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Les multiples demandes d’accountability du salarié RSE

Résumé par chapitre

Partie 2. Les multiples demandes d’accountability du salarié RSE

Résumé:

Cette deuxième partie interroge la formation de l’accountability d’un salarié qui doit répondre à deux demandes de comptes provenant de deux communautés normatives, dont les principes sont difficilement conciliables entre eux. Il prend comme contexte empirique celui du salarié de la RSE – ici celui en charge de la prise en compte de la pauvreté- qui doit répondre à une demande de comptes sociétale, au nom de l’entreprise qui l’emploie.

Les résultats mettent en avant deux demandes, identifiées comme vagues. Pour pouvoir y répondre, les salariés les identifient comme des codes normatifs dans lesquels ils se reconnaissent et qui les gouvernent, pour ensuite proposer une réinterprétation personnelle en guise de réponse à cette double demande de comptes. Cette réponse, matérialisée dans la constitution des projets destinés à la Base de la Pyramide hybride les deux demandes en proposant de faire du profit tout en réduisant la pauvreté. Elle est rejetée par les communautés demandant des comptes car trop éloignée des demandes originelles.

Cette identification aux valeurs et aux normes qui régissent les demandes de comptes, puis leur réinterprétation sont lues à l’aide de la dernière partie du travail de Foucault sur la subjectivation de l’individu par lui-même. Un tel emprunt théorique permet de montrer qu’au-delà de l’intervention personnelle des salariés dans la réponse proposée par les entreprises, une transformation identitaire du salarié s’opère. De fait, ce dernier se sent lui-même évincé quand la réponse de comptes qu’il propose est elle- même rejetée. Le salarié s’est identifié à la réponse de rendu de comptes qu’il a construite.

Concernant l’accountability, ce rejet conduit à la rupture de l’accountability hiérarchique, car le salarié rejeté est jugé comme n’ayant pas bien agi par les communautés auxquelles il est censé rendre compte. Pour être rétabli comme ayant bien agi, un groupe se forme autour de la réinterprétation ‘personnelle’, hybridant les deux demandes, c’est-à-dire autour d’un nouveau code normatif. Au sein de ce groupe, qui se forme de manière trans-entreprise, les salariés rendent des comptes sur l’avancement des projets qu’ils développent. Ainsi, après une rupture dans le processus itératif et ternaire de rendu de comptes, ce dernier est rétabli sous la forme d’une

accountability sociale par le biais de la création d’une communauté normative

Introduction

Cette thèse a pour ambition de questionner le concept d’accountability selon son acception interactionniste, dans l’optique de mettre en évidence la pluralité des phénomènes sociaux, notamment conflictuels qui le composent. De manière générale, cette notion est définie comme l’éclaircissement du sens d’une action d’un individu suite à une demande formulée par une communauté normative à laquelle l’individu s’identifie pour construire son identité. Ce phénomène est un processus ternaire et itératif, pouvant être décomposé en trois phases : 1- une demande de comptes ; 2- une réponse à la demande- le rendu de comptes -; 3- un examen de la réponse par le demandeur de comptes qui conduit soit à un rejet, soit à une acceptation de l’individu comme membre de la communauté.

Or les instruments de gestion ont vocation à orienter et à rendre visible les actions des individus (Roberts 1991; 1996). L’accountability est, par conséquent, le phénomène de base qu’incarnent, de manière formelle, les outils comptables (Roberts et Scapens 1985).

