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Les motifs

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 113-116)

§ 1 La subsidiarité de l’action publique

A- Les motifs

104. Les risques créés par les pouvoirs publics se distinguent des autres non par les préjudices qui sont susceptibles d’en résulter, mais par la manière dont ils sont causés. Or cette différence d’origine entraîne des contraintes distinctes de celles qui ont

été détaillées plus haut. En effet, la subsidiarité qui s’impose dans l’hypothèse où les risques sont indépendants de l’action publique ne trouve plus à s’appliquer dans l’hypothèse inverse. Dès lors, lorsqu’ils font peser un risque sur une entreprise, les pouvoirs publics, pour des raisons d’équité et conformément à une évolution contemporaine, sont tenus de les prendre en charge complètement.

Il est en premier lieu équitable que les pouvoirs publics prennent en charge les risques qu’ils ont provoqués sans attendre l’expression d’un besoin et la manifestation d’une carence. On peut en effet considérer que si c’est le respect de l’autonomie et de la liberté des opérateurs qui justifie le devoir de non-intervention issu de la subsidiarité, c’est justement parce qu’elle y porte atteinte que l’administration se doit d’intervenir pour rétablir complètement la situation. En créant un risque, les pouvoirs publics déjouent les prévisions des opérateurs, portant ainsi atteinte à la liberté qu’ils sont censés préserver. Sa protection n’est plus alors une limite, mais une cause de la prise en charge des risques par les pouvoirs publics. Les contraintes liées à la notion de subsidiarité n’ont donc plus lieu de jouer.

On peut par ailleurs considérer que lorsque, par des agissements imprévisibles et potentiellement dommageables, les pouvoirs publics sont à l’origine de risques qui excèdent les aléas supportés par les entrepreneurs, ils rompent au détriment de certains l’égalité qui doit régner entre eux. Ils doivent de ce fait rétablir complètement et entièrement cette égalité sans laquelle les entreprises ne peuvent véritablement exploiter leur activité.

105. En second lieu, l’observation de l’évolution que connaît le droit de la responsabilité permet d’expliquer les raisons pour lesquelles la prise en charge des risques créés par les pouvoirs publics n’est pas subsidiaire. On constate en effet l’existence d’une tendance suivant laquelle tout dommage causé par l’administration

tend à être réparé271. Cette évolution en droit administratif est marquée d’une part par la

diminution sensible des hypothèses de responsabilité pour faute lourde272 et l’apparition

de cas de plus en plus nombreux de responsabilité sans faute qui n’exigent pour ouvrir droit à réparation que la constatation d’un lien de causalité273. Elle est marquée d’autre

part par l’extension du nombre de préjudices indemnisables274.

Cette tendance est accueillie et exploitée par l’opinion publique pour qui il paraît anormal et inéquitable que l’administration cause un dommage à un tiers sans en assumer les conséquences275. Dans un contexte plus général où il apparaît intolérable de

subir des dommages quels qu’ils soient et où on tend à exiger des pouvoirs publics qu’ils les prennent en charge, même lorsqu’ils ne les ont pas causés276, il semble alors

évident que tout dommage subi soit pris en charge par l’administration qui en est la cause.

271 Cette évolution se manifeste également en matière de responsabilité civile : le Code civil aménage

la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle en la faisant reposer sur la faute. L’article 1382 dispose-t-il ainsi que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Par la suite le droit de la responsabilité civile a vu apparaître d’autres fondements tels le risque ou la garantie dans le but d’assurer la réparation de dommages à l’origine desquels on ne pouvait déterminer une faute – notamment du fait de l’origine industrielle du dommage. Dans le même sens, on constate que le besoin de réparation prime sur l’exigence d’une faute lorsque l’on observe le développement des mécanismes d’indemnisation collectifs. Voir, F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit Civil Les Obligations, Précis Dalloz, 8e

édition, 2002, p.655 et s. De même, montrant la tendance actuelle à recourir à l’Etat pour couvrir l’ensemble des risques : R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil, 2e édition,

Ch. XII.

272MM RIVERO et WALINE notent à cet égard : « On se rapproche donc d’une situation dans laquelle

tout fait quelconque de l’Administration causant un dommage à l’administré pourrait engager la responsabilité de la puissance publique. » in Droit Administratif, Précis Dalloz, 18e édition, 2000. 273 Outre les conditions liées au préjudice dont on cherche à obtenir réparation. Voir infra, Seconde

partie, Titre second, Seconde chapitre, n° 529 et 540.

274 Voir en ce sens, CH. CORMIER, Le préjudice en droit administratif français, étude sur la responsabilité extra-

contractuelle des personnes publiques, Thèse, L.G.D.J., 2002 p.143 et s.

275 Voir en ce sens, D. TRUCHET, « Tout dommage oblige la personne publique à laquelle il est

imputable, à le réparer » A propos et autour de la responsabilité hospitalière ; R.D.S.S. 1993, n°1, janvier-mars, p.1. Dans le même sens, P-L. FRIER note que « Dans le cadre d’une conception de plus en plus socialisée des risques, certains de ceux-ci apparaissent comme devant en toutes circonstances être réparés bien que leur auteur ne soit pas « coupable », inPrécis de droit administratif, Montchrestien, Domat droit public, 2001.

Ceci justifie alors que les pouvoirs publics prennent en charge les risques qu’ils ont causé sans rechercher l’existence d’une carence ou insuffisance des opérateurs, sans limiter leur intervention ni chercher à laisser à leur charge une part des conséquences du hasard.

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