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Discours, Heidegger supprime les guillemets d'un texte déjà publié354 La question est alors la suivante : comment conduire 1'esprit de la

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 181-191)

démission (destitution) à la responsabilité (spirituelle) ? En le rappelant au questionnement et à la prise en charge d'une mission du peuple allemand en Occident355. Mais cela ne peut se faire sans la destinée de la langue (allemande)356 dans laquelle se fonde le rapport d'un peuple à l'être. La qualité spirituelle définit le privilège de la langue allemande357. D'où lui vient ce privilège, demande Derrida ? Quelle est la logique de ce privilège déterminé par 1'esprit ? En guise de réponse, Derrida souligne deux choses dans ce passage358 : la première, c'est un déséquilibre dans le rapport entre le grec et 1'allemand, et toutes les langues du monde. Le privilège conjoint de 1'allemand et du grec, c'est celui d'une langue capable d'appeler l'être ou de s'entendre appelé par lui. Ce privilège, les autres langues du monde ne le possèdent pas. La deuxième chose, c'est que Heidegger dira plus tard que la langue grecque n'a pas de mot pour dire ou pour traduire le mot Geist. Il le dira en parlant de S che Hing et de Trakl. Il dira alors que seul 1'allemand peut nommer l'esprit. D'un tout autre point de vue, avant de mettre un terme à cette partie de notre travail, rappelons que Heidegger, dans Kant et le problème de la métaphysique359, reproche à Kant d'avoir voulu concevoir le temps en associant ce concept à celui d'espace. Nous nous contenterons de citer longuement O. Pöggeler afin de montrer comment les questions du temps, de 1'espace, du monde, du sujet et du dépassement de la métaphysique sont intimement liées entre elles, même si Derrida ne propose pas explicitement un tel rapprochement.

354 Cf., Heidegger M. , Écrits politiques. p. 104 et Introduction à la métar>hvsicrue. p. 60.

355 Cf., Heidegger M., Ibid., pp. 59-60.

356 Nous 1'indiquons entre parenthèses, afin de bien montrer que la question de la langue de l'esprit, de la langue spirituelle par excellence, est aussi la question de la langue, du langage.

357 Cf., Heidegger M., Ibid., p. 67.

358 Voici ce passage : «Le fait que la formation (Ausbildung) de la grammaire occidentale soit due à la réflexion (Besinnung) grecque sur la langue grecque donne à ce processus toute sa signification. Car cette langue est, avec 1'allemande (neben der deutschen) [au point de vue des possibilités du penser], à la fois la plus puissante de toutes (die mächtigste) et celle qui est la plus spirituelle (geistigste) .» (Cf., Derrida J., Heidegger et la question, p. 86 et Heidegger M., Introduction à la métaphysique, p. 67).

«L'impuissance de Kant à faire apparaître le temps et le monde dans leur caractère originaire a ses racines dans l'oubli du temps et du monde en métaphysique. L'importance de Kant consiste en ce que, dans sa philosophie transcendantale, il a refait de l'un et de l'autre, du temps et du monde (horizon), l'objet d'une question, de sorte que par lui la métaphysique est devenue problème. Le fait pour la métaphysique de devenir problématique doit être réalisé comme une répétition originaire de la métaphysique et peut donc apparaître comme un dépassement et un surpassement de la métaphysique. »36° 360

360 Pöggeler O., La pensée de Heidegger, p. 116. Derrida ne considère pas dans son interprétation L'époque des «conceptions du inonde» de Heidegger (Cf., Heidegger M., Chemins qui ne mènent nulle part pp.99-146). Selon nous, la contribution de ce texte à la question du sujet chez Heidegger a son importance.

L'esprit «déconstruit»

La stratégie de la différence de la pensée heideggerienne se poursuit dans son interprétation de Nietzsche361. Heidegger entendait soustraire la pensée nietzschéenne au biologisme. «L'extrême ambiguïté du geste [heideggerien] consiste à sauver une pensée en la perdant [dans la métaphysique].»362 Heidegger considère 1'oeuvre écrite de Nietzsche comme la dernière métaphysique, et relie à ce jugement toutes les significations des textes nietzschéens. Il s'agit, selon Heidegger, d'une métaphysique de la subjectivité, d'une subjectivité absolue et inconditionnée ; qui n'est plus celle du vouloir qui se sait lui-même, une métaphysique de 1'esprit, mais une subjectivité absolue du corps, des impulsions et des passions, comme volonté de puissance. Le renversement est simple. Comme si 1'histoire de la métaphysique moderne, qui détermine 1'essence de l'homme en animal rationale, se partageait en deux courants de pensée : d'une part, la rationalité comme esprit (non-déconstruit, au sens heideggerien) et, d'autre part, 1'animalité comme corps ou réponse aux impulsions.