Pour questionner l’accountability, je m’appuie principalement sur les travaux de Roberts (198546; 1991; 1996), qui conceptualise ce concept en organisation autour de deux entités auxquelles l’individu est amené à rendre des comptes : la hiérarchie, - éloignée donc non visible et diffuse visant à orienter le comportement des salariés vers le but encouru par l’organisation - et ses collègues, considérés comme proches, car permettant les interactions en face-à-face. Chacun de ces groupes donne lieu dans la conceptualisation de Roberts (1991; 1996) à une dimension relationnelle de l’accountability. La première dite accountability hiérarchique est élaborée, de manière distanciée, autour des obligations que le salarié entretient avec l’organisation pour laquelle il travaille. Elle est structurée selon les relations de pouvoir que produit la hiérarchie sur l’individu. L’accountability sociale correspond quant à elle, à tous types d’interactions en face-à-face visant à expliciter un comportement au travail. L’accountability sociale est un phénomène multiple, du fait du nombre important d’interlocuteurs, conduisant dans le cas où la relation prend forme entre pairs, à une certaine solidarité pour faire face à la dimension aliénante de l’accountability hiérarchique.

Les outils comptables sont l’incarnation de l’accountability hiérarchique car ils rendent visible le rendu de comptes entre la hiérarchie et le salarié. Cette dernière

relation a été très étudiée par les études en comptabilité, contrairement à l’accountability sociale qui a été quelque peu délaissée. Toutefois, selon Roberts (1991; 1996) ces deux dimensions sont indépendantes, puisque l’accountability sociale vise à rendre explicite les résultats des outils comptables, qui eux-mêmes servent à établir les performances des individus en organisation. L’objectif de ce travail est donc de redonner une place à l’accountability sociale au sein des échanges de comptes en organisation et plus généralement de réintégrer la pluralité créée par les situations d’interactions sociales pour comprendre la formation de ce phénomène. Cette réintégration s’oppère plus particulièrement à partir des situations conflictuelles.

Dans la partie précédente, j’ai séparé l’étude de ce phénomène en deux niveaux, afin de traiter plus intelligiblement possible la pluralité sociale conduisant à de potentielles situations conflictuelles : celui de l’individu et celui du groupe. Je m’intéresse dans la troisième partie de cette thèse aux les divergences d’opinions entre pairs qui prennent place dans la construction de l’accountability. Dit autrement, j’explore l’influence de la pluralité des opinions des acteurs contenus dans l’accountability sociale conduisant à d’autres rapports que ceux basés sur la solidarité, dans la construction globale de ce phénomène de rendu de comptes. Toutefois avant de regarder l’impact de la pluralité des opinions des acteurs sur la formation de l’accountability, je m’intéresse, dans cette partie, à l’influence de la pluralité des

accountability sur un même individu. Plus précisément, je suis les travaux d’Arrington

et Francis (1993), Schweiker (1993), Messner (2009), qui ont mis en avant la multiplicité des demandeurs de comptes potentiellement conflictuelles, s’adressant à un individu, sur les actions qu’il produit dans le cadre de son travail, puisque ce dernier appartient à d’autres communautés que celle qui lui fournit un salaire et qui lui demande aussi des comptes. Je tente alors de comprendre comment ces multiples

accountability influencent l’individu, en rappelant que Roberts (1991; 1996)

conceptualise, en suivant Mead (1934) l’accountability comme un phénomène de construction identitaire. Ce phénomène est décrit par rapport à une seule demande d’accountability.

Dans le développement qui suit, je mets ce processus ternaire et itératif en perspective, lorsqu’un même individu subit des demandes normatives de comptes provenant de plusieurs entités, potentiellement en conflit les unes avec les autres. Pour étudier empiriquement ce phénomène, je choisis un exemple qui par sa nature se trouve à la croisée de plusieurs demandes d’accountability : le salarié dont la mission consiste à répondre aux demandes sociétales qui s’adressent à l’entreprise ; cependant cette réponse étant produite au nom et dans le cadre de la firme, elle doit rester alignée sur les exigences financières de ces organisations à but lucratif. Dans un tel cas de figure la mission des salariés RSE comprend en elle-même deux demandes

d’accountability, imbriquées l’une dans l’autre. Cette multiplicité complique le rendu de comptes et par conséquent, la construction identitaire du manager qui doit contenter deux communautés normatives régies par des principes différents, voire antagonistes. Pour étudier plus spécifiquement cette question, je me concentre sur l’accountability des salariés qui doivent répondre à la demande sociétale de prise en compte de la pauvreté (Salariés BoP). Cet exemple me semble particulièrement pertinent car le problème adressé, la pauvreté, est par définition marqué par un manque de ressources financières, pourtant nécessaire à la réalisation de l’objectif encouru par les entreprises : dégager un profit. Les deux demandes semblent donc singulièrement éloignées l’une de l’autre, voire diamétralement opposées.

