• Aucun résultat trouvé

Quelques faiblesses structurelles du système juridique

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 156-159)

II LES LIMITES DE LA LEGISLATION SUISSE

B. Quelques faiblesses structurelles du système juridique

Outre ces limites générales susmentionnées, il existe des raisons plus juridiques qui expliquent le retard accumulé en Suisse dans le développement d’une législation novatrice sur les personnes handicapées. On se limitera à signaler deux des principales faiblesses.

6

Cf. notamment l’analyse critique de Jörg Paul Müller, Diskriminierung behinderter Personen de constitutione lata et ferenda, in: Erwin Murer, Eingliederung vor Rechte – Eingliederung in die Sackgasse ?, Berne 1998 p. 1ss, 12ss.

7

L’initiative a été refusée par plus de 60% des votants et a été acceptée seulement dans les cantons de Genève, du Jura et du Tessin.

1. Le fédéralisme

En tant qu’Etat fédéral, la Suisse est organisée sur deux niveaux institutionnels : un niveau central, la Confédération, et un niveau local, les cantons (qui sont au nombre de 26). La Constitution fédérale reconnaît aux cantons d’importantes compétences dans plusieurs domaines qui touchent directement les droits des personnes handicapées. Ainsi, les cantons disposent de compétences presque exclusives en matière d’enseignement obligatoire, d’élimination des barrières architecturales, d’organisation des institutions pour personnes handicapées et, plus généralement, des politiques sociales et sanitaires. Dans tous ces domaines il existe en Suisse 26 régimes législatifs différents. Comme l’a confirmé le Tribunal fédéral dans des arrêts récents, l’adoption en l’an 2000 des nouvelles dispositions constitutionnelles sur les droits des personnes handicapées (art. 8 al. 2 et 4 Cst.) et, en 2004, de la LHand n’a pas modifié la situation de manière substantielle8.

Si, en général, le fédéralisme permet de mieux s’adapter aux besoins des réalités locales et d’expérimenter sur la base régionale des solutions qui peuvent par la suite être reprises au niveau national, il faut avouer que dans un domaine relativement complexe comme celui du handicap, ce système d’organisation de l’Etat a au moins deux conséquences négatives. D’une part, le fédéralisme a contribué à rendre plus difficile la mise en place d’une politique cohérente et novatrice surtout dans les cantons ne disposant que de ressources financières et humaines limitées. D’autre part, l’organisation fédérale a laissé subsister des inégalités de traitement relativement importantes entre les différentes régions de la Suisse: il n’est pas tout à fait pareil d’être handicapé dans un canton plutôt que dans un autre, on y reviendra plus loin avec la présentation de l’exemple de la formation primaire (cf. infra sub II C 2 lit. c).

Le fédéralisme suisse est en train de connaître une réforme importante qui touche aussi les politiques en faveur des personnes handicapées. En novembre 2004 le peuple et les cantons ont accepté l’introduction de la nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT) qui sera progressivement mise en vigueur à partir de 2008. Un des principaux buts de la RPT est de partager plus clairement les compétences cantonales et fédérales afin de renforcer l’autonomie décisionnelle des cantons dans les domaines où ils disposent traditionnellement de compétences exclusives en évitant ainsi des doublures et des coûts excessifs. La réforme prévoit, par exemple, que la création et la gestion des institutions pour personnes handicapées reviennent exclusivement aux cantons.

8

Beaucoup craignent que cette révision puisse accroître ultérieurement les inégalités intercantonales. Il s’agit d’un danger réel qui devrait toutefois être limité grâce à l’adoption de deux types de normes accompagnant la RPT. D’une part, la Confédération a reçu la compétence d’adopter des lois-cadres valables sur l’ensemble du territoire national visant à imposer aux cantons le respect d’un standard minimal de prestations dans certains domaines qui relèvent désormais de la compétence exclusive de ces derniers comme par exemple les institutions pour les personnes handicapées (cf. aussi infra sub II). D’autre part, la RPT renforce la possibilité – en créant aussi en partie l’obligation - pour les cantons de collaborer entre eux dans des secteurs relevant de leur compétence à travers l’adoption de traités intercantonaux, ce qui permettra de mieux coordonner la législation cantonale dans des domaines sensibles pour les droits des personnes handicapées comme l’enseignement spécialisé ou la gestion des homes (art. 48a Cst)9.