Cette chose que Nietzsche appelle «la bête blonde»363, Heidegger croit qu'on doit la penser métaphysiquement plutôt que dans le cadre du biologisme, qu'on doit réinterpréter le vital à partir de la volonté de puissance. La volonté de puissance n'a rien du vital ni du spirituel, par contre le vivant et le spirituel sont, comme étants déterminés par

l'être, dans le sens de la volonté de puissance364.

La pensée de la race s ' interprète de la même manière, selon Derrida, c'est-à-dire sur le mode métaphysique et non biologique. Mais, une métaphysique de la race, est-ce plus grave ou moins grave qu'un biologisme de la race ? Le biologisme n'est-il donc pas métaphysique ? Selon Heidegger, Nietzsche ne désavoue pas l'esprit. S'il s'oppose à la vie de l'esprit, c'est en faveur de la vie de l'esprit, une vie de

3 61 Derrida dit relativement peu de choses du Nietzsche de Heidegger dans son essai, il vaut mieux lire Éperons. Les styles de Nietzsche (1978), où la filiation Nietzsehe/Derrida est évidente, et la rupture avec le Nietzsche de Heidegger encore plus.

362 Derrida J., Heidegger et la question, p. 92. 363 Heidegger M., Nietzsche, Vol. 2, p. 160. 364 Cf., Heidegger M., Ibid., p. 241.

l'esprit authentique.

Dans un tout autre contexte, et sans proposer aucune transition, Derrida situe le rapport de 1'esprit à l'âme, comme question grammatologique, dans le texte de Heidegger intitulé L'essence du poète

comme demi-dieu 365 où Heidegger cherche à élucider certains vers de

Hölderlin, au chapitre consacré à 1'esprit qui fonde historialement. Cela ne signifie pas que 11 attention portée à cette brève remarque au sujet de Nietzsche soit inutile. Nous y reviendrons plus loin. Mais, revenons

à

notre question du moment : qu'en est-il du mot «esprit» chez Hölderlin ?

À cette époque, le mot «esprit» utilisé par Hölderlin a une signification univoque, il la tient de la pensée de Hegel et de Schelling. «Mais on s'égarerait à en conclure que Hölderlin a emprunté le concept d'esprit pour 1 ' assumer ici ou là dans la poésie.»366 La question derridienne est alors la suivante : 1'esprit est-il ou non métaphysique ? La réponse derridienne est la suivante : 1'esprit est et n'est pas métaphysique chez Hölderlin lu par Heidegger. Si le mot «esprit» chez Hölderlin se laisse comprendre à partir de la métaphysique allemande, sa signification n'est pas pour autant la même.

Selon Heidegger, lisant Hölderlin, le mot esprit, chez le poète, ne se réduit pas au mode métaphysique d'opposition sujet/objet. Pour la métaphysique, l'esprit est 1'inconditionné absolu qui détermine et rassemble tout étant. Il est 1 ' esprit de rassemblement. Dans son concept métaphysique, avant la déconstruction heideggerienne, 1'esprit est la pensée. Le poème médite poétiquement 1'esprit comme ce qui est et assigne l'être

à

tout étant. L'interprétation heideggerienne est

à

la fois la même que celle de 1 ' esprit dans 1 ' oeuvre de Trakl, que Heidegger soustrait à la spiritualité métaphysique, et la même que celle du discours sur Schelling.

Car ce que Heidegger nomme «le souffle», ce n'est pas le souffle de ce qui unit, le souffle de 1'esprit comme rassemblement. Pour Schelling, 1'esprit est moins haut que l'amour, dont il est le souffle.

365 Cf., Heidegger M., Gesamtausgabe. Band 53 et plus particulièrement les pages 1- 62. Quant à nous, nous venons de 1'indiquer, cette référence nous renvoie à la lecture de la traduction française des textes suivants : Heidegger M. , Les hvmn.es de Hölderlin : La Germanie et Le Rhin et Approche de Hölderlin. Notons que dans ce texte, il est question de 1'esprit et de l'âme.

