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II faut noter, avant de poursuivre plus avant notre lecture, que Derrida cite Hegel en utilisant les expressions «Philosophie de la nature Logique d'Iéna», cela

Dans le document La lecture derridienne de Heidegger (Page 74-77)

pas là pour assigner une « dépendance » de Hegel mais pour appeler 1'attention sur la portée ontologique fondative de cette filiation pour

94 II faut noter, avant de poursuivre plus avant notre lecture, que Derrida cite Hegel en utilisant les expressions «Philosophie de la nature Logique d'Iéna», cela

renvoie sans doute à 1'Encyclopédie des sciences philosophiques 1 La science de la loaicue 2 Philosophie de la nature (1817) . Quant aux références liées au texte d'Aristote, Derrida nous renvoie à la Physique IV (pp. 218a-224a) . Ces quelques remarques bibliographiques nous permettent de suivre et de comprendre ses propos au sujet de Être et Temps avec un peu plus de vigilance. Ce sont les mêmes textes auxquels Heidegger fait entre autres référence. Quant à nous, pour Hegel, nous lisons particulièrement : Hegel G.W.F., Précis de l'Encyclopédie des sciences philosophiques. La logique. La philosophie de la nature. La philosophie de 1 'esprit. trad. J. Gibelin, (éd.Vrin) ; et nous lisons aussi 1'Encyclopédie des sciences philosophiques 1 La science de la logique, trad B. Bourgeois, (éd. Vrin). 95 Cf., Heidegger M., Ibid., pp. 277-296, paragraphes 78-83, pp. 404-437.

comme logos. «Comment aurait-on pu penser l'être et le temps autrement qu'à partir du présent [ . . . ]»96, à partir d'un certain maintenant présent qu'aucune expérience ne peut quitter ? Dans le contexte grammatologique, la radicalité heideggerienne n'est possible qu'à partir de la simplicité métaphysique. Il ne s ' agit donc pas, pour Derrida, de proposer de penser autrement le temps, il s'agit plutôt de penser ce qui n'a pas pu être pensé autrement que dans sa simplicité métaphysique et aporétique. L'impossibilité de 1'autrement produit alors une certaine différence. Mais cet ébranlement derridien n'envisage pas non plus une absence, ce serait alors une autre forme de

la présence. Ce déplacement derridien ne remplace rien. Il est différé. L'interprétation derridienne propose de penser le rapport à 1'histoire de la philosophie autrement que dans la négativité hégélienne, puisqu'elle est tributaire du concept vulgaire de temps. Chez Hegel, ce concept pose un autre présent comme négation du présent sursumé, qui lui, délivre sa vérité. Derrida interroge le lien entre vérité et présent, dans une pensée de la différance qui n'a peut-être plus à être vraie ni présente, une pensée dans laquelle le sens et la valeur de la vérité sont éprouvés, non pas bafoués, cela dans la mesure où la négativité hégélienne reste à 1'intérieur de la métaphysique (aristotélicienne) de la présence. Derrida veut montrer que Heidegger n'échappe pas à cette emprise de la métaphysique.

Si nous suivons les développements de Ousia et gramme, Derrida y identifie d'abord les termes de la paraphrase hégélienne du texte aristotélicien, en rappelant que dans Phvsicrue IV, Aristote expose une aporie dans sa conception du temps. Aporie dont il ne viendra d'ailleurs pas à bout. Il 1'expose en se demandant d'abord 1) si le temps fait partie des étants ou des non-étants et 2) quelle est la substance du temps. Cette voie interrogative est sans issue : le temps est alors, selon Aristote, ce qui «n'est pas» ou ce qui «est à peine faiblement». Aristote se rend à 1'évidence que le temps «est» et qu'il a pour essence 1'«instant», et que ce dernier fonctionne comme le mot «maintenant». L'«instant» est la forme que le temps ne peut laisser

96 Derrida J., Ousia et grammè, dans Coll., Endurance de la pensée, p. 225. Nous croyons très enrichissant de consulter les ouvrages suivants afin de mieux comprendre les développements de la pensée derridienne, s'il doit être question du temps, de 1'esprit et de Hegel : Arendt H., La vie de 1'esprit et Koyré A., Études d'histoire de la pensée philosophique.

tomber pour être. Mais dans un autre sens, toujours selon Aristote, 1'«instant» n'est pas identique à lui-même. Car si on pense le temps à partir du «maintenant», il faut aussi conclure qu'il n'est pas, qu'il est à la fois ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore, qu'il est donc composé de non-étants : ce qui comporte du non-être ne peut participer de la présence et de la substance.