Les deux demandes qui s’appliquent aux salariés BoP et qui les contraignent à rendre des comptes sont vagues car renvoyant à des problématiques très larges: des actions en faveur des plus démunis et l’alignement sur les principes du monde des affaires. Leurs prises en compte peuvent donner lieu à de multiples réponses. Les résultats empiriques démontrent que pour traiter ces demandes très générales les salariés s’appuient sur leurs convictions personnelles pour présenter la réponse qui leur semble la plus adéquate aux vues des deux demandes qui les contraignent. Toutefois cette réponse étant spécifique aux salariés qui la développent, elle est rejetée par les deux entités qui demandent des comptes.

Pour réinterpréter cette réponse spécifique des demandes générales qui s’appliquent aux salariés BoP, j’utilise le processus de subjectivation développée par Foucault (1984a; b) et particulièrement la partie portant sur l’élaboration de la connaissance de l’individu par lui-même et sur lui-même. Cette dernière expose que l’individu se forme au contact de « régimes de vérité » qui le contrôlent et le contraint à adapter leur manière d’être, de façon non visible. J’identifie les demandes d’accountability à des régimes de vérité. Foucault (1984b) ajoute que l’individu a une marge de manœuvre pour proposer une version personnelle de ce régime de vérité qui s’impose à lui. Par cette réinterprétation, l’individu peut s’émanciper légèrement du dictat des régimes de vérité. Par ce processus de réinterprétation, il se construit par lui- même. Cependant Foucault explique que cette réinterprétation personnelle, varie d’un individu à l’autre et qu’elle peut par conséquent, pour un individu externe ne plus correspondre aux régimes de vérité originelle. Ce dernier élément me permet d’interpréter le rejet de la réponse d’accountability des salariés BoP, conduisant à l’interruption du processus itératif.

Le salarié s’identifie à sa mission professionnelle et donc à la réponse qu’il développe. Quand cette dernière est rejetée, il se sent lui-même exclu. Pour dépasser ce rejet, les salariés BoP des différentes entreprises se regroupent alors entre convaincus,

défendant que la solution proposée permet de satisfaire les deux demandes auxquelles ils doivent faire face dans leur accountability hiérarchique. Une communauté normative alternative apparaît regroupant ces salariés autour d’un nouvel ensemble de normes ou de valeurs, provenant de l’hybridation des deux codes normatifs originels. Ainsi pour mener à bien cette première étude empirique et comprendre le processus d’accountability d’un salarié qui pour la réalisation de son accountability hiérarchique passe par la production d’une réponse à de multiples demandes d’accountability, je structure mon développement en quatre parties. Je commence, dans un premier chapitre, par présenter la théorie foucaldienne de la subjectivation dans sa partie portant sur « la constitution du sujet comme objet pour lui-même» (Foucault 1984a), qui me sert à éclairer mes données empiriques. Dans un deuxième chapitre, j’expose la méthodologie utilisée pour répondre à la question, autour de données collectées à l’aide d’entretiens réalisés auprès des salariés responsables de la mise en place de modèles d’affaires destinés à la Base de la Pyramide. Dans un troisième chapitre, je présente les résultats empiriques en suivant les trois phases du processus itératif, à laquelle j’ajoute une phase due à la rupture d’accountability. Je termine par un quatrième chapitre, dans lequel je discute les contributions de cette étude autour de la rupture d’accountability, conduisant à un rejet identitaire, résolu par la création d’une nouvelle communauté normative et la création d’une accountability sociale trans- entreprise.

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