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L’entretien comme exercice d’accountability entre interviewé et interviewant

Résumé par chapitre

A CTEURS F ONCTION DANS LE SECTEUR DE LA B ASE DE LA P YRAMIDE

2.5 L’entretien comme exercice d’accountability entre interviewé et interviewant

L’entretien est une mise en scène, où les individus cherchent à donner une certaine image d’eux-mêmes (Goffman 1973a). Ils peuvent par exemple, utiliser l’entretien à des fins politiques et essayer ainsi de faire passer un message allant dans la défense de son intérêt propre (Alvesson 2003). Dans les entretiens que j’ai menés auprès des salariés de la Base de la Pyramide, j’ai pu constater qu’ils s’attardaient beaucoup sur les difficultés qu’ils rencontraient pour légitimer leurs démarches. Ils se présentaient souvent comme n’étant pas compris par leurs autres membres avec qui ils travaillaient et devant faire preuve de beaucoup d’énergie pour faire passer leurs messages. L’image dans laquelle l’interviewé se présente à l’intervieweur influence le chercheur dans son analyse (Alvesson 2003; Devereux 1980). Par conséquent, je n’ai pas cherché à savoir si cette difficulté était réelle, ce qui aurait nécessité de rencontrer les autres acteurs travaillant avec les salariés interrogés. En revanche, j’ai choisi d’utiliser cet aspect comme point de départ pour comprendre en quoi consistait l’accountability de ces salariés, puisque la réponse d’accountability est l’explication et donc la justification d’un comportement par rapport à une communauté de valeurs ; et si la constante nécessité du manager responsable du programme destiné à la Base de la Pyramide à justifier son action était due à une situation non classique de rendu de comptes. En d’autres termes, j’ai essayé de comprendre pourquoi le manager avait besoin de se justifier.

De plus, je peux imaginer qu’au moins certains interviewés ont profité de l’entretien pour se créer un espace où se confier82. L’entretien est reconnu comme ayant des effets psychanalytiques (Devereux 1980). Dans ce cas-là, le manager insiste sur ce qui le contrarie dans son travail. Les oppositions que rencontrait le manager dans la réalisation de sa mission étant le point central de cette série d’entretiens, il est probable que mes interlocuteurs aient insisté sur cet aspect car ils avaient un espace de liberté pour s’exprimer. Cette hypothèse peut être renforcée par le fait qu’au début de la rencontre, je me présentais comme relativement favorable à ce genre de solution. Ils n’avaient donc pas à justifier leur action. En revanche, ils pouvaient me considérer comme une de leurs alliées. Ainsi si l’interlocuteur influençait mes questions et mes analyses, la perception qu’il avait de moi l’influençait aussi. L’entrevue est donc un processus où les deux (ou plus) interlocuteurs s’influencent l’un l’autre (Devereux 1980), ce dont je m’efforce d’être consciente dans mes analyses. J’imagine que le fait que je sois une jeune femme, issue d’une institution ayant une bonne renommée dans le milieu des affaires, mais également sans expérience en entreprise et ayant étudié un cas médiatisé de projet de la Base de la Pyramide, ont également pu influencer leur réponse.

Ensuite, les humeurs ainsi que les angoisses des deux parties influencent aussi le cours des entretiens. Afin de prendre en compte cet aspect dans mes analyses, j’ai pris le soin de noter avant et après chaque entretien, mes émotions et mon ressenti.

Le 30 juin 2010

« Rendez-vous [chez N […

Ambiance, tendue mais sans problème. Je dirais comme il faut [pour obtenir l’information. L’interlocuteur est sympa, rigole beaucoup (trop ?) [Cela me met un peu mal à l’aise. Je suis très fatiguée ce matin, ça n’aide pas.»

Extrait du journal de bord

De plus, étudier le processus d’accountability en menant des entretiens est par la nature de l’objet, délicat. Le fait de poser des questions conduit la personne interrogée à produire des comptes, pour répondre à la question. L’entretien est lui-même un processus d’accountability. Souvent lors des entretiens, l’interlocuteur vérifiait plusieurs fois si j’avais compris son propos. En d’autres termes, il s’assurait que nous étions en phase sur le sens du message qu’il souhaitait faire passer. Dans l’extrait suivant l’interlocuteur, s’assure de ma compréhension, en utilisant à plusieurs reprises le terme : « d’accord ? » :

« […] D’accord ? Donc et ça c’est essentiel, c’est vraiment une problématique business, une problématique de part de marché, d’accord ? Deuxième facteur important qu’il faut comprendre dans nos approches de la Base de la Pyramide, là on va retrouver un peu le modèle [de l’entreprise A, c’est que nous sommes sur des marchés, dans lesquels il y a une certaine « inexplorabilité », c'est-à-dire que l’on sait qu’un jour les gens porteront des lunettes et on est sur des marchés où on a relativement peu de professionnels de la vue. Notre goulot d’étranglement sur la croissance c’est ça. C’est le nombre de professionnels de la vue, formés, et qui peuvent aller faire des examens de la vue. D’accord ? »

Extrait de l’entretien de l’entreprise D Ainsi, étudier l’accountability à partir d’entretiens nécessite de dépasser le rendu des comptes entre l’interviewé et l’intervieweur pour aller au-delà de l’analyse du contenu des réponses, qui s’adressent au chercheur et être en mesure d’identifier à quelles communautés de valeurs l’intervieweur fait référence quand il propose une justification. Faire émerger de tels systèmes déontologiques nécessite d’utiliser les transcriptions d’entretiens comme base pour l’analyse de discours (Sinclair 1995).

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