Comment nommer le Très-Haut au-dessus de 1'esprit ? demande Schelling367. «Ici le verbe abandonne aussi le penseur.»368 écrit Heidegger. «Ici», où il s'agit de dire l'amour, le Plus-Haut, 1'origine unifiante du langage. «Aussi», dans le manque de mot, où l'esprit abandonne le penseur. Tout cela laisse des traces dans les interprétations heideggeriennes de Hölderlin et de Trakl. Quant à Hölderlin, il pense en poète, dans la mesure où l'esprit fonde l'histoire. En tant que fondement, l'esprit a lieu dans l'âme du poète. Mais l'âme n'est pas l'esprit, elle accueille l'esprit. Elle accueille

les pensées de l'esprit. Dans Etre et Temps. ce qui manque à la métaphysique de la subjectivité, c'est une interprétation de l'âme. Sans doute, Heidegger trouve une interprétation juste de l'âme chez Hölderlin. L'âme accueille les pensées de l'esprit. Les pensées habitent l'âme du poète. Le poète donne l'âme, il est celui qui insuffle l'âme. Il donne son espace à l'esprit, en le faisant régner dans ce qui est. Derrida identifie les motifs qui pourraient guider son analyse, selon le mouvement de la figure d'une sorte de limite : la limite entre une pensée métaphysique de l'esprit (Hegel, et d'une certaine façon Schelling), mais aussi chez Hölderlin, selon une certaine dimension de son dire, et Trakl. Les mots qui pourraient lui servir de guides sont justement motif, mouvement et esprit. Car, il s'agit toujours, selon lui, d'une pensée de l'esprit vers le retour chez soi. «Il appartient à 1 ' essence de l'esprit qu'il ne soit proprement (eigentlich) que s'il est auprès de lui-même.»369

Mais ce désir de rassemblement en lui-même installe aussi, en lui, la nostalgie. Ce mal s'insère dans ce désir d'unité. L'esprit porte en lui une mobilité déconcertante : sortir de soi et rentrer en

367 Cf., Heidegger M. , Schelling, p. 221. Heidegger interprète la pensée de Schelling en montrant que l'Esprit serait 1'origine (essence) de la liberté humaine. La philosophie de Schelling est alors caractérisée comme onto-théo-logie, quant à sa structure, selon Heidegger, mais pas au même titre que le système hégélien. Heidegger compose avec les mêmes termes lorsqu'il écrit à propos de Hölderlin : «Le coeur {Gemüt) est la source et l'abri, le rassemblement et la voix [...] qui nous expose à l'intime profondeur [...]» et «Cette unité du coeur, Hölderlin la traduit par ce mot : «âme». L"homme plein d'âme [...] est celui qui a le coeur si haut qu'il lui donne le courage de consentir à prendre à coeur le plus Haut.» (Cf., Heidegger M., Souvenir dans Approche de Hölderlin, p. 156 et p. 157). 368 Heidegger M., Ibid., p. 222. Et, Derrida J., Heidegger et la question, p.97. 369 Derrida J., Ibid., p. 99.

soi370. Ce mal, chez Hölderlin, et il en parle assurément en poète, c'est aussi 1'essence même de 1'esprit : «[...] qui pousse à sortir de soi pour rentrer en soi ou de rentrer en soi pour sortir de soi.»371 L'esprit n'est donc jamais chez lui et encore moins «tout à fait chez soi». Un autre motif, figure de mouvement, serait celui du feu. Motif qui croise celui du retour. Heidegger interprète le thème du feu, en 1'associant au poète, à celui qui porte l'âme, à celui qui a le don de 1'esprit, à celui qui dit feu en disant la venue de ce qui vient.

