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Pour une logique de la reconnaissance mutuelle des droits en lieu et place d’une

Repenser la relation formation emploi dans l’Union européenne

2. Penser le lien entre formation et emploi dans une dynamique de cycle de vie : les

2.3. Pour une logique de la reconnaissance mutuelle des droits en lieu et place d’une

logique de réciprocité des devoirs

La politique d’emploi est actuellement insérée dans une logique qui a pour effet à la fois de contraindre les individus et les pouvoirs publics. En effet, l’aide et le soutien apportés par la collectivité aux personnes exclues du marché du travail (aide à l’insertion dans l’emploi) constituent, dans la plupart des pays de l’Union européenne, une obligation faite aux pouvoirs publics. Or, celle-ci n’est, depuis le milieu des années 90, plus envisageable sans qu’une certaine contrepartie soit demandée aux individus. Les chômeurs sont ainsi de plus en plus tenus d’exercer un travail pour continuer à percevoir les allocations que leur verse la collectivité. Il y a donc une réciprocité des devoirs à l’œuvre et, dès lors, toute mesure mise en place par les pouvoirs publics en faveur de l’insertion des plus démunis implique nécessairement une reconnaissance par cette catégorie des efforts consentis par la société. Or, passer à une formation sur le cycle de vie nécessite une réinterprétation de la réciprocité des devoirs, propre aux principes de l’activation. Si l’EFTLV constitue sans nul doute le moyen le plus approprié pour remettre en emploi les personnes les moins qualifiées, il se doit d’éviter le piège d’une formation obligatoire uniforme, imposée par les pouvoirs publics aux chômeurs. Notre société ne peut plus continuer à fonctionner sur ce principe : un changement de conception du lien droits-devoirs doit avoir lieu si l’on veut que l’EFTLV ait un contenu effectif et une réelle portée sur l’emploi. Ce passage d’une logique de réciprocité des devoirs à une logique nouvelle de reconnaissance mutuelle des droits conduit tout naturellement à faire en sorte que la formation soit considérée comme un droit individuel à part entière.

Un changement de conception du lien droits-devoirs devient nécessaire

La société actuelle impose des obligations aux individus. Dans le domaine de l’emploi, par exemple, un individu est contraint de travailler pour percevoir un salaire. De même, en matière de protection sociale, on assiste de plus en plus aujourd’hui à l’octroi d’une allocation en échange d’une obligation de travail et, par conséquent, à une remise au travail contrainte des chômeurs et des allocataires de minima sociaux. On passe ainsi d’une

logique d’assistance à une logique de réciprocité des devoirs (Morel, 2000). Ce passage d’une logique à l’autre se concrétise par l’affirmation de devoirs nouveaux imposés à l’individu en contrepartie des efforts fournis par la collectivité, ces efforts pouvant être considérés comme une obligation de la collectivité de fournir une aide minimale aux personnes en difficulté d’insertion. Si la nature et le degré de réciprocité varie d’un pays européen à l’autre (le Royaume-Uni fait figure d’archétype du modèle libéral imposant des obligations lourdes à l’individu et faibles à la collectivité, alors que les pays scandinaves représentent l’antithèse de ce modèle en défendant une conception de l’obligation qui pèse d’abord sur la société), celle-ci tend à évoluer de la même manière partout en Europe vers plus de devoirs et d’obligations de part et d’autre. Il apparaît aujourd’hui plus que nécessaire d’abandonner cette logique pour passer à une logique des droits fondés sur la reconnaissance par l’individu des efforts entrepris par les pouvoirs publics qui garantit, en contrepartie, le droit des individus à mener une existence digne (droit à un emploi et à un revenu décents). Si la contrepartie demeure – car elle est indispensable pour régler les comportements respectifs de l’individu et de la collectivité, sans quoi toute politique est inefficace – la réciprocité doit se transformer pour faire en sorte que les devoirs d’hier deviennent les droits d’aujourd’hui. Il convient dès lors de véhiculer l’idée nouvelle d’une reconnaissance mutuelle des droits, où l’obligation d’une partie n’est plus motivée par une obligation réciproque correspondante de l’autre partie, mais par un consentement mutuel de reconnaître le droit dont dispose chacune. Ainsi, l’individu ne serait plus obligé de travailler pour continuer à percevoir ses allocations et la collectivité ne verrait plus l’exercice d’un travail comme condition nécessaire à l’octroi de prestations sociales. Le passage à une logique des droits aboutirait au contraire à ce que chaque partie puisse utiliser le droit dont elle dispose sans que cela ait une incidence sur l’autre partie. Le droit afférent ne serait plus ainsi le pendant d’une obligation préalable, mais un droit défini hors de toute obligation. Ce cheminement intellectuel est difficile à opérer dans le contexte actuel et suggère une remise en cause complète des principes vers lesquels tendent les politiques d’emploi à l’œuvre de nos jours en Europe.

