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Revaloriser la culture générale en développant l’aptitude à l’emploi Conception et mise en œuvre d’un dispositif innovant adressé à un

public de bas niveau de qualification en Lorraine Nord : Cadre de

référence et controverses

Mai 2005

Marc OLENINE, Virginie ROEMER et Agnès SAUTRE SCOP IRIS (Institut Régional d’Ingénierie Sociale)

1. Introduction

Il semblait que le retour tapageur1 de la croissance fût très loin d’avoir réduit les inégalités. Jamais, au contraire, les disparités de revenus n’avaient été aussi criantes. La nouvelle révolution technologique, qui accordait une prime aux détenteurs des nouveaux savoirs, avait provoqué une véritable explosion des inégalités. En dépit des pénuries de main-d’œuvre observées dans de nombreux secteurs, des pans entiers de la population demeuraient voués au chômage en raison de sa non-qualification ou à des emplois précaires, incomplets, qui assuraient des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. La garantie que constituait le SMIC pour les salariés avait été considérablement amputée par le développement du travail à temps partiel et du travail intérimaire qui a légitimé la diminution des revenus effectivement payés. C’est parmi les familles de ces travailleurs «partiels» ou intermittents qu’à partir du début de l’année 2000 se sont recrutés principalement les «travailleurs pauvres» que nous retrouvions très largement dans nos dispositifs.

Il y avait des signes très forts qui rappelaient quotidiennement qu’une partie encore importante des victimes de la crise restait sur le bord du chemin de la croissance retrouvée bien que nous fûmes entrés dans une période nouvelle où le chômage était moins menaçant. Beaucoup d’observateurs commençaient à avancer l’idée que nous étions face à un seuil irréductible d’individus, de familles ou de groupes « inadaptés » dont les univers seraient trop distincts de celui du travail.

1 Un article paru dans le « Républicain Lorrain » du 03.10.2000 annonce, comme une bonne nouvelle, la régression du chômage dans le bassin de Thionville (département de la Moselle). Depuis mars 1997, le nombre de demandeurs d’emploi a diminué de moitié, d’un quart depuis un an (8 228 en juillet 1999, 6 106 en juillet 2000). La population active dans le bassin se répartit en 85 000 salariés, 24 000 travailleurs indépendants et 6 106 demandeurs d’emploi. La baisse du nombre de demandeurs d’emploi touche en un an toutes les catégories, les moins de 26 ans (- 29%), les chômeurs de longue durée (-42%), le public féminin (-30 %) « Ce qui ne veut pas dire que les phénomènes d’exclusion régressent » ajoute le sous-préfet parlant d’un tableau en mi-teinte.

Sans pour autant adhérer à cette hypothèse par trop radicale, il nous fallut néanmoins constater que l’indispensable compromis entre les projets des individus et les opportunités du marché du travail était de plus en plus difficiles à réaliser : combien d’obstacles devions-nous surmonter ou contourner sur ce chemin souvent escarpé qui devait amener les protagonistes de nos actions de formation à changer les rapports qui les situaient l’un vis-à-vis de l’autre, l’un ou l’autre vis- à-vis de leurs propres énoncés et enfin, l’un et l’autre vis-à-vis du monde ?

Paradoxalement, chacun voyait augmenter ses chances d’accéder à l’information et au savoir. En même temps, ceux chez qui le taux d’échec scolaire était resté le plus fort, avaient été entraînés dans un sentiment d’incertitude face à la modification des compétences supposées nécessaires au travail.

Pour nous, l’éducation et la formation pouvaient apporter une réponse majeure : revaloriser la culture générale en développant l’aptitude à l’emploi.

Nous pensions que les combats pour l’emploi ne pouvaient pas se contenter d’une relation mécanique avec la baisse du chômage. Il fallait que de nombreuses personnes, jeunes ou adultes, bénéficiaires des dispositifs de lutte contre l’exclusion sociale puissent intégrer un parcours éducatif de construction de savoirs et de compétences en vue d’accéder à un emploi.

Nous voulions un dispositif qui avait comme objectif prioritaire l’insertion sociale et l’intégration par l‘emploi de personnes sans diplômes ni qualifications, issues de l’immigration ou non, et dont les « niveaux de connaissances générales» étaient supposés insuffisants pour aborder le marché du travail.

Pour atteindre cet objectif, les rapports des individus à la formation devaient être complètement repensés dans une approche plus flexible et plus ouverte.

Aussi avons-nous commencé à penser un dispositif articulé autour de deux démarches distinctes :

Un projet pédagogique visant à construire un véritable «environnement didactique facilitateur des apprentissages fondamentaux».