Ces lectures derridiennes permettent de commencer à reconnaître 1'équivoque du passage de Heidegger entre une délimitation grecque ou chrétienne, onto-théologique, de l'esprit, et une pensée de l'esprit qui serait autre ou plus originaire. Derrida conclut cette partie de son essai, en écrivant : «Saisi par l'idiome allemand, Geist donnerait à penser plutôt, plus tôt, la flamme.»372 C'est en fin de compte cette direction que Derrida donne à son interprétation gramma tologique de 1'esprit dans la suite de son essai. Donc, selon Derrida, 1'alliance heideggerienne avec la poésie de Hölderlin amène Heidegger à reconsidérer 1'esprit et ses attaches à la métaphysique en questionnant sa propre pensée. La pensée de 1'esprit comme rassemblement inconditionné de tout étant. C'est à 1'équivoque de ce passage heideggerien à une interprétation de Trakl que Derrida nous convie en conclusion de son essai. D'une part, selon lui, chez Heidegger, Hölderlin, la poésie de Hölderlin, est à la fois soumise et libérée de la métaphysique, c'est là un passage obligé vers une compréhension de la libération heideggerienne de 1'esprit chez Trakl. Mais, d'autre part, cette libération, du moins dans les termes derridiens, reste une soumission heideggerienne à la métaphysique de l'esprit.

370 Cf., Heidegger M., Schellina. p. 216. 371 Derrida J., Ibid., p. 100.

L'esprit et le questionnement

«Ce qui se prend et se donne à la fois, c'est le feu. Le feu de l'esprit. N' oublions pas ce qui fut dit plus haut : 1 ' esprit donne l'âme {psyché), il ne la rend pas seulement dans la mort.»373 À partir de 1933, Heidegger n'a pas cessé d'interroger l'être de l'esprit. À la question «Qu'est-ce que 1'esprit ?», il répond, en 1953, vingt ans plus tard, 1'esprit est feu374. Ce texte de Heidegger médite la parole poétique de Trakl.

Derrida entend aussi parler de 1'«année» {Jahr), afin de s'approcher de ce que peut signifier «plus tard». Le «plus tard» peut aussi se rapprocher d'une origine, revenir

à

1'origine avant 1'origine, revenir

à

1'origine de 1'origine. Mais, il ne peut être question de dialogue entre le penseur (Heidegger) et le poète (Trakl). La parole des deux qui parlent, la langue qui parle entre eux, ne peut recevoir le nom de dialogue, au sens strict de ce terme. «La langue parle dans la parole [du penseur et du poète]. Elle y parle d'elle-même, elle se rapporte

à

elle-même en se différant.»375 Il ne s'agit donc pas de proposer une interprétation grammatologique du dialogue entre Heidegger et Trakl au sujet de l'esprit.

Comment alors entendre «1'esprit-en-flamme» ? Pour s'ouvrir

à

cette question, Derrida rappelle que Heidegger demande dans son texte : Qu'est-ce que ça veut dire «le dire poétique» ? Mais, Derrida n'entend pas, quant

à

lui, décider si le penseur parle en son nom ou au nom du poète. Il suspend, dit-il, la question de la responsabilité, et ajoute que certains énoncés sont pourtant incontestablement heideggeriens. «L'esprit en-flamme» est un énoncé de Heidegger, un énoncé auquel il souscrit.

D'une part, il 1'oppose à la métaphysique, d'autre part, il propose cette expression sans aucune réserve. Deux gestes d'écriture dont Derrida entend discuter. «Sans doute les énoncés heideggeriens se

373 Derrida J., Ibid., p. 103. Cette fois-ci, Derrida utilise le mot «psyché». Il l'écrit même en italique et entre parenthèses afin de souligner son effet et son effacement grammatologiques.

374 Cf-, Heidegger M., La parole dans l'élément du poème (1953) dans Acheminement de la parole (pp. 39-83).

laissent-ils porter ou attirer, conduire, initier par des vers de Trakl qu'ils semblent pourtant précéder ou attirer, guider à leur tour.»376 C'est justement de ce double mouvement, celui de l'allée et de la venue dont parle le texte de Heidegger auquel s'affaire 1'interprétation derridienne.

Les thèmes de l'année, de 1'esprit et du feu sont interrogés dans la figure de ce schéma, celui d'un revenir de 1'allée-venue. Il s'agit pourtant de discerner ce qui revient à Heidegger, ce qu'il dit de la flamme et de l'esprit. La question derridienne consiste donc à reconnaître ce que Heidegger dit de 1'esprit pour expliquer une telle parole. Car l'esprit dont parle Trakl, Heidegger ne tente pas d'en déconstruire le sens ou de le réinscrire dans la métaphysique, deux gestes d'écriture heideggeriens que Derrida a déjà identifiés dans d'autres contextes de lecture (Cf., ci-dessus, au sujet de Nietzsche et de Hölderlin). Deux gestes d'écriture dont l'effet dédoublé est prisonnier de la soumission à la métaphysique et de la libération de la métaphysique. Mais ici, au contraire, Heidegger entend montrer que 1'esprit chez Trakl, non seulement a franchi les limites de 1'onto- théologie, mais que cet affranchissement est univoque.

