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Risques des entreprises et faute de l’administration

Dans le document L'ÉTAT ET LES RISQUES DES ENTREPRISES (Page 144-153)

§ 1 La prise en charge des risques des entreprises sur le fondement de la responsabilité de la puissance publique

A- Risques des entreprises et faute de l’administration

134. La responsabilité pour faute implique que l’administration est tenue d’indemniser les dommages causés à des tiers par un agissement fautif. Ainsi, avancer que les pouvoirs publics assument sur ce fondement les risques qu’ils font courir suppose-t-il d’établir et de préciser les liens existant entre faute et risque.

Une faute commise par l’administration peut, du fait de son imprévisibilité et si elle est potentiellement dommageable, constituer un risque pour une entreprise. Pour autant, tout acte ou agissement imprévisible et dommageable de l’administration ne

330 La nature des entités entrant dans cette catégorie a déjà été précisée précédemment. Voir supra,

constitue pas nécessairement une faute, celle-ci supposant la violation d’une obligation prédéterminée. Il est alors possible de distinguer deux hypothèses.

La première est constituée des situations dans lesquelles le comportement des pouvoirs publics est contraire à une obligation préexistante et constitue dès lors une faute qui, étant imprévisible, peut constituer pour elles un risque (1°). La seconde est constituée des situations, les moins nombreuses, dans lesquelles l’obligation préexistante à laquelle a manqué l’administration est une obligation de prévisibilité. C’est alors parce que le comportement dommageable d’une personne publique constitue un risque qu’il est qualifié de faute (2°).

1° Les fautes constitutives de risques pour les entreprises

135. L’engagement de la responsabilité pour faute de la puissance publique exige de façon générale que soient remplies certaines conditions cumulatives. La matière du risque n’y échappe pas. Ainsi faut-il dans un premier temps que l’administration ait commis une faute qui, dans un deuxième temps, soit la cause directe d’un dommage indemnisable subi par une entreprise331.

La faute commise par l’administration est susceptible, du fait de son imprévisibilité pour les entreprises, de constituer pour elles un risque332. C’est alors le

caractère fautif de l’agissement considéré - apprécié comme tel par le juge - qui fait de celui-ci un risque et qui permet d’imposer aux pouvoirs publics l’indemnisation des préjudices subis.

331 Voir infra, Seconde partie, Titre second, Second Chapitre, n°494 et s., pour une étude des

conditions que doit remplir le préjudice pour être indemnisé.

136. La faute se définit, selon la désormais célèbre formule de Marcel Planiol, comme étant « un manquement à une obligation préexistante »333. De sorte que

l’administration commet une faute lorsqu’elle se conduit contrairement à ce qu’elle aurait dû.

L’obligation transgressée peut alors être protéiforme334. Sans chercher à être

exhaustif, on retiendra par exemple que sont constitutifs d’une faute les manquements à des obligations d’agir telles que les multiples et diverses obligations de prévention ou de sécurité qui s’imposent aux pouvoirs publics335. Le juge considérera alors que le

préjudice subi par une entreprise, s’il résulte initialement de la réalisation d’un risque extérieur, a cependant été causé pour partie par le manquement de l’administration qui était tenue de le prévenir. L’aggravation du préjudice lui est alors imputée336.

Constitueront de la même manière des fautes, les manquements aux obligations d’agir promptement. Le risque exigeant souvent une action rapide des pouvoirs publics, il constitue un terreau particulièrement riche pour de tels manquements. L’administration est alors tenue de prendre les mesures exigées par les circonstances dans les meilleurs délais. Son retard pourra être fautif, soit qu’un délai a été fixé dans le texte qui impose l’obligation, soit qu’il est estimé par le juge au regard de situations

333M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, T.II, 2e édition, préc.

