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Les principes de l’interactionnisme symbolique: la création du sens par l’interaction

Chapitre 1. La notion d’accountability en comptabilité: une conception interactionniste empruntée de Pouvoir

1 Le socle théorique de l’accountability

1.2 L’accountability, une notion théorisée par les interactionnistes symboliques

1.2.1 Les principes de l’interactionnisme symbolique: la création du sens par l’interaction

suivante : d’une part le monde est pensé à partir du niveau individuel et de l’interaction, et donc à partir des échanges et des perceptions entre les acteurs, d’autre part cette perception ne peut être construite qu’à partir du regard du chercheur qui, comme le reste des individus, donne du sens à ce qu’il voit, sans pour autant être capable d’en saisir la réalité objective (Simmel 1981). Le chercheur va observer et collecter des faits, les analyser et les interpréter pour proposer un récit argumenté d’une situation sociale composée d’individus qui, en interagissant, créent du sens social.

Ces principes généraux posés, des précisions doivent être apportées. Si l’interaction est l’unité d’analyse retenue, c’est parce qu’elle est à l’origine de la création du sens et donc du monde social. En d’autres termes, ce qui intéresse les sociologues de cette école de Chicago, c’est la manière dont les êtres humains définissent leurs représentations collectives (Blumer 1969). Pour définir le « sens », (« meaning »), Mead (1934), fortement inspiré par les béhavioristes, décrit un processus de création de sens liant les individus les uns par rapport aux autres. Il explique que la mise en relations des individus crée du sens, lequel permet aux individus de mettre en relation les actes sociaux, par la production de références connues de ces mêmes individus. Ces références sont repérées par ces mêmes individus et tels des stimuli, poussent ces individus à réagir. Cette reconnaissance de la référence commune est rendue visible par la production d’une réaction de la part des derniers individus et prendra la forme d’une réponse adéquate au regard des autres acteurs. Le processus de création de sens est donc un enchaînement de stimuli / réponses, apportés par différents individus, qui, chacun à leur tour et en lien les uns avec les autres, s'engageront dans ce processus.

La problématique centrale de l’interactionnisme symbolique est donc de comprendre la façon dont les individus créent du sens social autour et sur des objets. Selon Blumer, un objet dans cette configuration théorique est défini comme : « Tout ce

qui peut être désigné ou auquel il est possible de faire référence8» (Blumer 1969, p 10). Ils peuvent être de différentes natures : physique, sociale ou abstraite (Blumer 1969, p 11), c’est-à-dire, par exemple, « des objets physiques tels que des arbres ou

des chaises, d’autres êtres humain […, des catégories d’êtres humains[…, des institutions […, des idéaux […, des activités [produites par autrui, ou encore toute situation à laquelle un individu est confronté9 » (Blumer 1969, p 2).

8 “[…] an object is anything that can be indicated, anything that is pointed to or referred to”.

9 “[…] Physical objects, such as tree or chairs; other human beings such as a mother or a store clerk, categories of human beings, such as friends or enemies; institutions, as a school or a government; guiding ideals, such as their commands or requests; and such situations as an individual encounters in his daily life.

A partir de cette définition, trois idées principales doivent être retenues. Premièrement, les êtres humains agissent sur les objets selon les représentations qu’ils s’en font. Ils les font donc évoluer en fonction de leurs perceptions individuelles. Pour saisir ce premier élément, il faut comprendre que la création de sens ne prend pas forme seulement au niveau des interactions interindividuelles, mais également au sein d’un même individu. De fait, les interactionnistes symboliques considèrent que cette création de sens passe par une première étape individuelle : celle de la communication entre la part agissante et indépendante de l’individu et la part soumise aux règles sociales, intégrée par l’individu. En tant qu’individu, l’être humain identifie un objet, puis il rentre en discussion avec lui-même et donc avec ses connaissances antérieures pour donner un sens à cet objet (Blumer 1969). La communication entre ce que l’individu voit et ce qu’il sait renvoie à deux entités, théorisées par Mead (1934) comme le « je » (I), qui représente le sujet agissant et le « moi » (me), qui renvoie à l’internalisation de la société par le sujet. Les deux entités sont réunies dans le « soi » (self) et représentent l’individu dans son ensemble. L’individu est donc considéré comme ayant des identités composites (Arrington et Francis 1993). Le « Je » représente la partie active du soi, celle qui réagit aux stimuli extérieurs et qui agit en conséquence. C’est la partie indépendante du soi. Par opposition, le « moi » représente la partie construite du soi. Elle est l’image de la société dans la mesure où l’individu évoluant dans le cadre social du groupe auquel il appartient, en a intégré des règles communes. Le « moi » et le « je » sont en confrontation constante, afin que l’individu puisse développer un comportement agissant par le « je » en adéquation avec les normes intégrées au préalable par le « moi ». Le « moi » surveille et oriente le « je » (Roberts 1991). Le premier principe de l’interactionnisme symbolique est donc un processus de confrontation et de communication entre ces deux entités du « soi », entre cette partie de l’individu qui agit et cette partie qui contrôle en fonction des valeurs intégrées. Ce processus de communication avec soi-même est une première interaction. Son mécanisme est reproduit au niveau des interactions interindividuelles.

