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LA DISTINCTION ENTRE ETRE HUMAIN ET PERSONNE

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 86-88)

Un nombre croissant de philosophes contemporains4 se refuse à utiliser de manière interchangeable les termes de « personne » et de « être humain ». Ils proposent de définir l’être humain uniquement au plan biologique, c’est-à-dire comme l’équivalent de « membre de l’espèce homo sapiens ». La personne se définit par contre par l’exercice en acte d’un certain nombre de propriétés. Lesquelles ? Bien que les différents auteurs en mentionnent un bon nombre, on peut les ramener à un dénominateur commun : la rationalité et la conscience de soi à travers le temps, ainsi que la moralité et la responsabilité de son action. L’être humain n’est ainsi pas, selon ces philosophes, nécessairement déjà une personne de par sa seule appartenance à l’espèce humaine, mais il ne l’est que dans la mesure où il est un sujet en acte de raison et d’auto-conscience, comme de moralité. Un

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Voir, entre autres, Bernard Baertschi, La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 71 ss. et 157 ss.; Dieter Birnbacher, « Das Dilemma des Personbegriffs », Peter Strasser et Edgar Starz (éds.), Personsein aus bioethischer Sicht, Stuttgart, Franz Steiner, 1997, 9-25; Peter Carruthers, Introducing Persons. Theories and Arguments in the Philosophy of Mind, London, Croom Helm, 1986, 227 ss.; Stéphane Chauvier, Qu’est-ce qu’une personne ? Paris, Vrin, 2003. Tristram H. Engelhardt, Jr., The Foundations of Bioethics, Oxford, Oxford University Press, 1996, second edition, 135 ss., 239 ss.; Harry Frankfurt, « Freedom of the Will and the Concept of a Person », The Journal of Philosophy, 1971 (68), nr. 1, 5- 20, 10 ss.; Norbert Hoerster, Abtreibung im säkularen Staat, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1991; Jonathan Glover, Causing Death and Saving Lives, Harmondsworth, Middlesex, England, Penguin Books, 1977, 1987; Roland Puccetti, « The Life of a Person », William B. Bondeson, Tristram H. Engelhardt, Stuart F. Spicker et Daniel H. Winship (éds.), Abortion and the Status of the Fetus, Dordrecht, Reidel, 1983, 169-182, 172 ss.; Peter Singer, Questions d’éthique pratique, traduit de l’anglais par M. Marcuzzi, Paris, Bayard, 1997, 91 ss. [Practical Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, second edition, 85 ss.], 119 [117 ss.]; Michael Tooley, « Abortion and Infanticide », Philosophy and Public Affairs, 1972 (2), nr. 1, 37-65 et « Personhood » Helga Kuhse et Peter Singer (éds.), A Companion to Bioethics, Blackwell, Oxford, 1988, 117-126 et Abortion and Infanticide, Oxford, Claredon Press, 1983; Mary Anne Warren, « On the Moral and Legal Status of Abortion », The Monist, 1973 (57), 43-61, 43 ss.; Robert N. Wennberg, Life in the Balance. Exploring the Abortion Controversy, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1985, 31 ss.

des auteurs les plus autorisé dans le monde bioéthique, Tristram Engelhardt, précise que

« ce qui distingue les personnes est leur capacité [dans le sens d’être en acte] d’être auto- conscientes, rationnelles et concernées par le mérite de la faute et de la louange. (…) tous les êtres humains ne sont pas des personnes. Tous les êtres humains ne sont pas auto-conscients, rationnels et à même de concevoir la possibilité de la faute et de la louange. Les fœtus, les nouveau-nés, les handicapés mentaux très profonds et les comateux sans espoir [et l’on pourrait ajouter les séniles] fournissent des exemples de non-personnes humaines. Elles sont des membres de l’espèce humaine mais elles n’ont pas en et par elles-mêmes une place dans la communauté morale laïque. »5

Notre auteur soutient, comme le note d’ailleurs également Peter Singer qui est un des philosophes dont les idées ont beaucoup d’impact, que « tous les êtres humains ne sont pas égaux »6. Alors qu’une vie humaine biologique « a très peu de valeur morale en soi »7, la personne humaine possède des droits et une dignité8. Le philosophe australien ne saurait être plus précis lorsqu’il écrit que

« la vie d’un être conscient de lui-même, capable d’avoir des pensées abstraites, de planifier le futur, de produire des actes de communication complexes, etc. [c’est-à-dire une personne] a plus de valeur que la vie d’un être à qui ces capacités font défaut [à savoir un être humain] »9.

Supposons un instant que cette distinction entre « être humain » et « personne » qui prend sa source dans le processus de désubstantialisation de la

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“What distinguishes persons is their capacity to be self-conscious, rational, and concerned with worthiness of blame and praise. (…) On the other hand, not all humans are persons. Not all humans are self-conscious, rational, and able to conceive of the possibility of blaming and praising. Fetuses, infants, the profoundly mentally retarded, and the hopelessly comatose provide examples of human nonpersons. They are members of the human species but do not in and of themselves have standing in the secular moral community.” Tristram Engelhardt, Jr., The Foundations of Bioethics, 138-139. Plus loin, Engelhardt ajoute les séniles parmi les non- personnes (239).

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Ibidem, 135: “Not all humans are equal”. 7

Ibidem, 243: “that mere human biological life is of little moral value in and of itself”. 8

“Insofar as we identify persons with moral agents, we exclude from the range of the concept of person those entities which are not self-conscious. Which is to say, only those beings are unqualified bearers of rights and duties who can both claim to be acknowledged as having a dignity beyond a value (i.e., as being ends in themselves), and can be responsible for their actions. (…) It is only respect for persons in this strict sense that cannot be violated without contradicting the idea of a moral order in the sense of living with others on the basis of mutual respect.” Idem, “Medicine and the Concept of Person”, M. F. Goodman (éd.), What is a Person? Clifton (N.J.), Humana Press, 1988, 169-184, 172-173.

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Peter Singer, Questions d’éthique pratique, 69 : “the life of a self-aware being, capable of abstract thought, of planning for the future, of complex acts of communication, and so on [une personne], is more valuable than the life of a being without these capacities [un être humain]” [61]. Voir 79 [73].

personne opérée par John Locke10 soit fondée rationnellement, on peut se demander quelles en seraient les conséquences au plan de la pratique quotidienne. Qu’en serait-il, plus particulièrement, du statut de l’enfant handicapé mental très profond ? Serait-il fondé de le tuer ou même de l’utiliser à des fins expérimentales impliquant sa mort ?

L’UTILISATION EXPERIMENTALE DE L’ENFANT

Dans le document Droit des enfants en situation de handicap (Page 86-88)