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La chose et l'oeuvre150 Heidegger tente de soustraire la chose aux déterminations métaphysiques Ces dernières vont par paires :

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 104-108)

sensible/intelligible, substance/accident et matière/forme. Elles servent de contexte à 1'utilisation de 1'illustration, même si

L'origine de l'oeuvre d'art prétend reconduire avant/après la

constitution du «subjectum» dans 1'appréhension de la chose métaphysique. Mais poser la question du sujet, n'est-ce pas alors une erreur ? Non. Cela est possible, si on admet que Heidegger, dans la problématique de la vérité et de la parole, ignore une autre problématique du sujet : !'attribution ou sujet de rattachement. Selon Heidegger, 1'expérience grecque fondamentale de l'être de l'étant se transforme en une expérience du sujet. Cette expérience correspond à un autre mode de pensée et d'être-là. La pensée latine reprend les mots grecs sans 1'expérience originaire, sans la parole grecque. Les mots de la métaphysique sont alors privés de parole, de la parole de la vérité ontologique. Mais, pour Heidegger, il y a plus originaire encore, car 1'expérience grecque voile une autre expérience de la vérité. Dans ce contexte, Heidegger analyse les couples de déterminations imposés à la chose. Le couple aristotélicien matière/forme et le concept de chose comme matière informée ont dominé toute théorie de l'art.

En s'intéressant à 1'oeuvre d'art, Heidegger se demande : ce couple matière/forme a-t-il son origine dans 1'être-chose de la chose, dans 1'être-oeuvre de 1'oeuvre ou dans 1'être-produit du produit, et cela avant ou après la question de 1'essence ? Est-ce que ce serait à partir de la chose comme oeuvre ou comme produit que se serait constituée cette interprétation de la chose comme matière informée ? Il s'agit d'une double articulation logique, car le produit semble se tenir entre la chose et 1 'oeuvre d'art : «Ainsi, le produit est à moitié chose, parce que déterminé par la choséité, et cependant plus que cela ; en même temps, il est à moitié oeuvre d'art, et cependant moins que cela.»150 151 Heidegger veut penser 1'être-produit sans le couple matière/forme, en ouvrant un autre chemin de pensée vers le produit du produit associé à ce couple d'oppositions. Mais, dans le contexte derridien ou grammatologique, la formulation d'une pensée attachée à la question de 1'origine de 1'origine ou de 1'essence de 1'essence ne peut

150 Cf., Heidegger M., Ibid., pp. 17-41. 151 Derrida J., La vérité en peinture. p. 340.

se soustraire à la métaphysique. Tout se passe comme si Heidegger n'avait pas parlé du tableau, en le laissant parler à sa place. Ces chaussures, cette chose produite se met à parler d'elle-même et d'elle. «L'être-produit du produit a été trouvé. Mais comment ? Non pas à travers une description ou une explication [. ..] d'une paire de chaussures effectivement présentes ; [...] L'oeuvre d'art a donné à savoir ce que la paire de chaussures est en vérité.»152 Heidegger en vient à confier toute la vérité au tableau, il en vient à la restituer à la peinture qui a parlé, en faisant tout autre chose que simplement illustrer sa pensée. Il ne parle pas du tableau. Il médite l'utilité des souliers, puisqu'il ajoute que les souliers sont inutiles pour qui voudrait accéder à l'utilité de l'utile, à l'essence du produit. Il faut aussi souligner l'inutilité de 1'inutile dans la pensée de l'utile. En d'autres mots, Heidegger déclare que le tableau est inutile à sa recherche. Mais la vérité, elle, a tout de même pris la parole : le tableau a parlé, l'oeuvre d'art a donné à savoir ce que la chaussure est en vérité. C'est ainsi que la vérité de l'utile apparaît. Elle apparaît dans la mise en oeuvre de la production inutile. Enfin, la valeur de proximité des souliers joue un rôle prédominant dans le texte de Heidegger. Car le proche peut s'entendre au sens ontique et au sens ontologique. Même si la subjectivité n'est pas et ne doit pas être un chemin de pensée, même si la peinture parle d'elle-même, en étant inutile, en disant la vérité de l'utile, Heidegger ne peut se soustraire aux déterminations métaphysiques avec lesquelles sa pensée joue dès le départ en cherchant à les déjouer. L ' apparence d'un renversement de perspective ne permet pas de penser le tout autre (que métaphysique) : c'est dans 1'inutilité du tableau, 1'inutilité de l'oeuvre et du produit qu'apparaît la vérité de l'utile. Ce couple d'oppositions, utile/inutile, n'ouvre pas un chemin de pensée, il permet à la pensée heideggerienne d'être critique. Derrida pourrait achever son intervention de la façon suivante :

«[Et] si Heidegger en restait lui aussi [...] à la représentation courante de l'art qu'il accepterait comme le fil conducteur de sa puissante méditation.

