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Restitutions de la vérité en pointure139 (1976) n'est pas un texte publié dans les Maraes de la philosophie, mais dans La vérité en

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 99-104)

peinture (1978). Sa marginalité n'est pourtant pas sans intérêt pour notre recherche. Sa place dans notre travail constitue un choix délibéré de notre part, et cela, selon deux ordres d'idées bien spécifiques : 1) le respect de la chronologie des publications de Derrida, du moins d'une certaine chronologie, 2) son statut de dialogue qui précède, selon nous, les lectures proprement dites consacrées exclusivement à Heidegger. Disons qu'il est partout question de Heidegger dans La vérité en peinture, mais les trois premiers textes publiés dans ce livre sont encore moins préoccupés de la pensée heideggerienne que ne l'est Restitutions de la vérité en pointure. Selon nous, Derrida ne propose une interprétation grammatologique que dans le dernier chapitre de ce livre138 * 140. Ce texte, dont le contenu est

du monde» dans Chemins crui ne mènent nulle part, pp. 99-146) .

138 Derrida J., Ibid., p. 125. En refusant de la sorte un aspect de la libération du signe, nous ne voulons pas dire que le signe grammatologique soit réduit à n'être qu'un mot en particulier, la composition du signe grammatologique est certes plus complexe et sa conception élargie à tout signe, mais ce n'est pas la voie que nous empruntons. Voici la conclusion du texte de Derrida dont nous parlons : «Au- delà d'une clôture de la représentation dont la forme ne pouvait plus être linéaire, indivisible, circulaire, encyclopédique ou totalisante, j'ai tenté de retracer une voie ouverte sur une pensée de l'envoi [originaire] qui, pour être, comme le Geschick des Seins dont parle Heidegger, d'une structure encore étrangère à la représentation, ne se rassemblait pas encore avec lui-même comme envoi de l'être à travers !,Anwesenheit, la présence puis la représentation. Cet envoi pré- ontologique, en quelque sorte, ne se rassemble pas. Il ne se rassemble qu'en se divisant, en se différant.» Derrida J., Ibid., p. 141.

Dans Restitutions de la vérité en pointure (1976), Derrida souligne une certaine approche de la question du sujet sans s'y attarder, mais le signe grammatologique et la différence y sont évoqués d'une façon si éclairante que nous ne pouvions ignorer ce texte dans notre travail.

13 9 Derrida écrit bel et bien le mot «pointure», puisqu'il est question de souliers.

140 .On peut lire au sujet de la question de l'art chez Heidegger : Vattimo G., Introduction à Heidegger qui consacre un chapitre à 1'oeuvre d'art et 1'expression de la vérité.

encore plus dispersé quant à sa forme que les précédents, du moins parmi ceux que nous avons abordés, est présenté sous la forme d'un dialogue (polylogue). Comme si Derrida mettait en jeu les développements de sa pensée établis jusque-là. Afin de contenir cette dispersion, notre lecture s'en tient à son propos initial :

1'interprétation derridienne de la pensée de Heidegger. Mais il y a une autre forme de dispersion (nous avons déjà évoqué la forme aphoristique que Derrida donne à ses textes malgré leur apparente continuité graphique) que celle liée à la pluralité des thèmes abordés. Cette autre dispersion, que Derrida nomme dissémination, consiste à faire appel à ce qui n'est pas explicitement dit ou écrit dans un texte, à ce qui est tu, mais tout de même supposé dans un texte. Le commentaire (grammatologique) est alors d'autant plus actif, qu'il débusque dans le texte commenté ce qui semble être entendu sans question.

La dissémination (1972) et le texte intitulé Hors livre, préfaces en disent plus long à ce sujet :

«Il n'y a pas de «concept-métaphysique». Il n'y a pas de «nom-métaphysique». La métaphysique est une certaine détermination, un mouvement orienté de la chaîne. On ne peut pas lui opposer un concept mais un travail textuel et un autre enchaînement [...]

l'une des thèses - il y en a plus d'une - inscrites dans la dissémination, c'est justement 1'impossibilité de réduire un texte comme tel à ses effets de sens [...] Non pas 1 ' impossibilité [...] mais la résistance [...] nous dirons restance.»141

On retrace d'autres informations au sujet de ce que Derrida nomme aussi «hyperanalytisme» ou «double contrainte» dans un texte intitulé

Résistances, ce texte a été publié dans La notion d'analyse (1992) :