334 Elles peuvent résulter d’un manquement à une obligation contractuelle ou extra-contractuelle.

Par exemple : C.A.A. de Marseille, 3e chambre, 7 décembre 1999, Société Var Expansion, B.J.D.C.P.,

n°11 p.245, concl. J.-C. DUCHON-DORIS, note C. MAUGUE, p. 251, préc : l’autorité délégante commet une faute en prenant des mesures empêchant le délégataire de poursuivre l’activité qui lui avait été confiée ; C.E., 14 avril 1948, Min. des armées c/ Sté générale d’entreprise, p.159 : une modification unilatérale trop importante de la part de l’administration contractante est constitutive d’une faute.

335 Voir infra, ce chapitre, n°74 et s.

336 En ce sens : C.E., 3 mars 2003, G.I.E. la Réunion aérienne, préc. : la responsabilité pour faute de

l’État est engagée du fait d’un manquement à sa mission de police, en l’espèce la prévention d’actes de terrorisme ayant entraîné des dommages pour la compagnie aérienne. Dans le même sens, C.A.A. de Paris, 22 janvier 2003, M. Vigouroux c/ Ministre de l’Intérieur : responsabilité des autorités de police du fait d’une défaillance à protéger une officine contre des actes de violence ; C.E., 22 juin 1987, Ville de Rennes, c/ Cie rennaise de linoléum et du caoutchouc, p.223, A.J.D.A. 1988, p.65, note

comparables337. La négligence sera également sanctionnée si l’action des pouvoirs

publics est jugée insuffisante ou inefficace338.

Pourront enfin être qualifiées de faute les carences339, inerties340 ou refus

d’agir341. S’y ajouteront les manquements à l’obligation d’agir légalement342, ou de ne pas

agir.

137. L’obligation imposée à l’administration sera plus ou moins difficile à respecter selon les circonstances. Les situations de crise, caractéristiques de la réalisation

337 Par exemple : T.A. de Nantes, 18 février 1997, Association des Marais des Olonnes, c/ Min. de

l’environnement, D. 1998, J., p.403 : la responsabilité de la puissance publique est engagée du fait de la carence de ses services à prendre les mesures nécessaires à la cessation les dommages subis par des entreprises piscicoles dans un délai raisonnable. Dans le même sens : C.A.A. de Nancy, 10 avril 2003, Sté le Nid, A.J.D.A. 2003, p. 1619 : responsabilité de l’État pour retard dans l’élaboration d’un plan de prévention des risques. A contrario, CE, 22 juin 1963, Compagnie de raffinage Shell-Berre, p.387 ; C.A.A. de Paris, 13 juillet 1999, Groupe Dentressangle, T. p.537, préc. ; C.A.A. Nancy, 12 décembre 1991, Rizki, T. dec. p.6863, préc. Le juge vérifiera en premier lieu l’existence d’une obligation de faire avant de constater le retard avec lequel l’administration s’y est conformée. Voir pour une analyse du retard de l’administration : G. MARTIN, « La responsabilité de la puissance publique pour retard », L.P.A., 1er septembre 1999, n°174 p.4.

338 Par exemple, pour une perte commerciale en partie imputable à la négligence de l’administration

(C.E., 9 février 1951, Groupements des mareyeurs de Brest, p.85.), à des erreurs de renseignements (C.E. 1er juin 1949, Sieur Mialet, p.257 ; C.E., 21 décembre 1951, Sieur, Feiz Karam, p.612 ; C.E., 25 juin

1954, Sieur Otto, p.380.)

339 Voir notamment, P. MONTANE de la ROQUE, L’inertie des pouvoirs publics, Thèse, Dalloz, 1950 ;

M.N. POLUBOCSKO, « L’inaction administrative », Thèse Paris II.

340 Par exemple, C.E., 15 juin 1987, Société navale des Chargeurs Delmas-Vieljeux, p.216, préc.

341 Il peut par exemple s’agir du refus de prendre des mesures d’application d’une loi : C.E., 6 juillet

1934, Sté Van Outryve et Cie, p. 789.