Heidegger débute son dialogue en interprétant un vers tiré du poème intitulé Printemps de l'âme : «Oui, l'âme est sur la terre une chose étrangère.»377 Heidegger dénie 1'interprétation platonicienne de l'âme comme «chose étrangère» sur terre. Pour Heidegger cela ne signifie pas qu'elle soit déchue dans un corps voué à la corruption «[...] de ce qui manque d'être et véritablement n'est pas»378. Au contraire, Heidegger propose contre le platonisme un changement radical de sens dans 1'interprétation, en inversant le sens, la direction dans le mouvement de l'âme. La signification de l'âme est d'être en chemin, certes, mais dans le sens d'une destination plutôt que d'une errance sur terre. Loin d'être exilée sur terre, l'âme est plutôt en route vers la terre. Elle cherche la terre, elle ne la fuit pas379. Elle est

376 Derrida J., Ibid., p. 105.

377 Derrida traduit (Cf., Derrida J., Heidegger et la question, p. 107.), tandis que le traducteur écrit : «L'âme est en vérité chose étrange sur terre.» (Cf., Heidegger M., La parole dans l'élément du poème dans Acheminement vers la ·parole, p. 43) .

378 Derrida J., Heidegger et la question, p. 107.

379 Cf., Heidegger M., La parole dans l'élément du poème dans Acheminement vers la parole. p. 45.

étrangère parce qu'elle n'habite pas encore la terre.

Heidegger assigne ensuite à l'âme un déclin, mais il distingue ce déclin de toute catastrophe ou de tout effacement dans la chute. Derrida souligne alors que le mot «spirituel» appartient à la même strophe que le vers cité par Heidegger : là où le poète parle d'un crépuscule spirituel. Heidegger annonce alors qu'il faudra méditer ce mot, le geistlich380. Le devenir crépusculaire n'est ni déclin ni occidentalisation de l'esprit, il est de nature essentielle. «Nature essentielle» que Heidegger médite dans les limites de sa propre pensée.

C'est un autre poème intitulé Nuit spirituelle qui montre cette nature essentielle de l'esprit. Car c'est à partir de ce crépuscule ou de cette nuit spirituelle que la spiritualité de 1'«année» semble être déterminée et par un autre poème intitulé En chemin. L'année rappelle le mouvement, la marche, elle traduit la course du soleil. C'est donc cette «année» que Trakl détermine comme spirituelle. Le crépuscule spirituel n'est donc pas un déclin négatif, un assombrissement, il abrite plutôt l'année, la course du soleil. L'année est spirituelle. Ce parcours complexe du spirituel permet de comprendre la corruption positive de la forme humaine, du Geschlecht humain.

Dans le contexte de 1'interprétation grammatologique de la pensée de Heidegger, ce parcours nous guide vers 1'interprétation du

Geschlecht, de 1'espèce humaine et de la différence sexuelle. Ce

parcours transforme la compréhension de la dualité simple de la différence métaphysique en y ajoutant une dissension, une véritable dé- limitation, une double différence ou une différence doublée. La pensée heideggerrenne de la différence de la différence métaphysique double cette différence d'une dissension, car il s'agit d'une spiritualité de 1׳ année chez Heidegger.

Ce qui va dans l'année, va, en revenant vers le matin. Heidegger cherche à montrer que le matin et la nuit de cette spiritualité sont plus originaires dans ce poème de Trakl que le lever ou le coucher du soleil, que 1'Orient et 1'Occident, plus originaires que 1'origine de la décadence, du moins comme on la trouve simplement dans 1'interprétation métaphysico-chrétienne. Ce matin et cette nuit seraient plus originaires que toute histoire onto-théologique et que toute spiritualité dans un monde appréhendé métaphysiquement. Les deux

questions derridiennes sont alors les suivantes : «Que signifie ce supplément d'originalité ? A-t-il le moindre contenu déterminable ?»381 Ces questions le conduisent à déterminer ce qui, dans le cadre d'une lecture grammatologique, excède le questionnement chez Heidegger.

Le Geschlecht est déchu parce qu'il a perdu sa justesse, sa juste frappe, son empreinte originale. Il est en route vers une juste frappe

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