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Les causes générales

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 154-156)

II LES LIMITES DE LA LEGISLATION SUISSE

A. Les causes générales

Plusieurs raisons ont contribué à retarder l’essor en Suisse d’une législation moderne en matière des droits des personnes handicapées. En voici quelques-unes.

1. Le rôle important réservé à la responsabilité individuelle

Comme le rappelle l’art. 6 de la Constitution fédérale (ci-après Cst), la Suisse reconnaît un rôle important à la responsabilité individuelle. Cette approche libérale s’applique aussi en matière de législation sociale. Cette idée est, par exemple, à la base de la protection particulière dont jouit la liberté économique et contractuelle. C’est ainsi que contrairement à la plupart des autres pays développés, il n’existe pas en Suisse de règles visant à favoriser l’embauche des personnes handicapées par les entreprises privées. La législation suisse ne connaît ni un système de « quota » ni de véritables mesures – p. ex. des allégements fiscaux ou contributifs - visant à inciter l’embauche des personnes handicapées dans le secteur privé. L’idée est que le simple jeu de l’offre et de la demande et la « responsabilité sociale » des entrepreneurs suffisent à garantir le respect effectif du droit au travail de ce groupe de personnes. La loi se limite à soutenir la formation scolaire et professionnelle des personnes handicapées mais ne prévoit aucune règle qui pourrait porter atteinte à la liberté contractuelle des employeurs2.

De fait, la seule responsabilité sociale des entreprises n’a jamais permis d’assurer une place de travail à un nombre important de personnes handicapées, et cela même pas dans les périodes de plein emploi. L’accroissement de la concurrence internationale due à la globalisation de l’économie semble avoir rendu la réalisation de cet objectif encore plus difficile. Malgré cela, la réponse législative à cette aggravation de la situation est très timide, voire inexistante. La nouvelle loi fédérale sur l’égalité des personnes handicapées en vigueur depuis le 1. 1. 2004 (LHand, RS 151.3) ne contient aucune disposition visant à obliger les entreprises privées à faire plus. La loi se limite à soutenir l’embauche des personnes handicapées dans le secteur public fédéral, sans toutefois arriver à imposer de véritables « quotas » en faveur de ce groupe de personnes (cf. art. 13 LHand). La 5ème révision de la loi fédérale sur l’assurance invalidité (LAI, RS 831.20) qui entrera en vigueur prochainement se limite à rappeler l’existence d’un

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La nouvelle loi fédérale sur la génétique humaine prévoit cependant une interdiction presque totale d’utiliser les données génétiques pour sélectionner les futurs collaborateurs (pour plus de détails cf. Adriano Previtali, Non- discrimination et analyse génétique, in : Charles Joye [éd.], L’analyse génétique humaine, Genève/Zurich/Bâle 2004 p.43ss, 58ss).

devoir pour les entrepreneurs privés de collaborer avec les Offices de l’assurance invalidité afin de favoriser l’embauche des personnes handicapées3. Malgré le fait que la formulation de cette obligation est assez vague et dépourvue d’une véritable sanction, il n’en demeure pas moins que c’est la première fois qu’on précise de manière si claire dans une loi le devoir de l’économie privée d’assumer ses responsabilités vers les besoins des personnes handicapées d’accéder au monde du travail4. Cette règle aura au moins deux effets : d’une part, elle permettra aux offices AI de faire une certaine pression vers les entreprises privées ; d’autre part, la norme pourra aussi être utilisée pour évaluer dans un cas concret la responsabilité de la personne handicapée – mais aussi de l’office AI - dans l’éventuel échec de son intégration professionnelle5.

2. Les faiblesses de la société civile

Conformément à une tradition associative très développée, il existe en Suisse plusieurs centaines d’associations et de fondations privées qui s’occupent de protéger et de promouvoir les droits des personnes handicapées et de leurs familles. Ces organisations sont souvent partiellement financées par l’Etat. En dépit de cette haute densité, rares sont les organisations qui sont actives sur l’ensemble du territoire national et qui s’occupent du handicap de manière globale : la plupart de ces organismes agissent dans une région déterminée du pays ou s’intéressent à un aspect particulier du handicap. Pendant longtemps, une organisation suffisamment structurée au niveau national et en mesure de défendre de manière efficace les besoins de cette catégorie de personne avec un travail de « lobbying » au niveau des institutions politiques, de l’économie et de la société civile a fait défaut.

Cette situation a été partiellement améliorée ces dernières années. D’une part, les principales associations pour les personnes handicapées ont créé un organisme national (DOK) chargé de coordonner et de promouvoir le travail de lobbying au niveau fédéral. Cela a permis d’accroître et de professionnaliser la défense des droits des personnes handicapées surtout dans la phase de l’élaboration des lois fédérales. D’autre part, pour la première fois dans l’histoire suisse, un groupe de personnes handicapées soutenues par un nombre important d’associations pour la

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Le nouvel art. 7c LAI prévoit que « L’employeur collabore activement avec l’office AI. Il contribue à la mise en œuvre d’une solution appropriée s’inscrivant dans les limites du raisonnable ».

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Toutefois, il faut rappeler qu’aussi le droit privé prévoit l’obligation pour les entrepreneurs de protéger les droits de la personnalité de leurs employés (art. 328 CO), ce qui les oblige aussi à prendre en considération les besoins spécifiques des travailleurs qui souffrent d’un handicap physique, mental ou psychique (cf. aussi Pierre Tercier, Les contrats spéciaux, 3ème éd., Zurich 2003, p. 466 n. 3213).

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C’est ainsi, par exemple, que les règles de la LAI qui permettent de sanctionner l’assuré négligent doivent être interprétées en tenant compte aussi de l’engagement manifesté par les entreprises privées à faire tout leur possible pour permettre de trouver une place de travail adaptée aux besoins de la personne handicapée, voire de l’engagement actif des organes de l’AI à rechercher la collaboration active des entrepreneurs.

défense des droits des personnes handicapées a lancé en 2001 une initiative populaire visant à renforcer la défense des droits de ces personnes grâce à une modification de la Constitution fédérale. Même si du point de vue strictement juridique on pouvait avoir quelques doutes sur la réelle efficacité de la révision proposée6 et le fait que l’initiative a été clairement rejetée par la majorité du peuple et par la quasi-totalité des cantons en mai 20037, c’est important de savoir que cette initiative a été la première manifestation concrète sur l’échelle politique nationale de l’existence d’un lobby structuré de personnes handicapées.

3. L’absence de conflits armés

Depuis plusieurs siècles, la Suisse ne connaît heureusement plus le fléau de la guerre. Même s’il peut paraître déplacé de le rappeler par rapport à d’autres pays qui n’ont pas eu cette chance, il est incontestable que l’absence de guerre a paradoxalement contribué à ralentir le développement de la législation en faveur des personnes handicapées. D’une part, la Suisse n’a pas été appelée à solder la dette morale que d’autres pays ont contracté avec des générations d’anciens combattants atteints dans leur santé. D’autre part, l’absence d’une source collective du handicap a probablement contribué à renforcer l’idée que celui-ci appartient avant tout à la sphère privée et familiale et non pas à celle collective. C’est ainsi que contrairement à la « socialisation du handicap » qui s’est produite dans beaucoup d’autre pays qui ont connu les innombrables handicaps physiques, mentaux et psychiques causés par les conflits armés, la Suisse a eu plus de peine à reconnaître que la lutte contre le handicap représente un objectif d’intérêt public prioritaire.

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 154-156)