342 Par exemple, C.A.A. de Nantes, 8 novembre 1995, Commune de Faye d’Anjou, A.J.D.A. 1996,

p.331 : responsabilité du fait d’un retrait illégal d’une garantie d’emprunt accordée à une entreprise ; C.A.A. de Douai, 21 mai 2002, Sté Jean Behotas, A.J.D.A. 2003, p.232 : responsabilité d’un pouvoir adjudicateur du fait de l’éviction illégale d’un candidat ; C.E., 12 mars 1999, Entreprise Porte, T. p.1016, préc. : responsabilité du fait d’un appel d’offre irrégulier ; C.A.A. de Bordeaux, 27 décembre 1990, Valiente, T. dec., p.6855 : violation de la loi sur la propriété artistique ; C.E., 26 novembre 1975, Dugenest, R.J.E. 1977.1, p.58 : délivrance irrégulière d’une autorisation d’ouverture d’une installation classée ; C.A.A. de Lyon, 6 décembre 2001, M. X., Me Gladel, Ministre de l’agriculture, A.J.D.A. 2003, p. 1831 : abattage illégal d’animaux d’élevage par l’autorité de police sanitaire. Peuvent également être sanctionnées les violations du droit de la concurrence par des décisions administratives. Celles-ci ne sauraient avoir pour effet de permettre une violation du droit de la concurrence par une entreprise. Pour une application récente de la jurisprudence initiée par l’arrêt Million et Marais le 3 novembre 1997 : C.E., 30 juillet 2003, S.A. Caen Distribution, A.J.D.A. 2003, p.2036.

d’un risque, auront donc une influence certaine sur l’exigence par le juge d’une faute simple ou d’une faute lourde afin d’engager la responsabilité. Ainsi, pour reprendre l’exemple des obligations de prévention, le juge administratif exigera-t-il une faute simple en matière de risques naturels, hormis les situations d’urgence ou de difficultés particulières343.

De la même manière, l’engagement de la responsabilité pour carence des autorités de police administrative exigera-t-il, en fonction des circonstances, soit une faute lourde sur le fondement de la jurisprudence Doublet344 soit une faute simple345.

138. En tant que manquement à une obligation préexistante, la faute de l’administration constitue un risque s’il est susceptible d’engendrer des dommages pour des entreprises. Les pouvoirs publics indemniseront alors les préjudices subis sur le fondement de la responsabilité de la puissance publique.

Il existe cependant quelques cas où un comportement est qualifié de faute en raison de son caractère imprévisible pour l’entreprise qui en subit les effets dommageables. C’est parce qu’il est un risque qu’il est qualifié de faute.

343 Si, en principe, la responsabilité des services de police n’est engagée, à raison de leurs activités

juridiques, qu’en cas de faute simple - la faute lourde étant exigée pour les opérations matérielles -, certaines circonstances entraînent l’exigence d’une faute lourde : en cas d’urgence (C.E., 21 juin 1972, Foucault, p.461) ou lorsque l’action de l’administration s’exerce dans des conditions particulièrement difficiles (C.E., Ass., 20 octobre 1972, Marabout, A.J.D.A. 1972, p.581, J.C.P. 1972 II 17373, note ODENT). Par exemple, les pouvoirs reconnus au maire en cas de danger grave ou

imminent par l’article L.2212-4 du C.G.C.T. n’engagent sa responsabilité que pour faute lourde.

344 Pour une application de la jurisprudence Doublet : C.A.A. de Marseille, 5 juillet 2004, Commune

d’Aix en Provence, J.C.P.A. 2004, n°1669, note J. MOREAU. Le juge exige en l’espèce une faute lourde pour engager la responsabilité pour carence de l’autorité de police.

345 C.E., 29 novembre 1963, Sieur Escarot, p.596 : responsabilité pour faute simple en raison de la

carence de l’autorité de police à prévenir un trouble sanitaire à proximité d’un marché. Dans le même sens, concernant la police des installations classées : C.E., 22 mars 1978, Brelivet, R.J.E. 1980.1, p.45. Depuis l’arrêt Commune de Moissy-Cramayel rendu le 28 novembre 2003, A.J.D.A. 2004, p.988, note C. DEFFIGIER,B.J.C.L. 2004, p.60, concl. G.le CHATELIER et p.62 obs. J.-C. BONICHOT,

J.C.P.A. 2005, 1053, note J. MOREAU, une partie de la doctrine considère que la responsabilité pour carence des autorités de police n’exige plus, pour être engagée, qu’une faute simple. Voir en ce sens : F. MELLERAY, « L’obligation de prendre des mesures de police administrative initiales », A.J.D.A. 2005, p.71.

