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Cohérence de l’analyse et présence de logiques d’incohérence dans l’action

Prospective de la relation formation-emploi dans un territoire Richesse des outils, cohérence de l’analyse et incohérence dans l’action

3. Cohérence de l’analyse et présence de logiques d’incohérence dans l’action

Alors qu’une relative convergence des problèmes et des tendances fondamentales apparaît au stade de l’analyse, certains signes d’incohérence sont perceptibles lors des phases d’actions concrètes.

Conservons l’exemple de l’hôtellerie- restauration. L’ensemble des observations converge pour constater une fuite des jeunes du secteur de l’hôtellerie au bout de quelques années d’exercice dans la profession. Alors que la suite logique de l’analyse est de se questionner sur la manière de les retenir et sur les conditions de travail, la démarche proposée par la profession est plutôt de vouloir réduire le recrutement en cherchant à mieux choisir les jeunes afin de limiter l’évaporation. Naturellement, outre le fait que la mise en place d’une telle procédure est onéreuse et périlleuse, rien n’indique qu’elle soit couronnée de succès (personne ne sait détecter le degré de motivation d’un jeune, ni prédire s’il sera encore présent dans trois ans). La conséquence probable est sans doute de diminuer le flux d’entrants dans la profession et, le taux d’évaporation restant ce qu’il est, d’engendrer plutôt une pénurie de main-d’œuvre.

Deux axes de réflexion offrent des éléments de compréhension à la manifestation de cette divergence de l’action par rapport à l’analyse : le poids des logiques d’acteurs et les effets de la territorialisation.

3.1. Les logiques d’acteurs

Notre propos est de mettre en évidence la fonction perturbante jouée par certains facteurs lors de l’observation de la relation formation-emploi à un niveau local, en particulier. Le paradigme de l’individualisme méthodologique (Boudon, 1992) offre un cadre de réflexion propice dans la mesure où, à la suite de Simon, il permet l’introduction du concept de rationalité limitée dans les logiques de construction d’une réflexion. Rappelons que contrairement aux hypothèses de la théorie classique, le décideur, d’une part, dispose d’une information toujours incomplète car la connaissance des conséquences des différentes possibilités d’action est toujours fragmentaire ; d’autre part, il n’est pas capable d’optimiser ses solutions, la

complexité des processus mentaux impliqués par toute vraie optimisation dépassant les capacités de raisonnement de l’être humain.

Il en résulte deux conséquences. Dans la pratique, les agents économiques, d’une part, recherchent non une inaccessible perfection dans

les choix des moyens, mais une solution prudente, satisfaisante, et d’autre part, mobilisent afin de

répondre aux situations complexes toutes sortes

d’a priori (de type déclaratif, normatif…) qui leur permettent de donner un sens à la situation dans laquelle ils se trouvent, de se donner des objectifs et de choisir ses moyens. Cette rationalité subjective

peut revêtir des formes diverses et développer des logiques d’acteurs qui viennent perturber la mise en œuvre d’une possible action. A ce stade de l’analyse, trois logiques sont identifiables.

3.1.1. La logique possessive

Cette logique possessive tient au caractère partial du regard porté par la branche professionnelle qui tend à considérer qu’un lien étroit doit être établi entre les flux de formés et ses propres besoins. Comme de nombreuses études nationales et régionales l’ont démontré, le secteur de l’hôtellerie- restauration est loin d’assurer l’embauche de tous les jeunes qualifiés des métiers de cuisine, par exemple. Aujourd’hui, bien d’autres activités (restauration collective dans les organismes de santé, services aux particuliers...) recherchent ce type de main-d’œuvre, ce qui représente près de la moitié des recrutements des cuisiniers. À cet égard, l’affirmation du FAFIH (Fonds d’Assurance Formation de l’Industrie hôtelière)15 selon laquelle la Bourgogne formerait trop de cuisiniers, paraît surprenante. Les effectifs

formés s’orientant finalement vers les emplois préparés au cours de leur formation excèdent les besoins de la Branche en cuisine ; ils sont équilibrés

pour le service en salle16. Ce propos est à nuancer

car le FAFIH représente plutôt la restauration traditionnelle (les chaînes hôtelières, par exemple, sont adhérentes à un autre organisme collecteur), même s’il entend défendre les intérêts de l’ensemble de la branche.

15 Cet organisme paritaire collecteur agréé se positionne comme le représentant de l’hôtellerie-restauration, avec un représentant national (secrétaire général), un chargé d’études de l’observatoire national, des représentants départementaux et régional. 16 Cf. note du FAFIH du 5 octobre 2001.

par type d’activité hôtelière et en tenant compte des évolutions des effectifs salariés sur l’année (effectif Assedic).

