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La création d’une communauté normative pour rétablir l’accountability

Résumé par chapitre

Chapitre 5. La construction du sujet face à de multiples demandes d’accountability

4 La création d’une communauté normative pour rétablir l’accountability

du salarié RSE

Cette nouvelle communauté qui reconnait l’hybridation des valeurs et des normes des deux communautés à l’origine des demandes de comptes, donc adhérant à la réponse d’accountability, est composée de trois principaux ensembles de membres.

Elle comprend tout d’abord les salariés de diverses unités de l’entreprise qui soutiennent le projet et permettent ainsi aux salariés BoP de trouver chez leurs collègues un peu de support même si ces salariés ne sont ni des décideurs, ni des supérieurs.

« On a constaté une forte réaction en interne de la part de nos salariés et de la part de nos retraités, c'est-à-dire que plein de gens ont repris contact avec nous du fin fond de la province profonde. Je dirai de Vaison-la-Romaine jusqu’à Hong Kong. J’étais personnellement très touché de voir les messages que je recevais. Aujourd’hui, chaque semaine, j’ai au moins une ou deux personnes qui me contactent en interne en me disant c’est génial ce que vous faites. Ils s’imaginent qu’on est 200 personnes, et ça avec des relais avec une cinquantaine de personnes, mais on est 5 professionnels de la micro finance » (Entreprise K)

Elle comprend ensuite, l’ensemble des salariés développant des projets destinés à la Base de la Pyramide dans chacune des firmes développant des modèles d’affaires destinés à la Base de la Pyramide. Ils disent bien se connaître et travailler de temps en

« Alors moi, j’ai été aidé et soutenu, en tout cas dans ma tête ; ça je pense que c’est très important comme toujours, déjà par des partenaires extérieurs » (Entreprise I)

« J’ai trouvé cela génial, il y avait de l’inter-entreprises qui était très forte et tout de suite, je suis rentré dans des clubs, où j’appelais ma collègue de l’entreprise J « qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce que tu ferais là ? Est-ce que tu peux me passer une idée? »» (Entreprise N)

« […] Ben moi ça m’a frappé dans les groupes de travail de ‘Bottom of the Pyramid’, c’est le fait d’avoir autour de moi des gens qui viennent de très grandes entreprises, qui ont des savoirs-faire industriels qui sont fabuleux, les F, les E, machin, machin et les gens qui disent, on a tout à apprendre. Et on est un petit peu, on finit par tous se connaître non seulement dans la micro finance où j’ai de très bonnes relations avec mes homologues, à Paris et dans le monde entier, X à New York, etc., à Londres également. » (Entreprise K)

Elle regroupe donc une communauté trans-entreprises de salariés travaillant sur le même sujet et qui se décrivent comme des pionniers assez peu compris de leur entourage professionnel. Ils se définissent comme un groupe poursuivant un objectif semblable que le salarié de l’entreprise K va jusqu’à comparer à une quête religieuse, constituée autour du développement des projets de la Base de la Pyramide. Une telle comparaison laisse l’image d’une communauté très soudée dans et par l’adversité et très déterminée.

« Avec les gens de ‘Base de la Pyramide’, on a un peu l’impression qu’on est une secte qui a découvert la nouvelle vérité. Il y a quelques croyants, croyants convaincus, mais y a encore les gens de l’ancienne école qui répètent qu’on est là pour faire du profit, on est là pour faire du profit, on est là pour faire du profit » (Entreprise K)

Cette communauté voit même des salariés travaillant dans des entreprises concurrentes regrouper leurs forces pour développer des réflexions communes avant de lancer chacun un programme différent. C’est notamment ce que rapporte ce salarié BoP d’une entreprise du secteur énergétique.

« Nous ce qu’on a fait, pour prendre le taureau par les cornes, c’est qu’on a eu une opportunité avec l’entreprise C, et puis après avec l’entreprise E de se dire, on va commencer par une étude préalable et puis on va donner à voir, comme on dit. On va donner à voir qu’est-ce que c’est qu’un entrepreneur social ; qu’est-ce que c’est qu’un projet Base de la Pyramide dans le domaine l’énergie, et quelle forme ça peut prendre. Et puis on va en prendre un certain nombre et on va les étudier avec [un cabinet de conseil spécialisé] qui est lié à [l’ONG la plus connue au niveau mondial en termes d’entreprenariat social], donc voilà c’est ce que nous on fait donc voilà après on a discuté avec eux » (Entreprise G)

Ces différents salariés ont pris l’habitude de se regrouper plusieurs fois par an pour échanger sur le développement de leurs programmes destinés à la Base de la Pyramide. Ces rencontres sont semi-publiques, c’est-à-dire que tous ceux qui démontrent un intérêt pour ce type de projet peuvent assister à ces réunions suite à l’envoi d’un courriel. Par ce procédé, cette communauté normative alternative s’élargit à d’autres personnes intéressées que les simples salariés BoP, principalement des étudiants et d’autres professionnels du milieu de l’entreprenariat social.

