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Le retard dans l’adoption d’une législation moderne sur les droits des handicapés et ses limites

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 159-164)

II LES LIMITES DE LA LEGISLATION SUISSE

C. Le retard dans l’adoption d’une législation moderne sur les droits des handicapés et ses limites

La conception réductrice du handicap qu’on vient de présenter est encore largement présente en Suisse. Depuis quelques années, on a toutefois assisté à l’adoption de nouvelles normes juridiques qui ont contribué à donner une vision plus moderne du handicap.

1. L’interdiction de discriminer

Dans le cadre de la révision totale de la Constitution fédérale entrée en vigueur le 1er janvier 2000, on a adopté un nouvel article 8 al. 2 Cst. qui affirme que « nul ne doit subir de discrimination du fait d’une déficience physique,

mentale ou psychique ». Il s’agit d’un droit fondamental directement justiciable qui

interdit toute forme de discrimination directe et indirecte envers les personnes handicapées. En tant que droit fondamental il est directement invocable à chaque personne handicapée. S’il est vrai que du point strictement juridique l’interdiction de discriminer découlait déjà de l’égalité de traitement garantie par l’ancienne Constitution fédérale, il est incontestable que l’adoption de la règle susmentionnée renforce l’obligation de lutter contre la discrimination des personnes handicapées10. Encore faut-il préciser quel est le contenu réel de l’interdiction de discriminer. Selon la théorie de « l’Anknüpfungsverbot » développée surtout en Allemagne, il y a discrimination si on utilise l’état de santé comme un critère juridique pour traiter de manière inégale les personnes handicapées. Cette théorie prône une neutralité totale du système juridique par rapport au handicap. Elle a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. La principale objection est celle de dire que l’interdiction totale d’utiliser le critère de l’état de santé interdit aussi la possibilité de développer une législation spéciale destinée à soutenir les personnes handicapées. Cette critique n’est pas fondée. L’interprétation historique et téléologique des dispositions visant à interdire la discrimination montre en effet qu’elles n’ont pas été conçues afin de rendre plus difficile la mise en place de telles lois, mais exclusivement pour protéger le groupe de personnes concernées. Malgré cela, la théorie susmentionnée n’a pas encore trouvé une place stable en Suisse11. L’utilisation de critères liés à l’état de santé afin de fonder des inégalités de traitement demeure ainsi possible lorsque l’inégalité repose sur des motifs

justificatifs qualifiés. La notion de discrimination utilisée en Suisse s’apparente

donc à la jurisprudence sur les «suspect classification» appliquée aux Etats-Unis : il est possible de traiter de manière inégale une personne handicapée si on est en mesure d’apporter une preuve qualifiée qu’il existe un intérêt public pertinent et prépondérant pour le faire.

Dans la pratique, la protection offerte par la notion de discrimination retenue en Suisse est donc relativement modeste. Elle n’a notamment pas empêché le

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Pour une présentation générale de toute la question cf. Caroline Klein, La discrimination des personnes handicapées, Berne 2002.

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Même si elle est de facto à la base de la jurisprudence sur l’interdiction de discriminer en raison du sexe qui justifie des inégalités de traitement entre les hommes et les femmes seulement si elles reposent sur des raisons biologiques et fonctionnelles incontournables, ce qui est encore admis seulement pour les aspects strictement liés à la maternité (cf. parmi beaucoup d’autres ATF 123 I 56, 108 Ia 22, 31).

Tribunal fédéral d’admettre la constitutionnalité d’une norme qui nie l’existence d’un droit général pour les enfants gravement handicapés de fréquenter une école normale: des difficultés importantes à suivre une scolarité normale ont été considérées comme un motif justificatif suffisamment qualifié pour justifier une telle inégalité de traitement12. Dans la même optique, il n’est pas discriminatoire de limiter l’application des dispositions sur l’élimination des barrières architecturales, prévues par la LHand et par les différentes lois cantonales sur les constructions, seulement aux nouvelles constructions ou à celles qui sont rénovées de manière importante : les coûts trop élevés liés à l’élimination des barrières dans les autres cas sont un motif justificatif suffisamment qualifié permettant de restreindre licitement la liberté de mouvement des personnes handicapées (cf. aussi infra sub II C 2 lit. a).