Outre le fait de supposer qu’une structure régionale possède une matrice de l’emploi identique à celle de l’échelon national (ce qui justifierait qu’on applique à l’identique au niveau local les conclusions nationales mais qui reste toujours hypothétique), cette méthode de travail présente l’inconvénient de fournir des estimations chiffrées sans fourchette, compte tenu des risques d’erreur possible18, sans contrôle, ni suivi des formules de calcul. Une confusion entre flux de formés et flux de sortants a conduit la profession à surestimer de près de moitié le personnel qualifié arrivant chaque année sur le marché du travail au niveau de la région Bourgogne. L’OREF a insisté sur la différenciation des indicateurs flux de formés et flux de sortants : une partie des jeunes inscrits en dernière année de formation professionnelle poursuivent leurs études et d’autres quittent le système éducatif pour entrer dans la vie active. Ainsi, après rectification pour les seuls emplois de cuisiniers, le nombre de sortants est ramené de 789 à 450.

Des erreurs d’interprétation dommageables peuvent survenir : la commission paritaire régionale de l’emploi de l’industrie hôtelière par absence d’explication, suivie intégralement par le Conseil régional, conclut que trop de cuisiniers sont formés en formation continue. En fait, la conclusion du FAFIH national relative à une surabondance de formés visait surtout à interpeller le niveau régional pour limiter l’importance quantitative des jeunes en lycée (cf. logique de contrôle). Ceci a abouti à la fermeture d’un module de formation continue (de cuisinier à Beaune), alors que les professionnels locaux s’accordent à reconnaître l’opportunité de cette formation.

3.1.2. La logique de contrôle

Dans les réunions ou les documents de travail fournis par le FAFIH, la logique qui prévaut, en référence au paradigme de l’interdépendance dominée, est celle du contrôle de l’appareil de formation, de la régulation des flux de formés. Un document de travail du FAFIH, daté de juin 2001 et produit dans le cadre de l’élaboration du contrat d’objectif, est à cet égard illustratif. Une action, qui traite des propositions d’aménagement de la carte scolaire, est rédigée de la manière suivante : La

profession propose les évolutions ci-dessous de la carte des formations initiales : diminution des flux de BEP, stabilisation des flux de niveau IV, développement de l’apprentissage, développement du BP en formation continue. Ainsi, la profession privilégie

d’une part, le développement de l’apprentissage et souhaite d’autre part, diminuer le nombre de jeunes en BEP, formés pour les deux tiers par l’Éducation Nationale. Mais, paradoxalement, elle n’applique pas cette disposition de diminution des flux de BEP aux diplômes préparés par la voie de l’apprentissage. 3.1.3. La logique jacobine

La logique jacobine se manifeste lorsqu’on plaque mécaniquement des outils nationaux sur une réalité régionale, sans consultation d’experts locaux. Là aussi, la démarche du FAFIH est de ce point de vue significative. Ce dernier s’appuie sur une enquête statistique propre, celle du contrat d’études prévisionnelles réalisé en 1995 au niveau national. Par enquêtes effectuées sous forme d’interviews de salariés et d’employeurs dans cinq régions, le FAFIH reconstruit des catégories socioprofessionnelles17, les distribue dans le secteur d’activité économique de l’hôtellerie-restauration et leur affecte un type de formation précis afin de construire un tableau relation formation-emploi national. Ce tableau est ensuite plaqué au secteur de l’hôtellerie au niveau de la Bourgogne en effectuant une pondération selon la répartition régionale par taille d’entreprises,

17 Par exemple, il propose de classer les emplois en « Commis de restaurant, serveur », « Garçon de restaurant, café-restaurant, brasserie », « Service des boissons », « Service/distribution restauration de collectivité » au lieu d’utiliser la nomenclature des PCS ESE du ministère du Travail dans laquelle on identifie les emplois de « Serveur qualifié » (code 5612) et « Employés qualifiés de l’hôtellerie » (code 5615).

18 Si l’on applique ici les mêmes critères que l’Insee dans les publications du recensement de la population par sondage au quart, l’intervalle de confiance à hauteur de 95 % se situerait pour les besoins annuels de 220 cuisiniers estimés par le FAFIH entre 160

En définitive, ces logiques d’acteurs, (que ce soit la logique possessive, la logique de contrôle ou la logique jacobine19), renvoient le débat à une interrogation plus large : celle de la pertinence du discours actuel sur la nécessaire étape, avant toute action, d’un diagnostic partagé entre les différentes institutions concernées. De nombreux décideurs considèrent la production d’un diagnostic statistique partagé comme un objectif stratégique, qui garantirait une répartition de l’action avec le minimum de relations conflictuelles. Cette démarche nous semble erronée dans la mesure où une analyse statistique porte de façon endogène les stratégies d’institutions et ne peut faire abstraction du jeu des acteurs. Le diagnostic partagé constitue sans doute un mythe dont les observatoires doivent s’éloigner. Quel intérêt pour un technicien de consacrer un temps substantiel à l’analyse alors que les décideurs n’utiliseront qu’une partie acquise à leur cause des résultats obtenus ?