«1. d'une part hériter et s'inspirer de ces Lumières, comme de ce qui en est répété, réaffirmé et déplacé en ce temps : aussi bien dans la raison d'une phénoménologie transcendantale que dans la raison psychanalytique et même, malgré son peu de sympathie ou d'affinité apparente avec 1'Aufklärung, dans 1'analytique existentiale du Dasein et tout le chemin ouvert par Heidegger ;

2. d'autre part y analyser inlassablement les résistances qui s'y accrochent encore à la thématique du simple et de 1'origine indivisible, à

la téléologie, à la logique oppositionnelle - que la dialectique ne remet pas en cause - et à tout ce qui, en répétant 1'origine, tente sans cesse de réapproprier, de restituer ou de reconstituer le lien social et le plus souvent, qu'on le déclare ou le dénie, en le renaturalisant. Ce que j ' ai tenté d'analyser [...] chez Heidegger (dans La vérité en

peinture) au sujet de la restitution et de la

reconstitution du pacte symbolique, relève de cette axiomatique. »142

Avant de poursuivre notre travail, rappelons le contexte de la parution de Restitutions de la vérité en pointure et ce qu'en dit Derrida dans la préface de La vérité en peinture, préface intitulée

Passe-partout. D'une part, dès 1'ouverture, Derrida souligne dans une

note que ce texte a pour prétexte la critique d'un essai de Meyer Schapiro publié dans la revue Macula. essai intitulé : La nature morte

comme objet personnel (1968) . Il s'agit, dans cet essai de Schapiro143׳

d'une critique de ce que Heidegger dit des chaussures de Van Gogh dans

L'origine de l'oeuvre d'art144. Derrida propose un commentaire de cette

critique de Schapiro. Cela provoque 1'exposé de ce qui n'est pas dit ni par l'un ni par l'autre des protagonistes. L'exposé de ce qui n'est pas dit et qui se tient pourtant là, à l'écart, selon Derrida, de leurs interventions respectives.

«À qui et à quoi reviennent les «chaussures de Van Gogh» dans leur vérité en peinture ? Qu'est-ce qu'un désir de restitution s'il a trait à la vérité en peinture ? La chance fut ici donnée par une sorte de duel entre Heidegger et Schapiro. Un tiers (plus d'un tiers, rien [de] moins que des témoins) faisait alors le mort pendant que l'un et l'autre s'escrimaient, à rendre proprement ces chaussures, droitement, et à qui de droit, au vrai destinataire. [ . . . ] Des discours sur la peinture se destinent peut-être à reproduire la limite qui les constitue, et quoi qu'ils fassent et quoi qu'ils disent : il y a pour eux un dedans et un dehors de 1'oeuvre dès lors qu'il y a de 1'oeuvre.»145

142 Derrida J., La notion d'analyse, p. 67. Ce texte de Derrida s'affaire autour de la notion de résistance en psychanalyse.

143 Cet article a aussi été publié dans Style, artiste et société (1982).

144 Cf., Heidegger M., Ibid, dans Chemins oui ne mènent nulle part (pp. 13-98) et aussi Introduction à la métaphysique (pp. 46-47) .

Derrida ne retient, pour commencer, dit-il, que sa conviction de la nécessité du questionnement heideggerien, même si ce questionnement répète, selon lui, la philosophie traditionnelle de l'art. Il souligne aussi la correspondance entre Schapiro et Heidegger, puisqu'il s'agit, du moins selon Schapiro, de dire à qui sont les chaussures. À qui faut- il les rendre, les restituer, pour en dire la vérité ? Étant donné qu'on dit toujours de la peinture, qu'elle rend, qu'elle restitue, la vérité en peinture. La question est à première vue d'une simplicité désarmante, puisqu'on se demande d'où reviennent les chaussures, de la ville (Schapiro) ou des champs (Heidegger). Le premier affirme que ce sont les souliers de Van Gogh lui-même, en ajoutant que Heidegger fait tout simplement de la projection. Tout en interrogeant l'une et l'autre de ces attributions à un sujet (au sujet), Derrida nous convie à un tout autre débat, même si son intervention s'inscrit dans le cadre de la question du sujet, telle que nous la cernons jusqu'à maintenant, même si elle nous rappelle la question de la présence, semble-t-il, incontournable, du sujet dans le texte de la métaphysique et dans le texte de la tentative de s'en libérer car, toutes les questions soulevées dans ce texte de Derrida le reconduisent aux thèmes de la distance et de la proximité, aux thèmes de 1 ' antique et de 1'ontologique ; elles le reconduisent aux thèmes de la proximité ontique liée à la distance ontologique, notions différées, desquelles on ne peut établir un rapport de stricte opposition. «Et tout le chemin de pensée, pour Heidegger, reconduit, par 1׳«é-loignement», à un Da (ainsi le Da du Sein) qui n'est pas simplement proche, dont la proximité laisse jouer en elle le lointain du fort. »146 II y a donc une correspondance entre Heidegger et Schapiro dans ce désir d'attribution. Mais «Le désir d'attribution est un désir d'appropriation.»147 Cette

