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Réappropriation des demandes d’accountability

Résumé par chapitre

Chapitre 5. La construction du sujet face à de multiples demandes d’accountability

2 Répondre aux demandes d’accountability selon un prisme personnel Les demandes qui s’appliquent aux salariés BoP, sont décrites comme étant

2.1 Réappropriation des demandes d’accountability

En suivant le schéma de la section présentant les demandes d’accountability, je décris d’abord la réappropriation de la demande de réduction de la pauvreté avant de m’attarder sur le rapport qu’entretiennent les salariés avec les principes du monde des affaires.

2.1.1 Identification du salarié au code des communautés appelant à réduire la pauvreté

Les salariés reconnaissent la demande visant à réduire la pauvreté comme légitime. Cette reconnaissance repose sur la dimension morale contenue dans la demande. Prendre en compte autrui pour améliorer ses conditions de vie, en particulier lorsqu’il est démuni, fait référence à la responsabilité envers l’autre, principe auquel les salariés s’identifient personnellement. Ils reconnaissent la demande du point de vue de la firme qu’ils décrivent comme ayant une responsabilité envers la société, donc envers les plus démunis.

Une partie des salariés interrogés justifie cette prise en compte d’autrui en se référant à l’histoire de leurs entreprises, anciennes sociétés de service public. Un tel passé induit une certaine prise de conscience quant à la délivrance d’un service à l’ensemble d’une population quelle qu’en soit le revenu, puisque le service est

formulée à l’extérieur pour la réduction de la pauvreté serait légitime au nom de cette mission de service public, permettant à chacun de disposer des biens publics vitaux.

« Nous, on vient avec notre culture de la délégation de service public c'est-à-dire de service public rendu. Donc, on arrive en disant : « Ce qu’il faut faire, c’est de l’eau potable pour tous et non pas une eau pour les riches et une eau moins potable pour les plus pauvres. » (Entreprise B)

De façon générale, les salariés reconnaissent la demande provenant de la ‘société’ comme dans le bon droit, car ils considèrent personnellement que les entreprises sont des acteurs puissants et riches. Il serait donc légitime de leur demander de développer des actions pour réduire la pauvreté au nom de leur responsabilité de l’entreprise, notamment envers l’ensemble de leurs clients, même les plus démunis.

« […] un patient épileptique ou encore pire un patient mental, dans beaucoup de pays en voie de développement, c’est quelqu’un qui souvent est exclu de la société, parce qu’on pense que c’est quelqu’un qui est habité par le démon. Ce qui manque, ce sont les personnes, qui sachent reconnaître la maladie. On met un nom sur la condition de la personne donc on peut trouver un traitement. L’équipe BoP, nous commençons à travailler là-dessus. L’épilepsie et les maladies mentales tout le monde s’en fiche, alors qu’en réalité, le pourcentage de la population infectée par ces maladies est exactement la même dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. Pour nous c’est intéressant, parce que là on aborde la question des maladies chroniques. Et maladies chroniques ça veut dire traitements pendant des années, voire des traitements à vie et là c’est prendre une responsabilité particulière vis-à-vis des patients. » (Entreprise G)

Toutefois, ils ne justifient pas la prise en compte que pour des raisons institutionnelles, mais également pour des raisons personnelles. Par exemple, dans le verbatim qui suit, le salarié analyse la demande formulée à l’entreprise. Il semble la juger, d’un point de vue personnel, moralement acceptable, car elle permetterait de faire évoluer positivement la prise en compte des grands problèmes sociétaux. L’implication personnelle est particulièrement visible par les emplois répétés du « je » et du « moi ».

« […] L’autre exemple ce sont les maladies chroniques et moi, je vois bien le truc, additivement, je vois bien que c’est le défi de demain. Les activistes, moi, je dis ça de façon très positive, les activistes ont beaucoup changé les choses et heureusement qu’il y en a ! […]. Le défi aujourd’hui c’est le Sida, le machin, demain, je pense que ça va être, et à juste titre, le diabète, les maladies cardiovasculaires ... » (Entreprise G)

Les salariés BoP mentionnent également leur attachement personnel à la dimension sociétale. Ils exposent la manière dont ils ont été eux-mêmes touchés par leurs rencontres avec les consommateurs pauvres.

« Moi, qui me suis intéressé au paludisme par le hasard des choses, effectivement c’était une maladie qui me … . Je n’avais pas réalisé à quel point [c’était] quelque chose de dramatique en termes d’impacts. » (Entreprise G)

Ils semblent donc reconnaître que cette demande est légitime, car elle ferait référence à leurs valeurs personnelles. Elle raviverait en eux la sensibilité pour la condition d’autrui défavorisé. Ils semblent donc démontrer ainsi qu’ils adhèrent à la demande et c’est pourquoi ils cherchent à faire évoluer les projets dont ils sont responsables.