[. . .] Et si on veut interroger l'art, on est bien obligé de se donner le fil conducteur d'une représentation. [...] Il y a des oeuvres d'art et

c'est elles qu'il faut interroger pour y déchiffrer l'essence de l'art.»153

Ce fil conducteur se tient autant du côté du sujet que du côté de l'ontologie classique dans la question de la vérité de l'oeuvre d'art, de 1'origine ou de 1'essence de l'art. Le titre de cette section de notre travail est justifié : Le signe et la vérité de la peinture ; car, Derrida se fait 1'interprète de 1'insistance heideggerienne du signe d'une certaine paysannerie répétée, et il valorise cette locution dans le texte de Heidegger, en y découvrant cependant la trace de la différence différée. Seule une pensée de la contamination du sens et du signe permet une telle valorisation de 1'illustration (de 1'exemple) dans la compréhension d'un texte. Elle permet la valorisation du signe répété «souliers de paysannerie» comme attribution, et elle interroge la signification de !'utilisation de 1'illustration comme sens-vérité parlée chez Heidegger, comme signe/sens et vérité différée, effacée, et non pas strictement écrite, chez Derrida. L'utilisation de 1 ' illustration est la différance, signe muet dans le texte de Heidegger. C'est encore à partir d'une certaine lecture de 1'histoire de la vérité, de la vérité métaphysique, centrée sur la valorisation de la parole comme possibilité de vérité et sur la dévalorisation de 1'écriture comme possibilité de vérité, que Derrida entreprend de repenser la logique de 1'origine de la vérité. L'entreprise derridienne revalorise 1'écriture et le signe comme premier terme, sans toutefois lui concéder une primauté définitive dans le jeu de cette bipolarité inversée. Seule 1'inscription différée, constamment effacée, puisqu'elle refait toujours surface, peut se jouer, sans s'en évader, de la logique primitive de la vérité métaphysique. La parole elle-même ne tient à rien d'autre qu'à 1'écriture pour être vérité. Un simple renversement du couple paroie/écriture serait cependant tout aussi métaphysique.

Afin d' éviter ce piège logique, il faut donc que la trace s'efface, sans disparaître, il faut qu'elle soit différée dans sa présentation et son inscription de trace, il faut que le signe devienne trace, et il faut aussi qu'elle soit sans nom propre. «Tout se passe

153 Derrida J., Ibid., pp. 37-38. Derrida discute de la conception kantienne de l'art dans un texte intitulé Economimésis, texte publié dans un ouvrage collectif, intitulé Mimesis des articulations.

finalement comme si Heidegger n'avait certes pas parlé du tableau. Mais loin de s'en évader, il n'en aurait pas parlé en vue de le laisser parler lui-même. Non pas fait parler mais laissé parler.»154 Derrida cite Heidegger plus loin dans son texte : «Le tableau de Van Gogh est 1'ouverture de ce que le produit, la paire de chaussures de paysans,

est en vérité.»155 La différance serait alors 1'utilisation d'une

illustration muette que Heidegger laisse parler pour dire la vérité de l'utile.

Rappelons, en terminant cette première partie de notre travail (la seconde partie est consacrée aux essais «comme tels» de Derrida156), les grandes articulations de nos découvertes. Notre interprétation fixe son attention sur la question de la différance157 déjà à 1 ' oeuvre comme axiome dès De la crrammatoloqie.

Ainsi, la différance est déjà à 1'oeuvre dans la question de la différence entre le sens et le signe. Cette fois-ci, nous citerons Derrida lorsqu'il commente, cherche et trouve la différance dans l'Essai sur l'origine des langues de Jean-Jacques Rousseau : «Reconnaître 1'écriture [le signe] dans la parole, c'est-à-dire la différance et 1'absence de parole, c'est commencer à penser le leurre. Il n'y a pas d'éthique sans présence de l'autre mais aussi et par conséquent sans absence, dissimulation, détour, différance, écriture.»158

Dans Maraes de la philosophie, nous avons retracé deux figures de la différance liées à la lecture derridienne de certains textes de Heidegger. D'abord dans le texte intitulé La différance et ensuite dans

Ousia et grammè. Un développement marqué se produit entre ces deux

parutions. Car si l'idée de signe est exposée dès la première parution,

c'est-à-dire dès De la arammatoloaie. Derrida n'en fait aucune mention dans son approche de la pensée heideggerienne au début de Maraes de la philosophie, soit dans La différance ; ce n'est qu'à partir de Ousia et

154 Derrida J., Ibid., p. 369.

155 Derrida J., Ibid., pp. 370-371. Le traducteur écrit : «La toile de Van Gogh est 1'ouverture de ce que le produit, la paire de souliers de paysan, est en vérité.» (Cf., Heidegger M., L'origine de l'oeuvre d'art dans Chemins oui ne mènent mille part. p. 36) .

156 Nous verrons que Derrida ne donne le titre d'«essai» qu'au troisième de ses textes publiés dans Heidegger et la question.

157 Les stratégies de lecture de la «différance», nous obligent à ne parler que de question de la «différance» plus que de thème ou que de concept de la «différance». 158 Derrida J., De la orammatolooie. p. 202.

grammè que Derrida enquête explicitement au sujet d'un signe effacé ou

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