Reconnaître un droit individuel à la formation

Le droit à la formation apparaît comme une condition du développement économique et social d’un pays, puisque, comme le note Piketty, « dans le long terme, les politiques de formation sont

probablement beaucoup plus importantes que toutes les autres politiques : ce sont elles qui déterminent les capacités de la main d’œuvre à s’adapter aux révolutions technologiques, et, au-delà de l’impact évident sur le chômage, ce sont elles qui déterminent les conditions du développement économique et social du pays »17. Il faut donc que la formation soit

instituée comme un droit fondamental auquel tout individu doit pouvoir avoir accès, comme c’est le cas par exemple déjà avec le revenu minimum (droit au revenu). Ce droit à la formation suppose toutefois, pour être effectif, que deux conditions soient réunies : d’une part que tout le monde y ait effectivement accès, sans quoi la reproduction des inégalités sociales de départ se conjuguent avec les inégalités de formation ; ensuite, que la formation continue ne se substitue pas à la formation initiale, laquelle a un rôle fondamental dans l’acquisition des connaissances mobilisables au-delà du système éducatif. Ainsi, à l’impératif de garantir un égal accès de tous à une formation de base minimale de qualité s’ajoute celui de remettre la formation initiale au centre des politiques de formation.

Garantir un égal accès de tous à une formation de base minimale de qualité

La reconnaissance mutuelle des droits dont il était question ci-dessus n’est pas un principe nouveau, car il existe déjà par exemple au niveau du revenu minimum – même s’il ne fait explicitement référence à ce principe. Tous les pays de l’Union européenne (hormis la Grèce) ont en effet mis en place des mesures permettant de garantir un minimum de ressources aux personnes privées d’emploi. Dans cette démarche, il y a bien reconnaissance d’un droit : celui du droit au revenu. Il faudrait transposer cette logique dans le domaine de la formation professionnelle et admettre que tout individu a droit à une formation de base

minimale de qualité. Qu’entend-on toutefois par « de base », « minimale » et « de qualité » ? En fait, une formation de base, cela signifie tout simplement que cette formation constituerait le socle de départ de toute éventuelle formation ultérieure et que cette base servirait de première étape à la poursuite de formations de niveaux plus élevés. Minimale indique que cette formation de base serait définie par rapport à un certain nombre d’éléments de connaissances qu’il conviendrait de dispenser, que toute formation de base ne pourrait pas ne pas transmettre. Il s’agirait en fait du minimum auquel toute formation devrait prétendre, à savoir une formation qui fournisse à l’individu les connaissances de base nécessaires à la vie sociale (on peut par exemple penser à la nécessité de savoir lire, compter et écrire). Enfin, le critère de qualité est certainement le plus important ici. On pourrait en effet aussi bien se limiter à l’édiction d’une norme de formation reposant uniquement sur une formation de base minimale. On retomberait alors dans le piège de formations fourre-tout tel que risque d’y mener l’activation des politiques d’emploi, à savoir une formation dénuée de sens, dont le contenu ne serait défini qu’en référence à l’emploi offert pour cette formation. La qualité est en réalité le concept fondamental des politiques de formation à venir, celle-ci étant « désormais reconnue par tous les

gouvernements de l’OCDE comme une composante centrale de toute formation ultérieure »18. Il convient

donc de garantir un accès de tous les individus à une formation de base, notamment parce que « plus solide [elle] sera (la formation de base), plus

grandes seront les capacités d’initiative et d’évolution professionnelle »19. Pour garantir l’égalité de chacun

d’accéder à cette formation de base, deux conditions doivent être remplies : d’abord, que l’information sur la formation professionnelle soit plus abondante, car elle contribue à « réduire l’incertitude qui demeure

dans le lien entre formation et emploi »20 ; enfin,

que chacun dispose d’un droit individuel effectif à la formation, autrement dit que chaque individu puisse, à tout moment de sa vie, avoir la possibilité d’accéder à une formation, sans que ne lui soit opposée aucune contrainte, de quelque nature qu’elle soit. Si la première condition renvoie à un effort 17 T. Piketty, « Formation tout au long de la vie », Rapport du Conseil d’Analyse Economique, La Documentation française, Paris, 2000, p. 86.

18 A. Gauron, « Formation tout au long de la vie », Rapport du Conseil d’Analyse Economique, La Documentation française, Paris, 2000, p. 68.

d’intensification des campagnes de sensibilisation des pouvoirs publics européens à la formation professionnelle dans le cursus scolaire et sur l’importance de l’orientation professionnelle en cours d’études, la seconde quant à elle pose le problème de l’articulation des temps sociaux entre la part du temps consacrée à la formation et celle consacrée au travail et apparaît dès lors plus problématique à mettre en œuvre, surtout chez les individus déjà en emploi. Une solution consisterait en la création de comptes épargne-formation qui, inscrit comme un droit des salariés dans leur contrat de travail (quel que soit le type de contrat et le statut du salarié dans l’emploi), leur permettrait de bénéficier tout au long de la vie professionnelle d’actions de formation. On pourrait par exemple penser à un système dans lequel chaque année passée en emploi affecterait un certain nombre de crédits sur le compte épargne-formation et qu’au bout d’une quantité déterminée de crédits, le salarié pourrait ouvrir son droit à formation. Cela éviterait notamment l’inconvénient majeur auquel sont confrontés certains pays de l’Union européenne à l’heure actuelle, à savoir que les travailleurs les plus vieux et les salariés les moins qualifiés bénéficient le moins de la formation. Ce paradoxe serait résolu au moyen de ce compte épargne-formation puisqu’en étant automatiquement attribué à tout salarié, il ne ferait pas de distinction entre les plus et les moins qualifiés et, en accordant un nombre de crédits proportionnel au nombre d’années passées dans l’entreprise, assurerait la « remise à niveau » des travailleurs vieillissants.