2. L’absence d’une approche systémique au handicap

Selon la notion de handicap de l’OMS, le handicap est le résultat négatif de la rencontre entre une fragilité physique, mentale ou psychique d’une personne et les obstacles que le système normatif social pose à l’acceptation des besoins spécifiques de ces individus. Il y a handicap si les règles environnementales empêchent ou rendent plus difficile à la personne atteinte dans sa santé d’exercer les actes habituels de la vie comme se déplacer, suivre une formation, travailler, participer à la vie sociale et culturelle etc. Ainsi compris, le handicap n’est pas prioritairement un phénomène individuel et sanitaire, mais c’est plutôt un problème environnemental et social. S’il existe un environnement social adapté aux besoins de l’individu atteint dans sa santé il n’y a pas de situation de handicap. Par contre, si l’environnement n’est pas adapté aux besoins de ces personnes, on se trouve en présence d’une situation de handicap.

Cette approche, qui est largement acceptée dans beaucoup de pays, n’est pas encore appliquée de manière satisfaisante en Suisse. Cela est aussi dû au fait que pendant plusieurs décennies le problème du handicap a été abordé dans ce pays principalement sous l’angle des assurances sociales. La loi plus importante en la matière est la loi fédérale sur l’assurance invalidité (LAI) qui est en vigueur depuis 1960. Le but principal de cette loi est d’assurer chacun contre le risque de perte de la capacité de gain causé par une atteinte grave et de longue durée à la santé. Cet objectif doit être atteint à travers l’adoption de toute une série de mesures visant à éviter la perte - ou à récupérer- la capacité de gain de la personne assurée (mesures d’ordre médicales, formation scolaire et professionnelle, attribution de moyens

9

Pour plus de détails sur ce système cf. Jean-Luc Gassmann, De l’implication des Parlements cantonaux à l’élaboration des concordats intercantonaux, Parlement 2/2006 p. 4ss.

auxiliaires etc.). C’est seulement si l’adoption de ces mesures ne permet pas de garder la capacité de gain, que la loi prévoit la possibilité de verser une rente d’invalidité calculée selon le degré d’incapacité de gain.

La LAI propose une conception fortement réductrice du handicap qui peut être résumée de la sorte :

a) Une vision individuelle, sanitaire et économique du handicap :

Contrairement à la définition de l’OMS, la LAI concentre son attention sur la déficience corporelle, mentale ou psychique dans la conviction qu’il faut éliminer le risque assuré en agissant avant tout sur la personne handicapée. La LAI part de l’idée qu’il faut surtout aider celle-ci à s’intégrer dans la vie économique et sociale et non pas de la conviction qu’il est nécessaire de pousser la société à s’adapter aux besoins de ces personnes. Ce faisant, elle impose indirectement à la personne handicapée une sorte de « devoir à la

normalité » plutôt que de chercher d’éliminer les causes

environnementales du handicap.

b) Une perception négative du handicap : Le fait d’être handicapé est vu comme un « risque social » qu’il faut indemniser par le biais d’une prestation d’assurance et non pas comme un fait normal de l’expérience de la vie. Cela conduit souvent à une stigmatisation de la personne handicapée et des personnes atteintes par un handicap psychique en particulier.

c) Une approche technocratique du handicap : La technique législative

typique des assurances exige de réduire le handicap à un phénomène simple, qui peut être quantifié avec des paramètres objectifs et facilement mesurables. C’est ainsi que le handicap est souvent réduit à un problème de pourcentage d’incapacité de travail ou de minutage de besoin d’assistance. Cette approche ne permet pas d’avoir une approche globale (holistique) des besoins de la personne handicapée.

C. Le retard dans l’adoption d’une législation moderne sur les droits des

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 156-159)