Outre le jeu des acteurs, le modèle adéquationniste intervient pour introduire des éléments d’incohérence dans l’action.

3.2. Les effets non maîtrisés de l’adéquation de proximité

Les années quatre-vingt et suivantes sont marquées, entre autres, par une double préoccupation liée aux problèmes engendrés par la crise économique et la forte montée du chômage, à la complexification des modes de fonctionnement de la société et les risques d’inadaptation des modalités d’intervention des pouvoirs publics aux transformations socio-économiques. Ces transformations ont, d’un côté, provoqué une remise en cause forte à propos du modèle de l’adéquation emploi-formation, de l’autre, donné naissance à un double mouvement de territorialisation et de décentralisation. Si ces évolutions ont largement permis de renouveler et d’enrichir la panoplie des outils d’analyse et d’action des pouvoirs publics, elles ont eu tendance aussi à favoriser le retour du modèle contesté de l’adéquation emploi-formation, modèle qui tend à éloigner la réflexion et l’action

des approches théoriques qui permettent une compréhension de la complexité du réel (cf. encadré n°1)

Implicitement (parfois explicitement), certains décideurs considèrent que dès que des micro-ajustements sont possibles, rien ne s’oppose à ce que leur cumul favorise une adéquation macro. Tout se passe comme si une addition d’interventions pouvait résoudre les problèmes d’adéquation emploi- formation à un niveau supérieur. Ce discours apparaît à deux occasions : celle de l’approche locale et celle de l’approche sectorielle.

La première situation renvoie aux politiques territoriales de l’État ou de celles des Conseils régionaux lorsqu’elles existent. L’hypothèse émise est de considérer que plus le territoire d’intervention est réduit, plus les ajustements formation / emploi sont réalisables et réalistes. Quoi de plus simple et de tentant que d’imaginer qu’il est plus aisé de réunir des acteurs locaux (la proximité supposée entre une offre et une demande aidant à mettre en œuvre des solutions rapides et efficaces) pour agir que d’attendre des solutions toutes faites venant de Paris. Dès lors, il devient tentant de considérer que l’ensemble des actions pragmatiques additionnées constitue une solution ou une perspective de solutions au problème global de la relation emploi- formation. Si ces propos s’appuient essentiellement sur des expériences de formation continue dont le degré de réactivité dans le temps est relativement rapide, force est de constater que le raisonnement est souvent rapidement transféré aux situations de formation initiale alors que les possibilités de changement sont de tout autre nature.

La seconde situation correspond à l’approche sectorielle. Un phénomène identique d’agrégation est présent : au moyen des contrats d’objectifs, par exemple, il apparaît fondé pour de multiples décideurs que des ajustements emploi- formation sont possibles.

19 Cette logique est d’autant plus présente que la loi quinquennale ne propose aucune piste ou solution pour articuler branches nationales et niveau territorial.

Si les adéquations dans le bâtiment, les travaux publics, l’hôtellerie-restauration, la plasturgie, les transports… sont réalisables, le cumul des contrats d’objectifs peut constituer le fondement d’un document qui vaut pour l’ensemble de la problématique emploi-formation à l’image de la construction d’un PRDF. Ces discussions sectorielles, qui au demeurant ne sont pas exemptes d’enrichir par certains aspects le débat, remettent aussi au goût du jour le modèle d’adéquation d’autant plus qu’elles permettent au lobbying d’un syndicat professionnel d’employeurs20 de s’exercer et au projet d’un Conseil régional de ne pas rencontrer d’hostilité de la part des branches professionnelles, à défaut de s’en voir garantir le succès.

Ce partage d’intérêts dans le discours permet d’occulter le questionnement critique sur le modèle d’adéquation. À cet égard, la grande difficulté des décideurs à intégrer les résultats sur l’insertion de jeunes dans leurs analyses est significative. Alors qu’à l’issue des formations de l’hôtellerie- restauration, il est fait référence à la réalité d’un taux de chômage élevé des apprentis (27 % contre 18 % pour l’ensemble des apprentis de Bourgogne) et que de nombreux lycéens poursuivent leur cursus par un contrat d’apprentissage (15 % des sortants de lycée), le discours sur l’adéquation sectorielle emploi-formation :

autorise à considérer qu’une telle situation est impossible, étant donné que la difficulté de recruter la main-d’œuvre souhaitée, il n’est pas possible qu’un apprenti soit au chômage d’autant que l’apprentissage est l’outil d’ajustement ad hoc ; 20 Cf. l’enjeu du contrôle de l’appareil de formation du paradigme de l’interdépendance dominée.

Encadré n°1

Du caractère mécanique de la relation

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