« En principe, on pense qu’on devrait démarrer dans un ou deux pays, en 2011 ; l’année prochaine, en pilote. C’est penser de façon économique. [Mais] disons, que moi, par nature, la partie sociale, je tiens. J’ai un rôle dans le projet et je tiens à ce qu’il ait quand même une mesure sociale. » (Entreprise J)

Certains se définissent eux-mêmes, spontanément, comme des acteurs de la société civile, engagés en tant que bénévoles ou anciens professionnels du secteur du développement international, dont la mission intrinsèque est la réduction des inégalités. Ils semblent donc se poser comme étant personnellement engagés dans l’amélioration de la condition d’autrui.

« J’étais bénévole de l’Adi85 et j’avais lancé un petit réseau qui s’appelait Jacadi, […] un

truc complètement informel avec quelques copains qui avaient envie de faire du bénévolat » (Entreprise K)

« J’ai travaillé quelques années à l’étranger. J’ai fait une rupture d’une année, il y a plus de 10 ans maintenant, où je suis partie au Cambodge et où j’ai travaillé dans une institution de micro-finance » (Entreprise J)

« Je viens du monde des ONG : chez Caritas, d’abord, puis Care International après. Care pendant 8 ans. Après j’ai été 3 ans chez Z où je travaillais également sur les sujets de développement durable disons sociétale sur le métier « mines ». Z dans les pays comme le Niger et tout ça, et puis ici depuis 2 ans. » (Entreprise E)

Ainsi, les salariés interrogés s’identifieraient à la demande d’actions dans le sens de la réduction de la pauvreté qui est adressée à leurs entreprises. Ils semblent reconnaître le caractère moral de la demande. Ils semblent admettre ensuite personnellement adhérer à ce code moral. Ils avouent donc se sentir membres de la communauté régie par ce code malgré le fait que cette demande ait été, au premier abord, identifiée à l’extérieur de l’entreprise. Par cette identification personnelle au code et leur appartenance à cette communauté extérieure, la demande de prise en compte de la pauvreté est réintégrée dans l’entreprise par le salarié responsable du projet destiné à la Base de la Pyramide.

2.1.2 Alignement du salarié sur les principes du monde des affaires

Les salariés semblent également considérer comme légitime la demande d’alignement sur les principes du monde des affaires. Ils rappellent que la réponse qu’ils formulent doit correspondre au cadre dans lequel leur mission s’inscrit en soulignant qu’ils agissent en gardant en mémoire l’objectif final de l’entreprise : la réalisation de bons résultats financiers, que ce soit de manière directe ou indirecte. En d’autres termes, ils moraliseraient leurs comportements pour démontrer qu’ils sont responsables face aux propriétaires qui les emploient.

« […] quand je travaille avec les assistantes sociales, pour remettre des agents à flot financièrement, je ne le fais pas parce que je suis sœur Teresa, je le fais parce qu’un agent à flot financièrement, qui sait qu’il a un toit pour dormir et bien il sera là le matin, je ne vais pas avoir d’erreurs de caisse. » (Entreprise N)

Ils se définissent comme appliquant le code moral au nom de leur devoir professionnel, mais également, pour certains d’entre eux, au nom de leurs valeurs personnelles. Ils semblent donc adhérer personnellement aux principes du monde des affaires en cherchant à dégager une rentabilité grâce à ces projets.

« Depuis 2003, le Secours Catholique frappe à ma porte pour avoir des sous. En 2007, ils m’appellent, ils me disent : « On a décidé qu’avec vous, on allait former des gens à l’optique, on vous appelle pour qu’on fasse ensemble un petit dispensaire de lunetterie. » Moi qui suis un commerçant, je vois déjà les dollars qui s’alignent sur le chiffre d’affaires que ça va générer à termes, (rire) etc. » (Entreprise D)

« Enfin moi, c’est ma conviction très forte, mais je ne suis pas la seule à dire qu’il y a un potentiel très intéressant là-dessus [c’est-à-dire les projets BoP, pour l’assureur. » (Entreprise I)

Dans le dernier verbatim, la croyance personnelle du salarié de la nécessité de s’aligner sur les principes du monde des affaires est particulièrement visible par l’expression « ma conviction très forte ».

Ainsi, les salariés, par un processus d’analyse d’eux-mêmes, démontrent une adhésion au code normatif du monde des affaires. Ils se définissent en tant que sujets face à des règles économiques et financières qu’ils s’imposent en tant que salariés d’une organisation dont le but est lucratif.

Les salariés disent adhérer personnellement aux deux demandes qui s’imposent à eux dans le cadre professionnel. Dans leurs discours, ces deux demandes ne semblent pas être en opposition. Dans la partie suivante, je montre qu’ils s’appuient sur leurs convictions personnelles pour proposer ce qui leur semble la meilleure réponse aux deux demandes d’accountability.

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