D.J., 1962, p.38.

453 Selon le Doyen RIPERT, cité dans P. BERNARD, préc., p. 39, « la loi n’est pas faite pour les

Français ou pour ceux qui habitent le territoire français, elle est faite pour le vigneron, pour le marchand de vin, pour le propriétaire de l’immeuble ou pour le locataire commerçant. »

167. Il revient aux polices de l’économie454 d’assumer cette mission. Et l’on

constate que les menaces de troubles qu’elles ont pour obligation de prévenir et de faire cesser peuvent constituer des risques pour les entreprises tels qu’on les a définis. L’étude de la police spéciale de la concurrence permettra d’éclairer ce propos.

Cette dernière vise en effet à prévenir et faire cesser les atteintes portées aux règles de la concurrence par les opérateurs publics ou privés intervenant sur le marché. Elle assure un certain ordre au sein duquel les activités économiques peuvent s’exercer de façon concurrentielle. Elle sanctionne les comportements irréguliers et permet le rétablissement, par le biais d’injonctions et de sanctions notamment, de la situation de l’entrepreneur ayant subi des dommages. Or, la violation des règles de la concurrence, qui constituent la règle du jeu en vertu de laquelle les opérateurs fondent leur prévision, est un risque propre aux entreprises455. La prévention de tels troubles permet donc de

prévenir de façon incidente les risques qui en résultent. En effet, tenter d’empêcher les pratiques anticoncurrentielles telles que les ententes, les abus de position dominante, ou certaines concentrations économiques, mais également les faire cesser, permet aux autorités chargées d’assurer la police de la concurrence de prévenir et faire cesser les risques qu’ils constituent. En ce sens, l’ordre public économique constitue bien un fondement de l’action propre à certains risques subis par les entreprises.

168. On doit enfin noter que le maintien du bon ordre de l’économie ne tient pas uniquement à la protection de la sécurité des opérations qui s’y déroulent. Elle tient également à la sécurité de l’économie dans son ensemble. L’activité correspondant à cette protection est appelée défense économique456. Elle correspond à l’origine à

l’aspect économique de la défense nationale457 définie par l’ordonnance du 7 janvier

454 Ce terme est emprunté au professeur P. DELVOLVE, in Droit Public de l’économie, Précis Dalloz,

préc., p.427. Il est employé pour désigner les polices spéciales qui visent à assurer un bon ordre économique dans des domaines échappant à la police de l’ordre public général.

455 Voir Première partie, Titre premier, Chapitre premier, n°60.

456 Voir en ce sens, J. BONTOUX, « La défense économique », Administration, 1993, dossier spécial. 457 La défense, selon l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959, « a pour objet d’assurer en tous

temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». A cette fin, le décret n°62-729 du 29 juillet 1962

1959. Elle vise, en temps de paix, à assurer la sûreté de l’économie nationale, afin qu’en cas de crises graves, les besoins vitaux de la population soient préservés458. Avec la fin

de l’affrontement est-ouest, la signification de la défense économique a évolué vers une politique de prévention des menaces pouvant atteindre la sûreté de l’économie nationale : espionnage industriel, prise de contrôle hostile d’entreprise nationale, vol de brevet ou d’autres secrets459, contrefaçon460, etc. Elle vise à prévenir et à rétablir les flux

économiques en cas de crise. C’est sur ce fondement que peuvent être pris en charge un certain nombre de risques pour les entreprises. Par exemple, la constitution de stocks ou réserves participe de cette politique de défense et permet de prévenir et faire cesser les dommages résultant de situations de pénurie ou de cracks boursiers des cours des matières premières. La veille économique qu’elle instaure ainsi que l’institutionnalisation du renseignement économique461 permettent de prévoir des mesures de réaction

appropriées à certains risques particuliers462.

dispose que le ministre de l’économie dirige une commission permanente pour les affaires économiques de la défense. Il est relayé par des commissions régionales de défense économique créées par arrêté du 10 février 1988. Le livre blanc sur la défense de 1994 a officialisé la notion.

458 J.-L. LEVET, « De la défense économique à la sécurité de l’économie. », Administration, préc.,

p.31.

459 La loi du 16 juillet 1980 (J.O.R.F. 27 juillet 1980) interdit en son article 1 à toute personne

physique résidant en France de communiquer de renseignements ou de documents d’ordre économique lorsque cela est de nature à porter atteinte aux intérêts économiques essentiels de la France et à l’ordre public.

460 Voir M. WATIN-AUGOUARD, « La lutte contre la contrefaçon : un objectif pour la défense

économique », Droit et Défense, n°3 1994, p.62.

461 Voir en ce sens : Rapport du Commissariat général au plan pour 1994, Intelligence économique et

stratégie de l’entreprise, la documentation française, 1995. L’intelligence économique est définie comme « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution de l’information utile aux acteurs économiques ». Un comité pour la compétitivité et la sécurité économique a été créé le 4 avril 1995 (J.O.R.F. 4 avril 1995) et est destiné à conseiller le Gouvernement dans le domaine de l’intelligence économique.

169. L’ordre public constitue un des principaux fondements de la prise en charge par les pouvoirs publics des risques des entreprises. Prenant en compte la particularité de leur situation, l’ordre public général est influencé par la matière économique. L’ordre public économique est en outre un fondement qui y est particulièrement adapté. On retrouve une adaptation comparable lorsque l’on étudie le régime juridique qu’implique la notion d’ordre public, plus précisément l’obligation d’user des pouvoirs de police.

B- L’obligation de prise en charge des risques sur le fondement du

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