Un projet d’insertion professionnelle appuyé sur l’alternance dans le cadre d’un partenariat actif avec les entreprises favorisant une évaluation instantanée des qualifications de chacun au regard des exigences du marché du travail.

Notre action de formation intitulée « Revaloriser la culture générale en développant l’aptitude à l’emploi » (cf. encadré n° 1) avait pour ambition de s’inscrire résolument dans l’axe prioritaire d’intervention du FASILD (Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations) qui consiste à endiguer les processus de ségrégation et à sensibiliser l’ensemble de la société à la nécessité de rendre plus efficace la lutte contre les discriminations raciales.

Par notre volonté d’ouverture des actions de formation vers des partenaires éducatifs, nous nous inscrivions aussi dans l’axe prioritaire qui consiste à soutenir les trajectoires individuelles d’intégration.

2. Revaloriser la culture générale en

développant l’aptitude à l’emploi

Dans la démarche globale de formation, le premier volet du projet est orienté de manière volontariste vers le monde qui nous entoure. Systématiquement, une journée par semaine est dédiée aux objectifs d’accès à quelques formes de culture. Dans ce cadre, nous avons mis en place en partenariat avec le réseau des bibliothèques et médiathèques, d’intéressants ateliers :

Oralité et apprentissages linguistiques : où l’on travaille sur les fonctions cognitives des comptines, chansonnettes et contes transmis de génération en génération.

Correspondance et apprentissages

linguistiques : où est abordé le principe de pertinence dans la communication intersubjective (on écrit pour être lu, on lit pour décrypter le sens d’un message).

Ateliers d’écriture et apprentissages

linguistiques : où l’on peut se débarrasser de l’angoisse de la faute (on écrit par et pour faire plaisir).

Dans le même cadre, nous avons initié les ateliers « sciences, techniques et apprentissages fondamentaux », cherchant à susciter des apprentissages transverses et transférables à partir de projets mettant en lumière les connaissances scientifiques et les technologies mises en œuvre dans des situations de la vie de tous les jours ou en lien avec le travail. L’exploitation des mines de fer, le traitement de l’eau potable, l’électricité domestique, la presse sont autant de thèmes qui ont donné lieu à un travail collectif.

Le second volet de ce projet relatif à l’aptitude à l’emploi nous a conduit à développer une intéressante méthodologie d’évaluation formative en situation de travail. De nombreuses études ainsi que notre pratique quotidienne mettent en lumière la difficulté, voire l’impossibilité, pour les publics de faible niveau d’objectiver leurs apprentissages. Aussi avons-nous choisi des stratégies pédagogiques visant à accompagner chez les personnes la prise de conscience de leurs potentialités et de leurs aptitudes, favorisant un cheminement allant de « l’acquis par la pratique » à l’institutionnellement requis. Nous avons cherché à rapprocher la formation en centre de la formation en entreprise facilitant l’accès à une culture professionnelle indispensable pour aborder le marché du travail. « Au cours de ces dernières décennies, le modèle taylorien des entreprises tend à disparaître. Ce modèle, selon lequel chaque ouvrier devait effectuer une tâche prescrite en appliquant des normes d’exécution fixées une fois pour toutes, ne correspond plus aux besoins actuels. Les entreprises s’engagent aujourd’hui dans des « démarches qualité », où chacun à son poste doit, par exemple, diagnostiquer des dysfonctionnements, engager des actions correctives ou les communiquer aux services adéquats. L’une des conséquences de ces nouveaux modes d’organisation est que l’écrit est pour ainsi dire devenu un passage obligé »2.

C’est à partir de ce cadre généralisé à toutes nos actions de formation que, pour les personnes les moins formées et les moins qualifiées, nous mettons en place des stratégies de renforcement de la professionnalisation. Les situations professionnelles sont médiatisées à partir des écrits dans l’entreprise ; trois ateliers sont mis en place dans une démarche compréhensive :

Compréhension des signes et codes : on part

de la représentation de la consigne par le stagiaire pour la confronter, la compléter par des documents de l’entreprise.

Production de sens à partir des écrits dans l’entreprise : travaux d’écriture dont les inducteurs sont empruntés au monde du travail.

Utilisation cognitive des écrits : par des entrées inductives, déductives et mimétiques, on tente de cerner les logiques nécessaires à l’appropriation de ces documents.

3. Caractéristiques du dispositif et contraintes

retenues

Il y a un arrière-plan commun entre l’histoire du CEFOR et la voie des « savoirs d’action », des « savoirs de vie » suivie ici. Il s’agit d’une manière de prendre forme, de donner forme (de faire de la formation) qui conjugue deux postulats apparemment antagonistes : la formation peut être à la fois administrée selon des modes d’enseignement atypiques et pourtant certifiée par des canons communs.

