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Deuxième demande : s’aligner sur le but encouru par les actionnaires

Résumé par chapitre

Chapitre 5. La construction du sujet face à de multiples demandes d’accountability

1 Deux demandes d’accountability imbriquées et identifiées comme exerçant

1.3 Deuxième demande : s’aligner sur le but encouru par les actionnaires

En parallèle de cette demande sociétale, les salariés interrogés font référence à une demande économico-financière dont ils situent l’origine dans la nature de l’organisation dans laquelle ils travaillent. Ils positionnent donc leur mission comme devant répondre à la demande sociétale dans leur contexte professionnel, soit celui d’une entreprise qui cherche à faire du profit pour le redistribuer aux actionnaires. Par conséquent, ils expriment qu’ils ne peuvent répondre à une demande sociétale que s’ils incluent les principes du monde des affaires.

« On doit être en phase avec les objectifs business. On doit lui apporter des choses en plus, mais on ne peut pas être à la marge. » (Entreprise H)

En d’autres termes, quand les salariés repositionnent la demande sociétale par rapport au cadre des organisations qui les emploient, ils se réfèrent à un code normatif qui impose le respect de règles renvoyant au principe du monde des affaires.

Ils soutiennent que le fait même de s’intéresser à un sujet sociétal rend leur travail plus complexe puisque leurs collègues des autres départements perçoivent leur travail comme relativement suspect. Par conséquent, la nécessité de s’aligner sur les codes normatifs du monde des affaires est d’autant plus forte. En somme, le fait de s’intéresser à d’autres objectifs que ceux liés uniquement à la réalisation d’un profit semble créer un clivage entre les équipes de RSE et les autres.

« On pourra nous, dans notre discours RSE être plus crédible et plus factuel, parce qu’il y a des gens qui nous challengent. Quand on parle de la Base de la Pyramide avec les gens du Marketing de la zone Afrique, ils disent « vous nous parlez de faire des services pour les plus pauvres mais nous on fait ça tous les jours » Donc potentiellement pour eux, enfin je caricature un peu, tous les services en Afrique c’est de la Base de la Pyramide, enfin c’est complètement faux, enfin mais voilà, […]. » (Entreprise H)

Ces discussions sont présentées comme étant d’autant plus nécessaires puisque les projets sociétaux ne peuvent être lancés sans le soutien d’autres équipes de l’entreprise, mais surtout sans certains accords des dirigeants. En d’autres termes, si les salariés n’obtiennent pas les ressources matérielles et immatérielles nécessaires pour développer les projets destinés à la Base de la Pyramide, ils ne peuvent pas envisager de répondre à la demande sociétale. Dans ce cas de figure, ils ne peuvent pas réaliser leur mission et donc ne sont pas capables de remplir les conditions de leur

accountability hiérarchique. Ainsi la conviction des salariés dirigeants est présentée

comme un passage obligé pour développer les projets destinés à la Base de la Pyramide, destinée à répondre à la demande sociétale. Une telle conviction induit la compréhension des attentes de ces dirigeants.

« Il faut qu’on puisse parler en interne, à la fois à nos patrons, mais aussi à ceux qui conçoivent les offres, à ceux qui nous mettent en marche dans leur langage et essayer de leur faire comprendre quel est leur intérêt. » (Entreprise N)

« Moi, je l’ai bien vu quand j’ai commencé à en parler. Il y a un certain nombre de responsables qui, très vite, se sont dit « oui, on sent bien, intuitivement qu’il y a une part de marché très importante qui n’est pas servie et d’un autre côté, on voit bien ce que l’assurance a apporté et pendant les siècles derniers dans les pays développés, donc, c’est une bonne manière de participer au développement économique ». Mais ils exprimaient également un frein qui était très fort : « j’ai des ressources en tant que CCO assez limitées : où sont les priorités et comment je dois agir avec mes ressources ? » (Entreprise I)

Globalement, les salariés interrogés disent ressentir une demande comptes de la part de leurs responsables à aligner la réponse qu’ils produisent pour répondre à la demande d’accountability sociétale aux exigences du monde des affaires. Cependant ces dirigeants ne sont pas responsables de la bonne conduite de l’entreprise pour eux-

mêmes, comme pourrait l’être un dirigeant d’une entreprise familiale, puisque la quasi- totalité des entreprises du panel est cotée sur le CAC40 et possède un capital dispersé84. Les dirigeants sont donc eux-mêmes responsables devant les propriétaires de ces grands groupes cotés. Ils ont pour mission d’assurer aux actionnaires un retour sur investissement correspondant à leurs attentes.

Ainsi, si cette demande de respect de la mission économique et financière est dirigée vers les professionnels de la fonction RSE, elle émane de la hiérarchie, incarnée par le spectre des propriétaires. Cette demande, qui est en adéquation avec les principes économiques et financiers, est diffuse dans l’entreprise. Elle prend place à un niveau moins élevé que la demande sociétale, car elle englobe un panel plus restreint d’acteurs directement liés à l’entreprise, notamment par des contrats de travail. Contrairement à la première demande, les acteurs qui en sont à l’origine, sont facilement identifiables malgré le fait qu’ils ne sont pas tous directement nommés.

Les salariés sont donc contraints, pour faire avancer leurs projets et pour être en mesure de réaliser leur propre accountability hiérarchique, de proposer une réponse d’accountability qui satisfasse également la demande de recherche de profit provenant de l’intérieur de l’organisation, c’est-à-dire de la hiérarchie. Les intérêts des actionnaires sont représentés au sein des entreprises, par l’ensemble des salariés qui exercent une pression et un contrôle d’ensemble sur les salariés de la RSE pour qu’ils alignent leur travail sur les exigences des propriétaires. Ce sont les salariés de la RSE eux-mêmes qui, par leur contrat avec l’entreprise, se contraignent eux-mêmes pour rendre des comptes à leurs employeurs. Cette seconde demande d’accountability exerce une pression sur le salarié responsable de prendre en compte la réduction de la pauvreté, par une demande diffuse dans l’entreprise, renvoyant à un ensemble de principes visant à satisfaire les marchés.

En somme, la mission du salarié RSE consiste à répondre à deux demandes d’accountability imbriquées l’une dans l’autre provenant de deux audiences différentes. Ces deux demandes sont vagues et diffuses. L’accountability hiérarchique du salarié RSE en tant que telle est multiple puisque pour remplir sa mission et répondre à la

84 Une entreprise fait exception, car 100% de son capital est détenu par des entités publiques. Il n’en reste pas moins que les dirigeants sont responsables devant ces collectivités publiques. Il faut d’ailleurs noter que la responsable des projets Base de la Pyramide au sein de cette entreprise adhère particulièrement au code moral renvoyant au monde des affaires et a décrit la direction de son entreprise comme répondant avant tout aux principes économico-financiers.

demande de la hiérarchie, il doit prendre en compte la demande émanant de la société et aligner sa réponse aux exigences des actionnaires.

2 Répondre aux demandes d’accountability selon un prisme personnel

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