2. La faiblesse de la loi fédérale sur l’égalité des personnes handicapées

Suite à l’introduction le 1er janvier 2000 d’un nouvel art. 8 al. 4 Cst affirmant que « la loi prévoit des mesures en vue d’éliminer les inégalités qui frappent les

personnes handicapées », la Confédération a adoptée le 1er janvier 2004 la loi fédérale sur l’égalité des personnes handicapées (LHand). Contrairement à la LAI, la LHand s’inspire un peu plus à la notion de handicap retenu par la Classification de l’OMS. Cette loi contient ainsi des normes visant à supprimer les obstacles environnementaux à l’intégration sociale des personnes handicapées, comme par exemple les barrières architecturales et les restrictions à l’accès aux services offerts au public. Comme il s’agit d’une loi assez compliquée, il est impossible d’en présenter tous les détails13. L’examen de certains aspects de celle-ci permet cependant de se faire une première idée sur les limites de cette loi.

a) L’élimination des barrières architecturales

Vu la compétence générale des cantons en matière de construction, les dispositions relatives aux barrières architecturales prévues par la LHand s’appliquent directement seulement aux constructions de la Confédération ou a celles financées par celle-ci. Pour les autres constructions, les normes susmentionnées ne sont pas directement applicables et se limitent à obliger les cantons à adapter leur législation aux paramètres fixés par la LHand14.

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ATF 130 I 352.

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Pour une présentation plus approfondie de cette loi et des règles constitutionnelles sur lesquelles elle repose cf. Adriano Previtali, Le recenti innovazioni della normativa federale sulle persone disabili, in : Marco Borghi (éd.), L’autonomia del disabile nel diritto svizzero, Bellinzone/Bâle 2004, p. 153ss, 178ss.

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ATF 132 I 82 ; pour un commentaire de cette décision cf. Adriano Previtali, La LHand et les barrières architecturales, BR/DC 2/2006 p. 58ss. Pour un examen plus général de la législation sur les barrières architecturales voire du même auteur Behindertengerechtes Bauen, BR/DC 2/2001 p. 47ss.

Au-delà de ces questions de compétence, le contenu des règles de la LHand sur l’élimination des barrières architecturales est assez modeste. Ces normes s’appliquent seulement aux bâtiments et aux constructions ouvertes au public, aux maisons d’habitation avec plus de huit appartements et aux usines avec plus de 50 employés, qui sont construits après l’entrée en vigueur de la loi. Les propriétaires des constructions plus anciennes n’ont aucune obligation de rendre accessibles celles-ci jusqu’au moment où ils n’entreprennent pas des travaux de rénovation importants. Le législateur fédéral admet ainsi implicitement la légitimité de la discrimination des personnes handicapées en matière de mobilité pour plusieurs décennies encore. Mais ce n’est pas tout. Les normes susmentionnées ne prévoient que l’obligation de rendre l’immeuble accessible. Ce qui ne comporte pas en soi l’obligation d’adapter l’aménagement intérieur de celui-ci aux besoins des personnes handicapées. S’il est vrai que la LHand n’interdit pas aux cantons d’aller plus loin (art. 4 LHand) et qu’un certain nombre de ceux-ci – voire des communes15 – se sont donnés des règles qui garantissent mieux le droit à la mobilité des personnes handicapées - notamment pour ce qui concerne l’obligation d’aménager l’intérieur des bâtiments ouverts au public -, il n’en demeure pas moins que le contenu assez modeste de la LHand est assez surprenant et décevant pour un pays comme la Suisse.

b) L’accessibilité aux services privés offerts au public

L’art. 6 LHand interdit aux fournisseurs privés de services adressés au public de discriminer les personnes handicapées. La notion de fournisseur de services doit être comprise au sens large et comprend, par exemple, les prestations offertes par un grand magasin, par un restaurant, par une compagnie d’assurance privée etc. En cas de constatation devant un juge qu’un fournisseur de services a discriminé une personne handicapée, celle-ci n’a pas le droit d’obtenir la prestation qu’on lui a nié mais seulement la possibilité de recevoir une indemnité pécuniaire de 5’000 francs au maximum (art. 8 al. 3 et 11 al. 3 LHand). Ce principe a été rappelé aussi récemment par le Tribunal fédéral dans un cas relatif au refus de la part d’un assureur privé de conclure un contrat contre le risque de maladie avec une personne tétraplégique16. L’extrême prudence manifestée par le législateur fédéral s’explique par le fait que la Suisse possède un système très libéral en matière contractuelle qui ne prévoit que très exceptionnellement l’obligation pour une partie de conclure un contrat avec un tiers. Ce qui est intéressant de relever est le

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Il faut signaler que même des communes assez petites ont su adopter des lois sur les constructions qui vont beaucoup plus loin par rapport au droit fédéral et au droit cantonal et que ces règles communales sont directement applicables (cf. p. ex. la décision R 06 36 du 26 octobre 2006 du Tribunal administratif du canton des Grisons dans le cas du règlement de construction de la commune de Roveredo).

