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Le paradoxe de l’individualisation : une logique entrepreneuriale basée sur une

La relation formation-emploi dans le cadre de la lutte contre les chômages : de l’individualisation de la formation à l’émergence

I. Le paradoxe de l’individualisation : une logique entrepreneuriale basée sur une

improbable évaluation de l’« employabilité »

des chômeurs

Les politiques de l’emploi, notamment européennes avec le programme Equal, ont axé leurs stratégies de l’emploi sur quatre piliers dont l’un est l’évaluation et l’amélioration de « l’employabilité » des chômeurs de longue durée et des jeunes. Il s’agit à cet effet d’une part, de prendre en compte les compétences acquises par les chômeurs et d’autre part, d’adapter 1 La logique de projet a pris également un essor significatif dans les dispositifs de lutte contre le chômage. Cf. à ce sujet G. Mauger (2001).

2 Cette recherche a été menée par Aurélie Clarenn en 2001dans le cadre d’un mémoire de maîtrise de sociologie sur le bassin d’emploi de Briey (Meurthe-et-Moselle).

ces compétences aux évolutions des technologies et de l’organisation du travail des entreprises. Pour le cas observé, cette évaluation débouche généralement sur une acception de l’« employabilité » dont la construction réfère directement à la norme entrepreneuriale.

Depuis maintenant plusieurs années, l’« employabilité » est généralement évaluée par les agents ANPE à partir d’entretiens avec les chômeurs de longue durée dans le cadre d’un Service Programmé 3. Pour objectiver ces entretiens, il existe une grille d’évaluation standard préétablie qui n’est généralement pas utilisée par les agents du fait, selon eux, de son inadéquation pour le public qu’ils rencontrent4. Ainsi, ces intermédiaires de l’emploi construisent leur propre grille d’entretien à partir des représentations qu’ils se forgent des chômeurs précarisés. Les critères d’évaluation sont établis à partir d’une grille de perception des causes d’une durée prolongée du chômage. Les causes sont généralement imputées au comportement du chômeur dans sa recherche d’emploi. Les entretiens sont pour l’essentiel ciblés sur des problèmes à caractère social, laissant de côté l’antériorité professionnelle des chômeurs. La disparition ou substitution progressive des facteurs exogènes expliquant la durée du chômage au profit de facteurs endogènes et personnels avait déjà été soulignée dans des recherches antérieures (Demazière 1992, Boulayoune 2001). Ainsi, être employable aux yeux des agents ANPE revient d’abord à répondre à deux « qualités » gages d’une insertion rapide : être autonome et être motivé dans sa recherche d’emploi.

3 Le Service Programmé signifie que le demandeur d’emploi est reçu sur convocation ou sur rendez-vous pour un entretien en bureau de manière à établir un meilleur contact avec lui qu’en Suivi Immédiat (SI) où le demandeur d’emploi est reçu au guichet généralement pour des informations sur les offres d’emploi.

4 Cette grille d’entretien comporte plusieurs catégories d’items telles que l’analyse de la situation personnelle du chômeur référant à des critères de santé, financiers et psychologiques (étendue de l’entourage du sans emploi, absence de soutien…). Les autres catégories d’items correspondent à l’évaluation de « l’avancement dans la recherche d’emploi », l’analyse du profil à travers la définition des « savoir-faire » et des « savoir être » et la validation des projets.

5 Cf. à ce sujet ANPE, Programme d’Action Personnalisée pour un Nouveau Départ, Juin 2001 « Le processus PAP/ND – Traitement de la demande ».

6 L’atelier correspond à un service ANPE qui est proposé aux chômeurs considérés comme autonomes et ayant moins de six mois de chômage. Plusieurs ateliers sont organisés. Ils ont pour but l’aide à la rédaction de CV par exemple ou encore l’aide au ciblage des offres d’emploi.

7 C’est le cas de la zone d’emploi de Briey où a été réalisée cette étude. Cette zone est caractérisée par un réseau de transports en commun quasiment inexistant. Nous avions constaté un discours analogue sur la mobilité lors d’une précédente enquête. Ce discours tenu par des agents ANPE d’une autre zone d’emploi lorraine enclavée, insistait fortement sur le manque de mobilité des La première de ces qualités apparaît explicitement dans le Programme d’Action Personnalisé (PAP)5 où, pendant les six premiers mois, le chômeur est considéré comme « autonome ». Il n’aura pas besoin de « suivi personnalisé ». Lors du premier entretien avec le chômeur, pendant le premier mois d’inscription à l’ANPE, « le conseiller convient, à l’issue de l’entretien avec le demandeur, de la structure en charge de son suivi ; celui-ci entreprend ses démarches en autonomie et en « Libre Accès » à certaines prestations de service, en particulier l’Atelier6. » L’ancienneté de chômage détermine ainsi les diverses mesures auxquelles les chômeurs peuvent avoir accès, puisque l’employabilité semblerait s’amoindrir à partir de six mois d’inscription à l’ANPE, lorsque le chômeur n’est plus considéré comme « autonome ». L’employabilité est ici codifiée dans une temporalité fixe ; elle permet de caractériser une « qualité » supposée du chômeur (avec prescription légère, voire inexistante) et inversement de faire apparaître les situations de « handicap ».

