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Évolution de la notion de dommage

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 46-49)

§ 2 Le caractère potentiellement dommageable des risques des entreprises

A- Évolution de la notion de dommage

34. Le terme de dommage, signifiant « dégât causé à quelqu’un ou à quelque chose », a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition contemporaine de risques potentiellement catastrophiques. Il ne désigne dorénavant plus la même réalité.

Le démontrer suppose d’apporter une précision terminologique. En effet, le terme de dommage ne permet plus à lui seul de désigner l’ensemble des conséquences préjudiciables d’un risque. Il convient alors d’opérer quelques distinctions.

Le dommage n’est plus uniquement ce qui est observable, visible, déterminable lorsque cessent les troubles causés par la réalisation de risques. Si ces derniers ont toujours entraîné divers effets induits qu’il n’était pas possible de déterminer immédiatement, il était en revanche possible, dans un délai relativement court, de les évaluer par la suite. Il en allait ainsi des conséquences des intempéries sur les récoltes à venir. Or, à côté de ces dommages observables, sont apparus des dommages invisibles, indéterminables, incalculables, latents, diffus, provoqués par l’apparition de nouveaux risques, liés à l’industrialisation, aux progrès technologiques et scientifiques.

Il convient donc, afin d’avoir une vision précise de ce que recouvre la notion de dommage, de distinguer celui qui est immédiatement observable, que l’on constate dès que s’achève la réalisation d’un risque, et une multitude d’autres qui ont en commun d’être difficilement appréciables92.

92 « de plus en plus de gens savent que les sources de la richesse sont « souillées par le nombre

croissant de menaces dues aux effets induits », in U. BECK, préc., p.38. Plus loin, l’auteur poursuit : « D’un côté il existe des menaces et des destructions qui sont déjà bien réelles (…). D’un autre côté, la véritable force sociale de l’argument du risque réside justement dans les dangers que l’on projette dans l’avenir. »

35. Jusqu’alors cantonnés au patrimoine d’une personne, ou d’un groupe de personnes (la famille, l’entreprise, la collectivité territoriale), dans une zone géographique limitée, les dommages que portent en eux certains risques sont aujourd’hui globaux et transnationaux93, dépassant largement le cadre des frontières.

L’exemple des pollutions qui ne connaissent pas les délimitations artificielles des États l’illustre bien : la pollution massive ou le réchauffement important d’un cours d’eau, d’une mer ou d’un océan, emporte-t-elle ainsi des dommages à l’échelle planétaire. Il en va de même de la disparition des forêts94. L’étendue d’un dommage ne se limite donc

plus uniquement au lieu dans lequel il s’est produit, il ne touche plus uniquement les personnes et les patrimoines alentours.

L’intensité des dommages augmente corrélativement. Ils deviennent financièrement démesurés en raison de la concentration des populations et des richesses dans des zones à risque, ils ne sont dès lors plus totalement réparables. Ceci pose alors un problème d’acceptabilité des risques dans la mesure où l’opinion est encore largement répandue, selon laquelle un risque est acceptable s’il est indemnisable95. S’ils ne sont en outre pas évaluables en argent, les dommages ne seront

plus susceptibles d’être réparés par l’octroi de dommages-intérêts : les dommages causés à l’environnement en sont un exemple.

Ils deviennent enfin irréparables, irréversibles. Il n’est parfois plus possible de reconstituer les ressources naturelles endommagées par une catastrophe industrielle, la destruction d’espèces animales ou végétales est en outre irrémédiable.

93CH. NOIVILLE,Du bon gouvernement des risques, P.U.F., les voies du droit, Paris, 2003, p.4.

94 « ils (les risques liés à la modernité) sont caractérisés par une tendance immanente à la

globalisation. La production industrielle s’accompagne d’un universalisme des menaces indépendant de leur lieu d’origine (…) », in U. BECK,préc., p66.

36. Le développement des techniques, des technologies, des recherches scientifiques, tout en accroissant le sentiment d’insécurité face à l’imprévisibilité de leurs conséquences, ont également produit des dommages nouveaux, dont la diversité n’empêche pas d’en déterminer certains caractères.

Ils sont tout d’abord de moins en moins visibles96, ils se diffusent sans que l’on

puisse sensiblement les repérer dans les produits et les ressources naturelles. Ils sont microscopiques, parfois indétectables. Nombre de dommages sanitaires sont ainsi subis sans que l’on en ait conscience : prions, amiante, plomb, ondes hertziennes, radioactivité, etc. Ces dommages diffus interagissent parfois entre eux sans que l’on soit capable d’en déterminer les conséquences. Ils s’accumulent, sans que le temps ne réduise, à une échelle raisonnable, leurs effets.

De multiples risques entraînent ensuite des effets induits latents. Ils ne se manifestent pas immédiatement, mais après l’écoulement d’une certaine période non déterminable. On ne peut dès lors pas en connaître la nature précise, les victimes probables, l’étendue ni l’intensité ; ils sont donc inquantifiables : effets du réchauffement planétaire, de la déforestation, de la disparition des ressources pétrolières, etc.

Ces conséquences dommageables ont enfin des répercussions sociales et politiques importantes. La société civile ayant pris conscience de la réalité de ces nouveaux risques, exige un renouvellement des rapports qu’elle entretient avec le monde politique dont elle fustige les erreurs, les lenteurs et parfois même les mensonges97, mais également avec le monde scientifique et celui des experts que les

controverses répétées ont conduit à dévaloriser. Elle exige alors de pouvoir s’introduire dans le processus de décision de gestion des risques en amont comme en aval98, y

96 « Les risques qui sont actuellement au centre des préoccupations sont de plus en plus

fréquemment des risques qui ne sont ni visibles ni tangibles pour les personnes qui y sont exposées, mais en ont pour leur descendance (…) », in U. BECK,préc., p.49.

97 O. GODARD, C. HENRY, P. LAGADEC, E. MICHEL-KERJAN, Traité des nouveaux risques, Gallimard,

Folio, Paris, 2002, p.199 et s.

98 « On voit très nettement ici l’enjeu véritable du débat public sur la définition des risques : il ne

compris dans les domaines les plus techniques99. Cette intrusion, toute légitime qu’elle

soit, est susceptible d’engendrer à son tour des conséquences dommageables importantes : effondrement de certains marchés, dévaluation du capital, etc.,

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