Ces réunions sont l’occasion pour les salariés BoP d’échanger et de rendre des comptes sur l’avancement de leurs projets à cette communauté qui est considérée, contrairement aux deux communautés normatives d’origine, apte à apprécier la réponse d’accountability. Dans le verbatim qui suit, un salarié BoP ayant participé à la réflexion commune sur les projets BoP du secteur énergétique (voir le verbatim précédent) rapporte le compte-rendu de ce projet commun. Il y affirme l’intérêt de communiquer et d’échanger avec cette communauté spécifique et initiée qui, contrairement à la communauté élargie, est présentée comme apte à recevoir ce compte.

« Le seul intérêt de la com’, c’est de dire on partage ; on essaye de rendre avec d’autres et des publics ciblés. Comme on a fait le 1er octobre [avec l’entreprise G et l’entreprise C] où là, on n’a pas fait un communiqué au Monde ou au Figaro on l’a fait avec des publics ciblés. On a fait ça avec un public qui est plus ou moins averti avec lequel on a essayé de discuter en disant, voilà on a essayé d’imaginer ce que vous en pensiez. » (Entreprise E)

Ainsi, faute de voir leurs réponses d’accountability acceptées par les deux entités globales qui leur demandent de rendre des comptes, les salariés cherchent du soutien auprès de personnes qui partagent les mêmes convictions qu’eux et qui réinterprètent les deux codes normatifs qui s’imposent à eux selon un schéma similaire, c’est-à-dire qui perçoivent les modèles d’affaires comme pouvant réduire la pauvreté tout en satisfaisant les exigences du monde des affaires, voire qui, parce que cette solution pour le développement est construite sur les principes du monde des affaires, est perçue comme étant un levier complémentaire aux projets habituellement développés pour réduire la pauvreté. Un déplacement et un resserrement de la communauté d’accountability s’opèrent entre la demande et la confirmation de la réponse proposée par les salariés développant le projet destiné à la Base de la Pyramide. Cette nouvelle communauté accepte la proposition faite par le salarié pour répondre aux deux demandes d’accountability qui s’imposent à lui. Elle confirme comme un de ces membres. Elle conforte le salarié RSE dans son rôle de constructeur de solutions visant à réduire la pauvreté, tout en respectant les principes du monde des affaires ; rôle qu’il s’est construit par un processus de subjectivation, consistant à se réapproprier les codes moraux qui s’imposent à lui, puis de les réinterpréter à l’aune de l’analyse de ses propres valeurs.

Conclusion

L’objectif de cette partie empirique était d’étudier la construction de l’accountability d’un individu au travail faisant face à plusieurs demandes d’accountability provenant d’autorités différentes, reposant sur des codes normatifs différents et demandant des comptes sur un même acte. Les salariés développant les projets de la Base de la

une demande sociétale qui est adressée à l’organisation pour laquelle ils travaillent. Cette demande est identifiée comme vague et émanant de divers groupes. Toutefois, la réponse produite doit également être alignée sur les principes du monde des affaires qui régissent les entreprises, lesquels servent de cadre à la production de la réponse à la demande sociétale. Ces deux demandes, définies comme très floues, sont réinterprétées par les salariés selon leurs convictions personnelles afin de proposer une réponse concrète aux deux communautés normatives qui les formulent. Cette réponse est une hybridation des deux codes normatifs régissant ces demandes qui correspondent, pour les salariés qui les développent, à la meilleure solution pour répondre à ces deux demandes imbriquées l’unes dans l’autre, car elles correspondent à leurs propres valeurs. Cependant le rapprochement des deux codes normatifs ne semble pas recevable pour une majorité des autorités composant les deux audiences demandeuses. Elles refusent la réponse, car elles jugent qu’elle ne correspond pas aux codes normatifs initiaux. Le processus d’accountability est donc interrompu. Au sein de l’organisation, les salariés BoP sont partiellement perçus comme ne remplissant pas leurs missions et, par conséquent, leur identité professionnelle vacille. Pour pouvoir continuer à développer leurs programmes et se faire reconnaître comme réalisant leurs missions, ils cherchent du soutien à l’extérieur et à l’intérieur de l’entreprise. De fait, les salariés des différentes entreprises se rencontrent à intervalles réguliers avec d’autres personnes convaincues que la solution hybride qu’ils développent permet de répondre aux enjeux des demandes originelles. Ces rencontres sont l’occasion de rendre des comptes à cette communauté qui partage la même réinterprétation des deux codes normatifs convoqués par cette double demande d’accountability. Le partage de ce nouveau code normatif hybridé permet alors au salarié de confirmer son identité professionnelle. Une accountability sociale trans-entreprise se forme alors.

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