Dans la première partie de l'aporie aristotélicienne, le temps est défini selon un rapport à une partie primitive, le «maintenant», affecté par un temps qui le nie en le déterminant comme «maintenant» passé ou «maintenant» futur. Tout se joue, selon Derrida, comme si le temps n'était pas déjà temporel dans cette détermination. «Il n'est temporel qu'en devenant temporel, c'est-à-dire en cessant d'être identique à lui-même, en passant par la né-antité dans la forme de 1'étant-passé ou de 1'étant-futur.»97

Dans la perspective derridienne, le «maintenant», envisagé comme non-étant, est déterminé comme une partie intemporelle du temps, comme une partie non-modifiable de la modification temporelle. Plus simplement, le temps serait ce qui arrive à cette partie, le «maintenant», en 1'affectant de non-être. Mais un étant ne peut être affecté par le temps, il ne peut pas logiquement devenir. La participation à 1'étantité consiste en une participation à l'étant- présent, à la présence du présent. L'étant est ce qui est présent.

Derrida rappelle que, selon Heidegger, Hegel a paraphrasé le texte de Aristote. Une première fois dans la 1 ' Encyclopédie des sciences philosophiques où, dans la première section de la philosophie de la nature, le temps est défini dans un développement du concept de mouvement. Le moment présent, le ceci absolu du temps, le «maintenant», est absolument et négativement simple, excluant en lui toute multiplicité, il est absolument déterminé. En tant que négation, il est aussi absolument lié à son contraire. Le «maintenant» est aussi le contraire de lui-même. Il a sa négation en lui-même et devient autre que lui. Cet autre, le futur, dans lequel le présent devient, est autre que lui-même, car il est présent. Son essence, c'est donc sa propre

97 Derrida J., Ibid. , p. 227. Nous citons le texte d'Aristote : «Que d'abord il n'existe absolument pas, on [ou] n'a qu'une existence imparfaite et obscure, on peut le supposer d'après ce qui suit ; pour une part il a été et n'est plus, pour l'autre il va être et n'est pas encore. [...] Or, ce qui est composé de non-êtres semble ne pouvoir pas participer à la substance.» Aristote, Phvsicrue 1-lV. p.147, 218a.

négation. Telle est la première paraphrase hégélienne, que seule la maîtrise de la dialectique spéculative rend possible.

La seconde paraphrase se trouve aussi dans la première section de la philosophie de la nature de l'Encvcloüédie des sciences ·philosophiques. Hegel y considère alors 1'espace et le temps comme des catégories de la nature, soit de l'Idée hors d'elle-même. Ces catégories relèvent de 1 ' extériorité immédiate, abstraite et indéterminée. Dans la philosophie hégélienne, la nature est l'Idée hors-de-soi et 1'espace est cet être-hors-de-soi. La nature, en tant qu'elle est elle-même hors d'elle-même, en tant qu'elle ne se rapporte pas encore à elle-même, n'est pas pour soi. L'espace est l'universalité abstraite de cet être-hors-de-soi. La nature, en ne se rapportant pas à elle-même comme espace absolu, ne connaît aucune médiation. Elle correspond à un milieu de transparence idéale de continuité indéterminée. Telle est donc 1'origine de la nature dans la conception hégélienne : rien ne se rapporte à rien.

«C'est seulement à partir de cette origine»98 indéterminée que la question suivante est possible : comment l'espace, la nature, immédiateté indifférenciée, reçoit-elle la différence ? Ainsi, selon Derrida, la différenciation ne survient à 1'espace pur que comme négation de cette pureté originelle de la spatialité de l'espace. La spatialité pure se détermine donc en niant ce qui la constitue, elle se détermine en se niant elle-même : c'est alors une négation déterminée, une négation de 1'espace par l'espace.

Selon Derrida, interprète de Hegel, la première négation de 1'espace, c'est le point. Le point spatialise l'espace. Il se nie en se rapportant à lui-même, soit à un autre point. Chez Hegel, la négation de la négation, la négation spatiale du point, c'est la ligne. Le point se nie et se tient dans la ligne qui en constitue la vérité médiatisée. Dans cette négativité spéculative, processus dialectique hégélien, la vérité de la ligne est surface. L'espace devient concret en retenant sa négativité. Il devient espace en se niant. Ce mouvement logique de production de 1'espace est circulaire (spéculatif) et réversible. On peut donc considérer avec Hegel que la totalité concrète de 1'espace est aussi au commencement de son propre processus de production : la

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