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fait que d’après les principes généraux développés en doctrine, il n’est en général pas admis de refuser de conclure un contrat portant sur des services essentiels pour des raisons discriminatoires, cela en tout cas si la conclusion d’un tel contrat ne représente pas une restriction excessive des intérêts (p. ex. patrimoniaux) de celui qui offre la prestation au public17. C’est ainsi que, un peu paradoxalement par rapport à l’objectif qu’elle poursuit, la LHand semble avoir adopté une solution plus rigide par rapport aux règles dégagées par la doctrine.

c) L’accès sans discrimination à l’enseignement

Dans un arrêt récent18, le Tribunal fédéral a confirmé que l’art. 20 LHand - qui affirme que les cantons doivent mettre en œuvre une politique scolaire visant à intégrer le plus possible les enfants handicapés dans les écoles normales - ne crée pas en règle générale de nouveaux droits subjectifs en faveur des enfants handicapés. Conformément à l’art. 19 et à l’art. 62 al. 2 Cst, les enfants handicapés sont seulement titulaires du droit à obtenir une formation de « base suffisante », ce qui ne signifie pas qu’ils ont nécessairement un droit à être scolarisés dans une école normale, voire dans une école de leur choix.

Vu que l’organisation de l’enseignement primaire est du ressort des cantons, c’est à eux qu’il appartient d’adopter des lois permettant de garantir de manière effective l’existence d’un enseignement suffisant aussi pour les enfants handicapés. En général, on peut dire que tous les cantons font des efforts pour favoriser dans la mesure du possible l’intégration dans des classes normales des enfants qui souffrent d’un handicap physique. Hormis les cas les plus graves, ces enfants sont donc intégrés dans des classes normales. En cas de besoin, l’assurance invalidité prend en charge les moyens auxiliaires nécessaires.

Le problème se pose différemment pour les enfants handicapés qui souffrent d’un handicap mental ou psychique. Même si la solution varie en fonction de la gravité du handicap, l’analyse de la législation cantonale nous permet de partager les cantons en deux grands groupes. Certains cantons partent de l’idée que ces enfants doivent aussi profiter d’une intégration complète et qu’ils doivent pouvoir suivre au moins partiellement le cursus scolaire normal19. D’autres cantons pratiquent par contre encore assez largement l’enseignement spécial classique20. C’est ainsi qu’en principe les enfants qui souffrent d’un retard mental ou de

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Pour les détails cf. parmi d’autres Ernst A. Kramer, Berner Kommentar, ad articles 19 et 20 CO.

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ATF 130 I 352.

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Les cantons du Tessin et du Valais connaissent une des législations les plus développées en la matière (cf. à ce propos la présentation du modèle valaisan publiée dans ce volume).

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difficultés psychiques suivent un parcours de formation distinct par rapport à leurs camarades. Souvent, cette séparation est aussi physique, dans le sens que les écoles spéciales sont situées dans des lieux différents par rapport aux écoles normales. La solution adoptée par le deuxième groupe de canton est critiquable parce qu’elle crée une barrière qui sépare artificiellement le handicap de la vie quotidienne. Or, cela n’est pas seulement préjudiciable aux enfants handicapés, mais aussi - et peut être surtout – aux enfants en bonne santé qui se voient privés de l’occasion de se confronter avec une expérience de vie enrichissante. Il y a un véritable intérêt public, de nature éducative, de faire se rencontrer l’expérience de la normalité avec celle du handicap. Malheureusement, la préoccupation de ne pas préjuger le « niveau de l’enseignement » prévaut encore trop souvent sur l’opportunité d’offrir aux enfants l’occasion de vivre l’expérience de la diversité, ce qui permet entre autre d’améliorer la « qualité de l’enseignement ».

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 159-164)