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Des recherches comptables éclairant principalement l’accountability hiérarchique

Chapitre 2. La pluralité sociale : aspect négligé des études comptables empiriques organisationnelle sur l’accountability

1 Le traitement empirique de l’accountability par la comptabilité

1.3 Des recherches comptables éclairant principalement l’accountability hiérarchique

Ainsi, les chercheurs en comptabilité étudient l’accountability par les outils comptables. La plupart du temps se sont les relations qu’entretiennent les groupes hiérarchisés les uns par rapports aux autres, régis par des logiques plus ou moins dominantes qui les entourent. En se focalisant sur les outils et donc sur le rendu de comptes à distance, ils donnent une place centrale à l’accountability hiérarchique. Quand les auteurs parlent des échangent sociaux en face-à-face entre ces différents niveaux hiérarchiques, partie intégrante de ce que Roberts (1991) nomme l’accountability sociale34, ces relations sont toujours empruntées d’une relation de subordination. C’est ce qu’expose par exemple, Roberts (1990) quand il évoque l’échange de comptes qui prend forme lors des conférences entre la direction du conglomérat et les dirigeants de la société nouvellement acquise. En 1990, Roberts étudie donc l’accountability en organisation de manière incomplète, puisqu’il reste cantonné aux rapports qu’entretiennent les acteurs de l’accountability hiérarchique.

Ainsi même si l’accountability sociale, c’est-à-dire les échanges directs entre acteurs au sein des organisations, est évoquée par ces auteurs, elle ne l’est que de manière périphérique par rapport à l’importance donnée au rendu de comptes qui prend forme via les outils comptables. La prise en compte de l’accountability sociale reste relativement peu explorée et ceci malgré le positionnement qu’en donne Roberts comme de plus grande importance que l’accountability hiérarchique dans ses articles de 1990 et de 1996.

Roberts (1991) expose que ces accountability sociales en organisation sont nombreuses et prennent forme avec la plupart des acteurs qu’un individu rencontre lorsqu’il est sur son lieu de travail. Roberts (1991; 1996) construit sa représentation de l’accountability en organisation autour d’une interdépendance entre les différentes dimensions. Jorgensen et Messner (2010), réaffirment l’importance de cette interdépendance en mettant en avant que, dans le rendu de comptes, les outils comptables sont accompagnés d’un discours alignant les actions sur les objectifs stratégiques. Ils en concluent que : « [… l’influence des informations comptables peut

34 Mais pas uniquement car cette dernière englobe aussi les rapports entre les pairs, afin d’éclairée leurs actions au travail et se soutenir mutuellement.

uniquement être comprise si elle est considérée en interaction avec les autres types de comptes et de rationalités [… »35 (Jorgensen et Messner 2010, p 202).

Cette thèse vise donc à réhabiliter l’accountability sociale, pour faire de l’accountability dans son ensemble un phénomène social et pluriel, autour des différentes relations de rendu de comptes que les individus peuvent développer au sein d’une organisation. Elle place au centre de la réflexion, non plus les outils comptables, mais les interactions entre les individus, dans lesquelles les instruments de gestion occupent une place moins centrale.

Ce travail envisage, en suivant Willmott (1996), l’accountability comme un phénomène négocié par des individus agissant dans un univers social complexe car pluriel, où ils échangent des comptes avec diverses entités, incluant la hiérarchie, et où des instruments de gestion prennent forme. Il s’appuie principalement sur la conceptualisation de Roberts (1991 ; 1996) et de Roberts et Scapens (1985). Or, Scott et Orlikowski (2012) montrent que dans certaines situations cette conceptualisation peut être complétée et qu’il est par conséquent intéressant de les étudier afin de l’enrichir. Elles s’appuient sur le cas du site Tripadvisor, un site Internet participatif, dédié aux clients de l’industrie touristique, qui publient sur la toile leurs opinions sur les hôtels dans lesquels ils ont séjourné, et (2012). Ces cas exposent en quoi les réseaux sociaux produisent de nouvelles formes d’accountability qui finissent par modifier les rapports entre les clients et les hôteliers et entre les différents hôteliers eux-mêmes. Bien que cette étude se place au niveau organisationnel et non pas intra- organisationnel comme le fait Roberts (1985; 1991; 1996), elle étend le modèle en exposant en quoi la matérialité des réseaux sociaux a des conséquences et un effet performatif sur l’accountability. Plus précisément, elle montre comment TripAdvisor redonne le pouvoir aux clients qui, par un simple clic, émettent un avis sur un établissement hôtelier. Les avis positifs et négatifs sont comptabilisés et transformés par le biais d’un algorithme permettant de classer les hôtels les uns par rapport aux autres. L’effet assujettissant de l’accountability hiérarchique36 entre les clients et les hôteliers est exacerbé par l’intensification de l’utilisation de l’algorithme produisant à distance un classement. Les clients décident donc du classement, sur lequel les hôteliers, eux, ne peuvent réagir, se retrouvant directement en concurrence. Le climat social entre les acteurs du secteur du tourisme se dégrade alors et l’accountability sociale entre les hôteliers diminue. Les auteurs démontrent que les professionnels du

35 “Whether optimal or not, the influence of accounting information can only be understood when considered in interactions with other types of accounts and rationalities such as strategic objectives” (p. 202).

tourisme poussent alors leurs clients, à reporter leurs impressions sur TripAdvisor, pour faire en sorte qu’un maximum de consommateurs satisfaits donne un avis. En agissant ainsi, les hôteliers espèrent faire remonter la cote de leur établissement dans le classement. Une sorte de cercle vicieux s’enclenche poussant à augmenter la note de l’hôtel et à le renforcer dans le classement, mais par la même action rendant l’accountability hiérarchique plus individualisante.

Suivant la démarche de la publication de Scott et Orlikowski (2012), je propose de questionner la conceptualisation de Roberts (1991; 1996). Toujours en suivant le travail de Scott et d’Orlikowski (2012), je souhaite m’intéresser à l’accountability dans un contexte social pluriel, pour comprendre comment les diverses interactions prennent forme et par conséquent, agissent sur la formation de l’accountability. Je m’intéresse plus spécifiquement aux interactions conflictuelles pouvant influencer la formation de l’accountability. En revanche, contrairement à ces deux auteurs qui étudient les interactions d’un champ organisationnel (DiMaggio et Powell 1983), je souhaite m’intéresser aux conséquences prenant place à l’intérieur des organisations, et pouvoir par ce biais compléter cette compréhension de l’accountability.

Je vise par conséquent, à répondre à la question suivante :

Comment l’accountability prend-elle forme dans les situations interactionnelles conflictuelles?

Pour traiter cette question, je m’appuie sur deux limites issues de la littérature qui s’appliquent aux études en comptabilité, et montre ainsi la diversité des situations sociales qui nourrissent l’accountability et influent sur sa négociation. Je m’appuie par la suite sur ces deux limites pour poser deux sous-questions dont les réponses visent à alimenter la réponse à la problématique générale.

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