2° Les risques constitutifs de fautes

139. Si ces hypothèses sont assez peu nombreuses en raison du faible nombre d’obligations de prévisibilité imposées à l’administration, elles méritent cependant que l’on s’y intéresse pour plusieurs raisons. On ne saurait, d’une part, les exclure du champ de l’étude au risque de présenter de façon incomplète les cas dans lesquels les pouvoirs publics prennent en charge des risques sur le fondement de leur responsabilité. D’autre part, ces hypothèses permettent de montrer que si toute faute commise par l’administration est susceptible de constituer un risque à la condition qu’elle soit potentiellement dommageable pour une entreprise, certains agissements imprévisibles des pouvoirs publics peuvent, du fait de cette imprévisibilité, constituer eux aussi des fautes.

Le droit positif français ne reconnaît pas d’obligation générale de prévisibilité opposable à l’action des pouvoirs publics. On peut donc affirmer que tout agissement protection de la sécurité juridique346 des administrés semble imposer aux pouvoirs

publics d’être prévisibles dans certaines circonstances. Le manquement à de telles obligations fait donc du risque créé par l’administration une faute.

En effet, les opérateurs économiques fondent leurs prévisions sur des éléments qu’ils jugent stables et non susceptibles d’être arbitrairement bouleversés. Parmi ceux-ci se trouve le comportement de l’administration à leur égard : ils fixent leurs objectifs en présumant prévisibles les agissements des pouvoirs publics. Ces derniers doivent donc garantir aux entreprises, et plus largement aux administrés, que leur situation ne sera pas modifiée de façon imprévisible.

346 Celle-ci, rappelons-le, impose la protection des administrés contre tout bouleversement arbitraire

de leur situation juridique qui, en ce qui concerne notre étude, constituerait un risque économique. Les mesures prises par les pouvoirs publics doivent être l’application de normes connues à l’avance, donc prévisibles. Pour une étude de la sécurité juridique en matière économique, voir P. DELVOLVE, Droit public de l’Économie, Précis Dalloz, 1998, p.201et s.

Ainsi en est-il des règles qui imposent qu’une modification de réglementation347

ne puisse avoir, en principe348, d’effets rétroactifs349. Il en va de même des règles qui

régissent le retrait et l’abrogation des actes administratifs350 ou de celles qui imposent

qu’une réglementation ne viole pas le principe de légalité des délits et des peines351.

347 Nul ne peut s’opposer à la modification d’une réglementation en vertu de la règle selon laquelle

nul n’a de droit acquis au maintien d’une réglementation : C.E., 25 juin 1954, Syndicat national de la Meunerie à seigle, p.379, D. 1955.49, concl. J. DONNEDIEU de VABRES.

348 Le législateur peut autoriser, sauf en matière répressive, l’autorité administrative à prendre des

mesures rétroactives. La jurisprudence a également reconnu la possibilité de prendre des mesures rétroactives lorsqu’est en jeu l’unité des campagnes de production : C.E., Ass., 8 juin 1979, Confédération générale des planteurs de betteraves, p.269, D. 1979.IR.382, obs. P.D.

349 Il s’agit d’un principe général du droit applicable même sans texte en vertu duquel un acte

administratif ne peut s’appliquer à une situation constituée antérieurement à son édiction : C.E., Ass. 25 juin 1948, Sté du journal l’Aurore, p.289, S.1949.3.69, concl. LETOURNEUR, G.A.J.A. n°69. Dans le même sens, pour une augmentation rétroactive de prix : C.E., Ass., 14 mai 1965, Ass. Départementale du Rhône pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, p.279. Voir notamment,

P. DELVOLVE, « Le principe de non-rétroactivité dans la jurisprudence économique du Conseil d’Etat », Mélanges WALINE, 1974, T.2, p.355. L’auteur y distingue la non-rétroactivité au sens strict, et l’application immédiate d’une mesure économique à des situations déjà constituées.