La seconde qualité, la motivation, est évaluée principalement à partir des techniques de recherche d’emploi et des moyens que se donnent les individus en terme de mobilité. L’importance accordée à la mobilité est essentielle et plus encore dans des zones d’emploi réputées enclavées7. La mobilité est également un élément de définition de l’employabilité comme le souligne un agent ANPE : « D’autres sont moins employables pour des problèmes de permis de conduire. Bon, c’est sûr que si les gens ne se donnent pas les moyens de se déplacer, d’investir au départ dans une voiture, ça n’ira jamais ».

Ainsi, les deux qualités conjuguées ou l’absence de ces deux qualités déterminent un diagnostic qui parfois est sans appel. En effet, nous avons pu observer que le manque d’autonomie pouvait souvent être associé à un manque de motivation : « Est employable quelqu’un qui en tout premier a envie de travailler. Dans ce cas, la personne trouvera du travail. Une personne qui manifestement n’a pas envie de travailler à mon sens, elle n’est pas employable. Le frein à main est vraiment trop serré », (un agent ANPE).

Ces deux « qualités » apparaissent ainsi comme les critères prédominants pour définir l’« employabilité » des chômeurs de longue durée. La prégnance de ces critères coïncide avec le développement d’un certain type d’individualisation dans le traitement du chômage, c’est-à-dire la multiplication de procédures centrées sur l’amélioration du comportement des chômeurs dans leur recherche d’emploi au détriment des mesures plutôt centrées sur l’amélioration des capacités productives des chômeurs.

Ces deux qualités que chaque chômeur est sommé de présenter, traduisent assez fidèlement la représentation que les agents ont du fonctionnement du marché du travail, donc des critères de recrutement des employeurs locaux. Ce qui semble recherché avant tout par les agents ANPE, c’est l’adéquation du comportement des chômeurs de longue durée aux normes d’« employabilité » érigées par ces employeurs. Cette adéquation se traduit dans le discours des agents ANPE en « preuve » de la volonté de retravailler : « Si les gens sont depuis deux ans au chômage, c’est qu’il y a une raison. S’ils n’ont pas changé de comportement en se disant « Ce coup-ci, je me décide à aller travailler, j’enlève ces barrières qui sont un frein à ma reprise d’emploi ! », eh bien, ils resteront encore au chômage longtemps... Les personnes qui sont en stage ou en formation, ce sont les plus employables et qui ont envie d’être employables », (un agent ANPE).

Le second moment de l’évaluation de l’« employabilité » ouvre sur l’orientation des chômeurs de longue durée dans les différents dispositifs d’insertion allant des mesures dites occupationnelles pour ceux considérés comme les moins « employables » à des mesures qualifiantes, reconnues sur le marché du travail pour les plus « employables ». Les actions centrées sur l’amélioration de l’« employabilité » des personnes les moins « employables » visent au (ré)apprentissage des normes et des valeurs propres à l’entreprise8. Des Evaluations en Milieu de Travail se sont d’ailleurs développées dans ce sens permettant à des employeurs d’évaluer eux-mêmes les chômeurs/ salariés potentiels sans signature d’un quelconque contrat de travail ou engagement d’embauche. Cette mesure apparaît d’ailleurs comme nécessaire dans la mise en relation entre les employeurs et les chômeurs, au risque d’une confusion dans le rôle attribué aux agents du service public pour l’emploi dans la mise en relation des chômeurs avec les entreprises : « Pour les employeurs, les chômeurs de longue durée, ce sont des fainéants. Certains employeurs nous disent qu’un tel, ça fait deux ans qu’il est au chômage. Ce n’est pas un bon signe, parce qu’il n’est pas motivé. Alors, on leur propose d’évaluer le futur candidat directement en entreprise, en mettant en place une évaluation en milieu de travail préalable à l’embauche », (un agent ANPE). Il s’avère cependant que ce type de mesure ne semble pas toujours répondre aux attentes des employeurs, comme le souligne l’un d’entre eux : « De temps en temps, on fait quelques actions d’insertion avec les Evaluations en Milieu de Travail. Ils nous envoient les gens quinze jours en entreprise mais ça n’a aucun débouché. C’est par geste de civisme qu’on fait ça ; parce que ça nous demande aussi un certain travail. Faut remplir des fiches d’évaluation, expliquer à la personne… C’est pas pour l’indemnisation de cinq euros qu’on a par jour », (un employeur).

8 Ceci a été également souligné par S. Ebersold (2001) : « En reliant « l’employabilité » à la proximité avec les entreprises et à l’aptitude des populations ciblées à s’entrevoir comme des entrepreneurs, les dispositifs d’insertion ont « naturalisé » les normes d’« employabilité » des milieux économiques ».

9 La notion de qualification prenait principalement son sens dans une organisation du travail fordo-taylorienne, insistant particulièrement sur les « savoir-faire » des individus souvent appris « sur le tas » sans réelle formation reconnue et souvent non transférables d’une entreprise à une autre. Plusieurs chômeurs de longue durée rencontrés témoignent de leur expérience à travers ce type d’organisation. « A l’usine ce que je faisais ? C’est bien simple, c’était un peu tout le temps pareil. Je fabriquais des sièges de voiture à la chaîne, je faisais le squelette, la partie métallique, je l’envoyais dans un robot soudeur. […] Y a pas de

II. L’employabilité vue du côté des entreprises :

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