Remettre la formation initiale au centre des politiques de formation

La tendance actuelle à proposer des formations dans le cadre de la politique d’emploi n’est pas une mauvaise chose en soi. Elle indique pourtant le reflet d’un échec relatif du système de formation initiale, incapable d’assurer une bonne insertion professionnelle des jeunes sortis du système éducatif. Partant du constat qu’établissent Möbus et Aventur qui font remarquer que « le phénomène généralisé

de poursuite d’études, (…), est actuellement amplifié par la volonté des familles de se prémunir contre le risque de chômage, compte tenu de la dégradation de l’emploi »21, on peut penser que la poursuite

prolongée de la formation initiale n’est plus en elle- même perçue comme la possibilité d’acquérir une qualification plus élevée, mais davantage comme un substitut au chômage. L’allongement de la durée des études fait donc état d’une volonté d’une grande partie des jeunes de se former, non plus seulement en vue d’obtenir un diplôme, mais aussi et surtout pour se protéger quelques années de plus du risque de chômage. D’autant qu’une formation initiale longue permet de décrocher un diplôme qui sert de révélateur des qualifications sur le marché du travail. Les jeunes l’ont d’ailleurs bien compris eux-mêmes, car « dans l’ensemble des pays, [ils] privilégient de

plus en plus la poursuite d’études dans les filières longues, générales ou professionnalisées »22. Si

la formation continue demeure un complément à la formation initiale (Boyer, 2000), il n’en reste pas moins que les efforts à faire en formation continue sont moins importants si la formation initiale est dès le départ élevée. Dès lors, il convient de reconnaître que la formation initiale joue un rôle prépondérant dans le devenir du « parcours » de formation d’un individu et donc dans son processus d’acquisition de compétences. Assurer une formation initiale élevée est un gage d’une insertion professionnelle ultérieure facilitée, cette orientation étant d’autant plus nécessaire que, comme l’indiquent Möbus et Aventur, « c’est (donc) l’école et non l’entreprise

qui apparaît dans la plupart des cas comme l’acteur essentiel de la formation professionnelle des jeunes »23. Les efforts de l’Union vont dans ces

sens dans la mesure où elle conçoit d’accroître la capacité d’insertion professionnelle des jeunes « en améliorant la formation initiale pour doter les

jeunes des qualifications nécessaires, en réduisant le nombre de jeunes qui quittent prématurément le système scolaire et à conclure des accords pour accroître les possibilités de formation »24. C’est dans

cette optique qu’il appartient aux pouvoirs publics et à l’Europe de remettre la formation initiale au centre 21 F. Aventur et M. Möbus, « Formation professionnelle initiale et continue en Europe : une synthèse comparative », in Formation tout au long de la vie, Rapport du Conseil d’Analyse Economique, La Documentation française, Paris, 2000, p. 124.

22 F. Aventur et M. Möbus, ibid. 23 F. Aventur et M. Möbus, ibid., p. 123.

24 Conseil de l’Union européenne, « Rapport conjoint sur l’emploi 2000 », Rapport du Comité de l’emploi et du marché du travail et du Comité de politique économique, Bruxelles, 2000, p. 40.

des politiques de formation. Mais pas n’importe quel type de formation initiale. Aujourd’hui, l’école a vocation à former directement à l’emploi. Autrement dit, l’avenir des politiques de formation initiale semble résider dans la formation en alternance, puisqu’ « adossée à une solide formation de base, [elle]

constitue un mode particulier et complémentaire de formation diplômante qui assure une bonne insertion professionnelle »25. Certains pays de l’Union

européenne ont compris, bien avant les autres, cette nécessité de « professionnaliser » le diplôme. Si l’apprentissage ne constitue le mode dominant de formation professionnelle qu’en Allemagne, en Autriche et au Danemark, la tendance générale est néanmoins au développement de l’alternance un peu partout en Europe. Peut-être parce que, partant du constat que « la plupart des pays où les jeunes

sont relativement moins frappés par le chômage sont également ceux qui accordent une place importante à la formation professionnelle »26, nombre de pays

européens ont délibérément choisi d’opter pour une professionnalisation plus poussée de leur système de formation initiale, notamment afin de « resserrer

les liens entre la formation et l’emploi »27.

Conclusion : La formation permanente, une

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