Deuxièmement, le sens de ces « objets » est issu des interactions entre individus (Blumer 1969). À chaque interaction, l’individu cherche à obtenir de l’information sur ses interlocuteurs, et s’il le peut, utiliser des informations qu’il connaît déjà (Goffman 1973a). Il va entrer en contact avec d’autres par le langage parlé et gestuel. La communication directe et indirecte, explicite et implicite, occupe une place centrale. Ils échangent pour se comprendre. Tous seront obligés de s’adapter. Par cette interaction, ils adoptent un sens commun de l’objet (Blumer 1969). Ce sens commun sera réintégré par le « moi » qui pourra alors influencer le « je » lors de la prochaine interaction. Toutefois, ce sens commun est plus ou moins officiel car l’information échangée par les acteurs est plus ou moins transparente. De fait, chaque

pour protéger la manière dont il veut être perçu. Ce choix dépend de la proximité des individus (sont-ils amis ou simples collègues ?), du contexte et de la nature de l’information échangée. Cette information sera réinterprétée de façon plus ou moins différente par les autres acteurs (Goffman 1973a). Le tout caractérise la définition du sens social comme subjective.

Troisièmement, ce sens commun évolue au cours du temps, puisque d’une part les interactions entre les êtres humains se produisent et se reproduisent et que d’autre part, elles confrontent des individus toujours différents (Blumer 1969). En d’autres termes, chaque fois qu’un individu est confronté à une nouvelle interaction, le sens est remis en jeu de manière plus ou moins forte et dépend de la proximité sociale et culturelle des deux individus. De fait, s’ils évoluent dans des sociétés proches, leur « moi » respectif intègrera plus de compréhensions communes que s’ils évoluent dans deux sociétés culturellement très différentes. Par ailleurs, la connaissance de l’objet peut être plus ou moins importante chez les individus. Elle sera alors plus ou moins remise en question. Si elle est faible, voire quasi inexistante, la création de sens porte alors sur un objet qui n’a pas été constitué auparavant. Mead (1934) appelle cet état la « symbolisation ».

Finalement, l’interprétation et la réinterprétation du sens sont pensées en mouvement, tel un processus au sein duquel ce sens est revisité de manière constante et de façon collective pour mieux orienter l’action des individus, que ce soit de manière individuelle ou en groupe (Blumer 1969, p5). Ce processus permet de penser la société comme un ensemble d’individus engagés dans des actions et unis par des interactions. Ces interactions sont liées par un enchaînement sans fin qui, pour reprendre les termes de Mead (1934), opèrent sous forme de stimuli / réponses. Un individu repère un objet qui l’interpelle, d’où la création de stimuli. Par une discussion entre le « je » et le « moi », l’individu agit en conséquence du type d’objet et de la connaissance qu’il a de cet objet pour produire une réponse. En parallèle, d’autres individus perçoivent la réponse du premier individu, puisque c’est une production de sens. Cette réponse est réinterprétée comme un stimulus. Les autres individus produisent à leur tour une réponse, qui sera alors perçue comme un stimulus (Mead 1934).

1.2.2 L’interaction créatrice de sens selon les ethnométhodologues :

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