La formation est interdisciplinaire : les apprentissages fondamentaux prennent forme dans des actes posés dans les interstices du projet. On calcule, on planifie, on prévoit, on organise, on communique, on classe, on dessine et on écrit pour évaluer.

La formation est pluridisciplinaire : les acteurs sont amenés à articuler leurs compétences dans un cycle actif producteur lui-même de compétences.

La formation est transdisciplinaire : le projet est ici passage de son auteur, qui en est aussi un des principaux acteurs, de et au travers (ex-per-entia) de la cité, du travail et de l’école. Il est ouvert sur de multiples modes de validation des acquis et des reconnaissances des individus : traditionnels quand ils garantissent l’appartenance du sujet à la communauté des citoyens, et novateurs quand ils autorisent l’exploration des voies nouvelles en rupture avec le cercle vicieux de l’exclusion.

Afin de favoriser l’objectivation des acquis expérientiels et/ou professionnels, en partenariat avec un atelier de communication, nous développons des stratégies de réappropriation des itinéraires de vie, de travail et de formation. Car « dans la lutte contre la misère, la précarité et l’exclusion, les savoirs théoriques sont survalorisés et parfois à l’origine d’un processus de domination et de ségrégation ; ils objectivent souvent du point de vue des normes dominantes de la société et ne suffisent pas à mobiliser les acteurs »3. C’est en cela que notre dispositif contribue à endiguer les processus de ségrégation et qu’il s’inscrit dans la lutte contre les discriminations raciales.

Les compétences linguistiques sont

associées à la formation progressive de capacités de décentration, de distanciation et de libre examen, préparatoires aux choix qu’il incombe à chacun d’effectuer, ce qui, finalement, constitue le processus de tout apprentissage. Nous pourrions ainsi jeter les bases de ce que d’ores et déjà nous nommons un référentiel citoyen, cherchant à garantir une éthique minimum dans la pratique quotidienne.

Il s’agit en effet d’une démarche volontariste pour la constitution d’une « culture commune » dans l’expérience elle-même (expérience de travail, de formation alternée, de vie).

Outre les objectifs associés aux référentiels professionnels, aux diplômes, aux prérequis pour entrer dans une formation, à quelques savoirs, savoir- faire ou savoir-être…

3 X. GODINOT « Savoirs libérateurs et savoirs oppressifs », Futuribles, n° 262. 4 Emmanuel Lévinas, Ethique et infini, Fayard, 1982, p 103 - 105.

Les compétences des formateurs sont articulées quant à elles autour de trois dimensions :

La formation professionnelle : on construit des situations pédagogiques, on évalue, on met en situation de travail, on transfère les acquis, on valide les acquis professionnels et généraux.

L’accompagnement : on aide, on soutient,

on se frotte à des exigences déontologiques radicales.

L’engagement : on aide à la construction d’un « référentiel citoyen » constitutif de compétences associées au choix éclairé.

4. Cadre théorique de référence : l’expérience

éthique

Dans le premier moment de l’expérience éthique, celui de l’apprentissage de la liberté, celui de l’enthousiasme du pouvoir-être, apparaît, non pas la culpabilité, mais la faillibilité, la conscience de l’inadéquation de soi à soi et, par conséquent, le désir comme première expression de la distance de soi à soi-même.

La liberté en première personne n’est qu’un point de départ. Il existe une parfaite circularité entre l’affirmation de soi et la reconnaissance de l’autre. Il n’est question d’éthique que lorsque l’action implique une relation à l’autre, quelle que soit cette relation, lorsque intervient une « liberté en seconde personne ». Le « je peux » personnel est absolument lié au « je peux » de l’autre. L’éthique a comme lieu propre l’interaction, c’est aussi le lieu du langage, c’est celui de l’apprentissage. Sans qu’il ait à le décider, la responsabilité vis-à-vis de l’autre incombe au petit d’homme : « le lien avec autrui ne se pose que comme responsabilité ». Plus encore, la reconnaissance n’implique pas la réciprocité : la responsabilité d’autrui incombe totalement au petit d’homme, la réciprocité c’est l’affaire de l’autre4. La reconnaissance d’autrui dans sa liberté n’est jamais acquise sinon sous des traits plus ou moins défigurés car, comme il existe un moment négatif dans l’inadéquation de soi à soi- même, il existe dans la relation à autrui deux autres moments négatifs : la découverte que la liberté de

Encadré n°1

Principales caractéristiques du dispositif

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