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Ce que retiennent les recherches en comptabilité de l’accountability chez Garfinkel et les ethnométhodologues

Chapitre 1. La notion d’accountability en comptabilité: une conception interactionniste empruntée de Pouvoir

1 Le socle théorique de l’accountability

1.3 Ce que retiennent les recherches en comptabilité de l’accountability chez Garfinkel et les ethnométhodologues

De Garfinkel et de l’ethnométhodologie, les chercheurs en comptabilité ont gardé l’idée d’accountability comme processus social réglant les rapports entre les individus (Ahrens 1996; Arrington et Francis 1993; Munro 1996; Willmott 1996). Ils en déduisent qu’avant d’être technique dans le sens où elle produirait une représentation vraie, la comptabilité est sociale, puisque le but de cette dernière est de rendre des comptes et donc de donner du sens du point de vue des interactions. Autrement dit, la volonté de mettre en place des systèmes comptables sert à rationaliser et instrumentaliser un processus social pour mieux maîtriser le rendu de comptes. Cette application techniciste s'appose à des objets économiques qu’il est nécessaire de maîtriser. Toutefois, même la pratique du rendu de comptes sur des objets économiques est une pratique sociale dans le sens où tout individu est couramment questionné sur l’utilisation de ses moyens financiers et économiques (Arrington et Francis 1993).

Pour illustrer cette pratique, Willmott (1996) décrit une scène d’accountability, où des parents demandent à leur fils de rapporter des justificatifs des dépenses qu’il fait. Ces justificatifs doivent apporter la preuve que l’argent est bien dépensé selon l'objectif qui lui est assigné : le financement des études du garçon (p.30-31). Ils retiennent également l’idée que ces méthodes de rendu de comptes sociaux peuvent et doivent être décrites (Munro 1996). Cet aspect est d’autant plus important que ces processus sociaux ont des conséquences sur l’utilisation technique des instruments (Roberts et Scapens 1985). Par conséquent, ces mécanismes doivent être décrits pour comprendre l’utilisation des outils techniques (Munro 1996).

Contrairement aux concepts, les emprunts méthodologiques à l’ethnométhodologie et ses disciplines sont peu importants en comptabilité. A l’exception de l’article de Jönsson (1998), ils sont le plus souvent partiels. Ahrens (1996) par exemple, choisit de conduire une ethnographie pour essayer de comprendre en quoi la pratique de l’accountability en Allemagne varie de celle observée en Grande Bretagne. Il ne cherche pas à décrire les mécanismes d’accountability qu’il juge plus ou moins similaires, mais les causes culturelles qui poussent ces mécanismes à aboutir à des prises de décisions différentes. Il en conclut que le contexte organisationnel mais également sociétal ou, pour reprendre ses mots, le contexte du public conduit à de divers raisonnements en amont qui ordonnent les mécanismes d’accountability différemment. Cette partialité touche au fait que les auteurs n’abandonnent pas la dimension interprétativiste (Sinclair 1995) et conceptuelle (Ahrens 1996; Ezzamel 2009) des sciences sociales, au profit de descriptions pures auxquelles appelle Garfinkel. Ils n’hésitent pas à en tirer des conclusions sociétales portant sur les

mécanismes d’accountability (Hoskin et Macve 1986; 1988; Roberts 1991; 1996). Les chercheurs en comptabilité construisent donc à partir de Garfinkel et du reste de la pensée de l’école de Chicago une nouvelle définition de l’accountability, qu’ils agrémentent avec d’autres théories issues des travaux d’auteurs tels que Giddens (1984)12, Foucault (1975) ou Habermas (1971; 1987a; b)13. Certains iront jusqu’à opérer un retour en arrière chronologique et reviendront à Mead (Roberts 1991). Leur ambition principale est de rajouter à cette vision de l’accountability comme pratique quotidienne, celle du pouvoir14 (Willmott 1996). De fait, dans cette relation visant à clarifier et à définir le sens d’une action, entrent également en jeu les rapports de forces entre les interlocuteurs. Ces rapports, impliquant souvent des relations hiérarchiques plus ou moins marquées, induisent des rapports de pouvoir (Willmott 1996): un élève n’est pas l’égal de son professeur, de même qu’un salarié n'est pas l'égal de son responsable, un enfant n’est pas l’égal de son père ou de sa mère. Cette dimension de pouvoir devient visible avec les outils comptables (Munro 1996) et les chiffres (Boland et Schultze 1996) car ces derniers caractérisent la relation hiérarchique entre les dirigeants et/ou les propriétaires et les salariés (Roberts 1991; 1996). De manière consécutive à la problématique du pouvoir, ils tentent de réintégrer celle de la domination exercée par les outils comptables conduisant à la reproduction des systèmes sociaux (Willmott 1996). Pour la première dimension ils s’inspirent principalement des travaux de Foucault et de son ouvrage Surveiller et Punir (1975) . En d’autres termes, au-delà du regard critique consistant à détruire les idées reçues que portent certains groupes sociaux sur les autres, cher à l’école de Chicago dont Garfinkel et les ethnométhodologues s’étaient éloignés en refusant de s’intéresser aux impacts sociétaux de la création de sens, ils réintègrent l’étude de la notion de pouvoir au sein des études sur le rendu de compte. Un tel choix de sujet et de positionnement conceptuel renforce le positionnement interprétativiste et critique15 de ces travaux sur l’accountability.

Afin d’exposer cette réintroduction de la notion de pouvoir au sein des recherches en comptabilité, je prends le temps dans la partie suivante de définir, en premier lieu, le socle de départ utilisé par les chercheurs qui visent à poser les bases de l’accountability, comme un processus social réglant les rapports entre les individus quelle que soit la structure dans laquelle ils évoluent. En second lieu, je définis comment cette notion prend forme au sein des organisations, où les outils de gestion

12 Se rapporter notamment à (Roberts & Scapens 1985), (Roberts 1991; 1996) et (Willmott 1996) 13 Se rapporter notamment à (Roberts 1991; 1996) et (Langhlin 1996)

14 La référence au pouvoir dans ce courant est principalement pensée à partir, soit des travaux de Giddens (Roberts et Scapens 1985; Willmott 1996), soit du travail de Foucault (Hoskin et Macve 1988; Roberts 1991; 1996).

jouent un rôle central. Pour ce faire, je m’appuie principalement sur les travaux théoriques de John Roberts (1991; 1996) et de Roberts et Scapens (1985), que je considère comme la base de l’accountability, puisque la conceptualisation qu’ils proposent sert en effet de base à de nombreux travaux en comptabilité (voire notamment, (Joannides 2012; Jönsson 1996; Messner 2009; O'Dwyer et Unerman 2008; Scott et Orlikowski 2012; Shearer 2002; Sinclair 1995; Smyth 2012; Unerman et Bennett 2004; Unerman et O'Dwyer 2006)).

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