350 En effet, des règles de droit administratif imposent un certain nombre d’obligations de forme et

de procédure afin que la modification, l’abrogation et le retrait des actes administratifs ne soient pas imprévisibles pour les administrés. Par exemple, en vertu de la règle du parallélisme des procédures et sauf disposition textuelle contraire, la procédure pour modifier ou abroger un acte administratif doit être la même que celle qui a été suivie pour son adoption. De même, le droit administratif empêche tout retrait arbitraire des actes administratifs individuels : s’ils sont légaux et créateurs de droits, ils ne peuvent être retirés (Voir notamment : C.E., 13 novembre 1981, Commune de Houilles, p.410 ; A.J.D.A. 1982, p.79, chron. THIBERGHIEN et LASSERRE) ; s’ils sont illégaux, explicites et créateurs de droit, l’administration se voit imposer un délai de quatre mois au-delà duquel tout retrait est impossible (C.E., Ass., 26 octobre 2001, Ternon, R.F.D.A. 2002 p.77, concl. SÉNERS, note

P. DELVOLVÉ; A.J.D.A. 2001, p.1034, chron. GUYOMAR et COLLIN et 2002, p.738 note

Y. GAUDEMET ; D.A. 2001, n°253, note MICHALLET ; L.P.A. 2002, n°31, p.7, note CHALTIEL ; R.G.C.T. 2001 p.1183, note A. LAQUIEZE ; G.A.J.A. n°115). Ce délai est de deux mois si l’acte est

une décision individuelle implicite irrégulière selon l’article 23 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

351 Le principe de légalité des délits et des peines est un élément de sécurité juridique. Il permet aux

administrés d’agir tout en ayant connaissance de ce qui est constitutif ou non d’une infraction et donc sanctionné par l’autorité compétente. Le fait que seul le législateur soit compétent pour instaurer de nouveaux délits et de nouvelles peines est une garantie que l’administration n’instaurera pas arbitrairement de nouvelles sanctions imprévisibles pour les administrés. En effet, les opérateurs fixent leur stratégie et leurs objectifs en fonction de ce qu’a prohibé et sanctionné la loi en vigueur. Toute instauration de sanctions non autorisées par la loi constitue un bouleversement des fondements sur lesquels les entrepreneurs ont établi leurs prévisions. Ainsi en est-il, par exemple, de l’instauration par voie réglementaire d’un régime de sanctions administratives applicables à la profession de taxis contrairement au principe de légalité des délits et des peines : C.A.A. de Paris, 18 décembre 2002, Ministre de l’Intérieur c/ M. Benkerrou, A.J.D.A. 2003, p.1820.

Deux exemples sont particulièrement significatifs en matière économique. Le premier est celui des promesses faites aux entreprises et non tenues par l’administration352. Elles consistent en des engagements de faire ou de ne pas faire, très

souvent en l’échange d’une contrepartie apportée par l’entrepreneur. Le juge administratif accorde alors aux entreprises « trompées » par l’administration du fait de telles promesses non tenues ou de renseignements erronés353 des indemnités sur le

fondement de la responsabilité administrative pour faute. Les opérateurs sont en effet de bonne foi lorsqu’ils déterminent leurs objectifs en fonction d’événements dont l’administration leur a assuré la survenance. Revenir sur ces affirmations constitue pour eux un fait imprévisible. Le juge le qualifie pour cette raison de faute354 quasi

352 Voir J.-M. ANDRE, « La responsabilité de la puissance publique du fait des diverse formes

d’engagements non contractuels de l’administration. », A.J.D.A. 1976, p.20 ; O. FICKLER-DESPRES, « Les promesses de l’administration », J.C.P.I.104.

353 Par exemple : C.E., 1er juin 1949, Mialet, p. 257 : assurance prématurée donnée par un

fonctionnaire quant à la suppression d’une réglementation ; C.E., 21 décembre 1951, Feiz Karam, p. 612 : renseignements erronés relatifs à des licences d’importation ; C.E., 12 mars 1954, Weickert, p.153.