14^ Derrida J., La vérité en peinture, p. 408. L'expression «fort/da» est aussi débattue, dans un tout autre contexte, celui de la psychanalyse freudienne, dans La carte postale, de Socrate à Freud et au-delà (1980). Dans ce livre, Derrida interroge entre autres les textes de Freud.

Outre L'origine de l'oeuvre d'art, Heidegger a consacré de nombreux textes à la question de l'art poétique, pictural ou plastique : «... L'homme habite en poète

. . .» (1954) et Temps et être (1969) entre autres, nous citons ce dernier lorsqu'à

la toute fin il est question de l'art plastique: «Une fois accordé que l'art, c'est mettre-en-oeuvre la vérité, et que vérité désigne le non-retrait de l'être, ne faut-il pas alors que dans 1'oeuvre de l'art plastique ce soit également 1'espace vrai, celui qui se déclôt en ce qu'il a de plus propre, qui vienne donner la mesure

?» Heidegger M., Ibid., p. 101.

querelle de restitutions est secondaire : Derrida s'intéresse plutôt aux problèmes de 1'origine de l'oeuvre d'art et de 1'illustration, plus qu'à la question de la place du sujet, plus qu'au problème de !'attribution des chaussures à un sujet. Ainsi, «Schapiro verra la «figure» de Van Gogh dans «ses» chaussures.»148 Il en fait, selon Derrida, des chaussures-sujet en pratiquant cette attribution à Van Gogh. Il y a donc une correspondance à établir entre Schapiro et Heidegger. Les deux plaideurs veulent voir les chaussures restituées au sujet véritable, à leur propriétaire. D'un côté, au peintre citadin, de l'autre, au paysan ou à la paysanne. S'il s'agit avant tout d'établir une correspondance dans la restitution, les reproches que Schapiro adresse à Heidegger peuvent aussi lui être adressés : 1) il se trompe de chaussures149, 2) il est dans 1'erreur en les attribuant à un paysan ou à une paysanne, 3) telle serait aussi 1'erreur de Heidegger : la projection précipitée. Selon Derrida, la question de la correspondance entre les souliers peints et leur propriétaire est corrélative à la question de ce qu'il appelle «le sujet de rattachement». Mais, Heidegger n'abandonne-t-il pas toute la problématique de la subjectivité ? Dans 1'exigence de restitution, il y a pourtant quelqu'un qui dit «moi».

Ainsi, Derrida relit Heidegger, le Heidegger de Schapiro, semble- t-il, et souligne qu'avant qu'il soit question du tableau, la paire de chaussures se détache des autres exemples donnés par Heidegger dans son texte. Peut-être bien que ce produit utile se rattache au corps du sujet, mais dans le contexte de L'origine de l'oeuvre d'art, il comporte une autre originalité. Heidegger reste dans 1'indétermination quant au tableau, quant à !'attribution, mais il répète, sans les attribuer à un sujet réel, que ce sont des souliers de paysannerie. Tandis que Schapiro écrit que ce sont les souliers de Van Gogh lui- même, citadin au moment où il les a peints. Chez Heidegger,

!'utilisation de cette illustration se trouve au chapitre portant sur

148 Derrida J., Ibid., p. 303.

149 Heidegger n'identifie pas clairement, note Derrida, de quel tableau il parle, et comme Van Gogh a peint plusieurs tableaux représentant des chaussures (huit), tout cela reste confus pour l'un et pour l'autre des intervenants, c'est-à-dire Heidegger et Schapiro. Quant au dernier, il écrit : «Le malentendu ne résulte pas seulement de cette projection de 1'imagerie personnelle qui se substitue à 1'observation attentive de 1'oeuvre d'art. [...] Même en ce cas, il aurait oublié de tenir compte d'un aspect important du tableau : la présence de 1'artiste dans son oeuvre.» Schapiro M., Style, artiste et société, pp. 354-355.

La chose et l'oeuvre150. Heidegger tente de soustraire la chose aux

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