354 « Lorsqu’une collectivité publique adopte une attitude qui induit en erreur les particuliers sur son

comportement futur et les incite ainsi à des actes qui leur sont préjudiciables, elle engage à leur égard sa responsabilité. » concl. BRAIBANT sur C.E., 24 avril 1964, Sté des huileries de Chauny, préc.

délictuelle355 ou contractuelle356. Il constitue un risque pour les entreprises dans la

mesure où il est susceptible de leur être dommageable357.

Le second exemple est illustré par le principe de protection de la confiance légitime358 en vertu duquel l’administration est tenue de préserver la confiance légitime

qu’ont les citoyens dans un certain état du droit. En matière économique, il signifie que les pouvoirs publics ne doivent pas modifier de façon brusque ou sans mesures de transition une réglementation dont la durée prévue initialement n’est pas arrivée à expiration. Reconnu par le droit communautaire359, ce principe est appliqué par le juge

français dans la mesure où est en cause l’application de normes communautaires en France360.

355 Il vérifie cependant que l’entreprise a adopté une attitude prudente : C.E., 16 mai 1977, S.A. de

construction, préc. ; C.E. 13 mars 1985, S.A.R.L. Barlocher France Production, p.79, A.J.D.A. 1985, obs.

J. MOREAU.La faute de l’administration pourra résulter d’une promesse faite illégalement :C.E., 12

février 1990, Ministre de l’industrie et PTT c/ Clouet, p.970 : « en donnant des assurances qu’elle ne pouvait légalement respecter, l’administration a induit en erreur les requérants et commis une faute de service. » ; C.E., 11 mai 1956, Sté Lesieur Afrique, p.194 ; A.J.D.A. 1956, p.300, chron. FOURNIER

et BRAIBANT : renoncement illégal du Gouvernement à ses pouvoirs dans les relations entre la métropole et l’outre-mer ; C.E. 24 avril 1964, Sté des huileries de Chauny, préc. : l’administration ne doit promettre que dans le cadre de ses compétences, elle ne peut s’engager pour l’avenir sur le contenu d’une réglementation ou d’une autorisation : C.A.A. de Paris, 13 juin 1989, Commune de Bois d’Arcy, p.318. La faute pourra également résulter du fait de ne pas avoir tenu sa promesse : C.E., 9 avril 1975, Caisse de Crédit Agricole du Lot, p.223 ; C.E., 3 mars 1989, Sté Sogatour et Ministre délégué auprès du Ministre du redéploiement, p.1004 ; C.E., 16 mai 1977, S.A. de construction, p.958 ; C.E., 26 octobre 1973, S.C.I. Arcole, p.601, D.1974, p.447 ; C.E., 1er juin 1984, Sté Objectif Conseil, p.773 ; C.E.,

25 juin 1954, Otto, p.380.

356 C.E., 10 juillet 1970, Mendelson, p.495 : promesse non tenue envers un architecte retenu après

concours pour construire un marché couvert.

357 Les promesses doivent être distinguées des simples incitations qui n’engagent pas la

responsabilité de la puissance publique puisqu’elle ne constitue que des aléas de la vie des affaires : C.E., 29 juin 1962, Sté Manufacture des Machines du Haut-Rhin, préc. En ce sens, voir J.-M. ANDRE, « La responsabilité de la puissance publique du fait des diverses formes d’engagements non contractuels de l’administration », préc. : « il apparaît normal que l’interventionnisme de l’Etat lorsqu’il se manifeste par des incitations non assorties de garanties n’altère pas la règle du risque commercial qui en tout état de cause doit être supporté par l’intéressé. »

358 Voir, pour plus de précisions : S. CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droits

allemand, communautaire et français, préc.

359 Par exemple : C.J.C.E. 25 janvier 1979, Racke, aff. 98-78, Rec. p.69.

360 C.E., Ass.11 juillet 2001, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et autres, R.F.D.A.

Si ce principe a réalisé une timide mais retentissante percée en droit français361,

le Conseil d’État a depuis rejeté son application362 et continue d’appliquer le principe en

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